Juste un essai pour voir ce que cela donnerait à vous faire "subir"

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01-12-2015 à 18:21:47
Après un dernier salut à la troupe,une caresse à l’encolure de Fatale, je prends le licol du chariot, malgré l’invitation de Moustique de manœuvrer à côté d’elle sur le siège de la carriole.
- Non merci, mes fesses sont plus douloureuses que mes pieds et nous sommes si près.
Moins de dix minutes plus tard, nous stoppons la carriole, elle n’ira pas plus loin. Grotesque est à moins de cent mètres et déjà l’équipage au complet débarque à notre rencontre
Léo est le premier à opérer la jonction. Tout en nous flairant sous toutes les coutures, il s’inquiète de ces drôles de bêtes derrière nous. Humant l’air, il semble procéder par élimination : «ce n’est pas du poisson, pas des hommes, pas des chiens…quantités négligeables et pour tout de même leur signifier qu’il est le maître ici il va consciencieusement arroser l’arbre auquel les mulets sont attachés. Puis sa truffe s’intéresse ensuite bien plus à l’inventaire de la carriole. voyons voir : miel, poules, viandes !!!!
Puis c’est au tour de Muriel, toujours en larmes de se jeter au cou de Moustique qui, ne comprenant toujours pas l’émotion de mère poule me lance un regard interrogateur;
- C’est Muriel, elle est comme ça, tentai-je d’expliquer.
Blaise et Claudie se contentent d’un laconique :
- Ça a était ?
Je réponds d’un non moins laconique :
- Mouiais ! Avant de poursuivre :
- Et les vieux, on ne les embrasse pas ?
- Ca fait pas dix heures que vous êtes partis, ça ne mérite même pas une petite bise, m’assène Gaëlle;
- Bon, vidons la carriole, abrège Claudie.

Cela nous a pris une heure ; colonne de petites fourmis laborieuses cheminant parmi la rocaille entre Grotesque et le généreux avitaillement de Caldéron sous la surveillance étroite d’un Léo gourmand qui en oubli de ravaler sa salive.
Devant la taille du quartier de viande, Claudie s’inquiète :
- Nous ne pourrons pas le manger sans qu’il ne s’abîme.
Pour la première fois, je déplore l’absence d’un congélateur sur Grotesque ; mais nous partions pour l’Arctique, le congélateur devait être à l’extérieur.
- Oh non ! Ce serait un crime, s’insurge Muriel.
- Stériliser, des bocaux, propose Gaëlle.
- Cela nous coûterait trop d’énergie pour à chaque fois huit à dix bocaux, tempèrai-je.
- Et la boucaner ? ! C’est le lieu idéal, s’exclame Blaise.
- Où alors on laisse Léo s’en occuper, pour lui ce ne sont que de gros nonosses avec un peu de viande autour, proposai-je.
- Ah Non ! Depuis des mois, je rêve d’une viande grillée, de steack de ragoût, de…
- Calme toi Muriel ou tu vas de mettre à baver comme Léo, lui conseille Blaise.
- Deux jambons,il y a deux jambons ! S’exclame Isabelle de la carriole, nous ramenant à nos cochons.

A la tombée de la nuit, tout était enfin embarqué, même les deux fûts et leur bourdonnement incessant;
Alors seulement, l’absence , désormais définitive d’Henrique se fit plus pesante pour Isabelle. Elle part seule s’asseoir à l’avant auprès de Léo cacher ses larmes dans la fourrure du nounours de service.
Prenant toujours son rôle très au sérieux, Léo va jusqu’à essuyer les pleurs d’Isabelle à grands coups de langue, à moins qu’il n’aime le goût du sel ?
Pendant que le trio infernale prépare le repas qui sera, elles nous l’ont promis, mémorables, je m’acharne avec Blaise sur les quartiers de viande ; s’acharner est vraiment le mot exact. Le trio nous a demandé :
- Six steaks épais comme ça et grands…comme ça.
- P….. ! C’est quand même plus facile chez le boucher, s’exclame Blaise.
Je lui reprends le couteau des mains et je joue du fusil dans l’espoir de transformer en rasoir à viande un honnête couteau de marin.
- Chez Jules (Jules c’est mon, c’était mon boucher), il pose sa main contre la viande et Zip et Floc ! Sur le papier, suivi de l’inévitable :«et avec ça se sera ?». Ça semblait si facile tailler une belle tranche bien régulière.
- Bon, tu sais, même en morceau, c’est toujours de la viande, le consolai-je en lui tendant à nouveau le couteau.
- Non, Non ! Proteste mon perfectionniste, le premier steak depuis des mois, cela doit être parfait, la forme, le goût.
Il tire la langue s’applique, fait glisser la lame avec une grimace inquiète, de la sueur perle à son front, il est concentré, tendu. La lame touche enfin le bois, Blaise contemple le résultat :
- Mouais, c’est pas ma journée avec la coupe, conclut il dégoûté en montrant son visage tailladé.
- J’osais pas te demander, c’est Muriel qui t’a mis dans cet état ?
- Ah, Ah ! Très drôle. Non, je n’avais pris qu’un rasoir jetable pour la traversée, il ne coupait plus malgré la pousse plus lente de ma barbe…
- Là, il a coupé ! Notai-je.
- … Donc, je l’ai démonté, passé la lame à la pierre à huile, remonté tant bien que mal, mais comme son nom l’indique, c’est jetable. Une fois démonté et recollé, l’angle de la lame n’est plus parfait… Et voilà, conclut il en montrant son visage.
- Laisse la barbe pousser et un coup de ciseaux de temps en temps.
- C’était quand la dernière fois ? Me questionne Blaise.
- C’est ma vie privée, répliquai-je.
- Idiot ! Ton dernier cou de ciseaux, précise t-il
J’ai beau réfléchir, je ne m’en souviens pas. Instinctivement, je passe ma main droite dans ma barbe, je suis pourtant encore loin de pouvoir doubler le père Noël. Je demande à Claudie :
- C’était, attends voir, à St Jean de Losne …., me répond elle intriguée.
- C’était deux mois avant notre départ.
- Curieux, Non ! Poursuit Blaise, moi, je ne me rase que les dix jours.
- Eh bien, tu vois, laisse toi pousser la barbe, tu seras moins embêté
- Tous les huit dix jours, tu ne trouves pas ça bizarre ? Insiste t-il.
Non, ce soir, je veux profiter de cette nourriture fraîche et différente de ces sempiternelles langoustes.
- Moi, je trouve bizarre qu’un simple morceau de viande séparé de son cerveau puisse te résister.
- On va voir ça, si seulement tu savais affûter correctement un couteau, me renvoie t-il.
- On pourrait faire des steaks hachés, propose la petite voix d’Isabelle.
Devant la mine outrée de Blaise, je conseille à Isabelle :
- Viens, Moustique, laissons travailler l’artiste et toi aussi Léo, tu me suis !

Moustique, gourmande, rejoint la cuisine ou s’affole toujours le trio de carnassières réclamant à grands cris ses six beefsteaks
Léo hésite entre l’odeur de la viande fraîche et le fumet de la cuisine pour finalement suivre celui qui, quelquefois se prend pour son maître.
Assis dans le cockpit de pêche, songeur, me lissant la barbe de la main, je ne regarde rien laissant errer mon regard sur la plage que l’on devine à la lueur des étoiles qui se lèvent par millions ; vertiges, en regardant ce ciel puis, plus loin , plus loin l’infini …
Que doit penser Léo à me voir regarder ce qui pour lui n’est sans doute rien d’intéressant contrairement aux bruissements dans les fourrés, à l’odeur des sous bois ou le fumet des mulets attachés la bas ?
- Et bien le petit vieux s’est endormi ! Demande Gaëlle.
- Hein, heu ! Non. Je rêvais … me défendai-je.
- Tss, Tss , tu ronflais quand je me suis approchée ! Tranche t elle.
- Le repas est prêt , confirme Claudie par le hublot de la cuisine.
A ces mots, Léo qui généreusement me servait d’oreiller, ne fait qu’un bond jusqu’au carré. Je me déplie bien plus péniblement : mes pieds, mes jambes, mes fesses… enfin tout mon corps n’est que courbatures par nos efforts de la journée et aussi ankylosé par la position inconfortable dans laquelle, je l’avoue, je me suis assoupi.
- Besoin d’un petit massage, Papy Mougeot ? Me nargue Gaëlle.
- Je peux encore lever les jambes pour te botter les fesses.
- Oh oui, oh oui ! Une fessée, se moque t elle en s’engouffrant dans la descente vers la douce lumière du carre.
- Le grand jeu, notai-je en m’asseyant.
La vacillante lueur dorée des bougies se reflètent sur le chêne vernis et le vaigrage laqué blanc ; l’ambiance est très chalet savoyard, si ce n’étaient pas nos tenues légères et la température ambiante, on s’attendrait presque à voir la maîtresse de maison servir la fondue.
Mais ce soir, ce que nous attendons tous dans un silence presque religieux, c’est le corps, enfin, pour le moins une partie du corps d’un jeune bœuf. Les yeux brillants de gourmandise de Muriel résument à eux seuls nos désirs de carnassiers.
Lorsque enfin Claudie sert chacun d’entre nous, à bord, le silence serait total sans le bruit d’une grosse truffe flairant les assiettes depuis le bord de la table.
- Oh oui ! J’avais presque oublié comme c’est bon, commente Muriel en mastiquant doucement sa première viande fraîche depuis des mois.
- Oh ! Ce n’est pas mauvais non plus, poursuit Blaise en portant à ses lèvres un verre de St Emilion.
«Profite bien du vin car lui est irremplaçable La viande, nous pourrons toujours nous décider à tuer quelque animal au sang chaud. Et nos bougies, ne devrions nous pas les épargner ?» Songeai-je.
Suivant mon regard aux bougies, Blaise tente de me rassurer :
- A chaque récolte de miel, j’aurai de la cire et je pourrai couler des bougies.
En serons nous capables ? Les choses les plus élémentaires ne sont pas si facilement remplaçables Les allumettes : c’est tout simple tout bête mais nous ne pourrons pas en faire de semblables. Nous les épargnons comme on épargne notre pauvre stock de gaz, mais un jour;;;

- Oh, oh Patrick ! Tu ne manges pas ? S’inquiète Muriel.
- Muriel, tu ne me retirerais pas le pain de la bouche, quand même ?
- Vous avez vu ? Ils ont bien mis une bouteille d’encre, comme demandé, lance Claudie dont la pensée a dû suivre le même chemin que la mienne.
- L’on pourra recharger tes crayons à dessin, enchaîne Blaise.

Comme Grotesque est notre seule maison, nous y avons entassé tout ce qui a fait nos vies et je sais que quelque part dans ses entrailles, se trouve une vieille trousse d'écolier. Fourre tout en skaï marron clair taché d‘encre bleue dont la fermeture éclaire bloquée retient des trésors : un bout de bois conique peint de couleur multicolore sur lequel vient se ficher le contenu d’une petite boite en plastique rouge, une petite boite pleine de plumes, Sergent Major ! Ces porte plumes, cauchemar intégral de tous les gauchers sera d’ici un ou deux ans notre seule possibilité d’écrire.
- Je dois écrire le maximum de ce qui nous serait utile et puis dans l’encyclopédie tant que les ordis fonctionnent, poursuit Muriel.

L’ambiance de fête a tout à coup du plomb dans l’aile.
- Et le gâteau, lance en diversion Gaëlle.
- Ah oui ! Le gâteau !
Premier gâteau réalisé avec les œufs frais du ravitaillement, un simple 4/4 pour lequel nous avons sacrifié un peu de notre précieux beurre.
- Non, non, avant il y a le Camembert, précise Claudie.
Le dernier camembert en boite est immolé et c’est avec dévotion que les normandes partagent ce témoin de notre passé.
- Il faudrait une vache.
- Ou une chèvre….

Le pain frais , cuit avec le gâteau sert de linceul à notre regretté camembert.
- Une petite coupe de champagne serait bien venu avec le gâteau, réclame Claudie.
- Nous devrions l’économiser, proteste Blaise.
- De toute façon, le champagne n’aime pas le bateau, les bouchons vieillissent mal, les bulles disparaissent . Soit on le boit rapidement, soit il ne nous restera que du vin blanc avec des bouchons ratatinés ne retenant que quelques rares bulles, tranchai-je.
- Tu es sur ? S’inquiète Blaise.
- Sur ! Nous avons essayé plusieurs marques avec toujours ce triste résultat, confirme Claudie.
- Cela va être notre perpétuel dilemme ; par exemple : utiliser nos stylos maintenant ou les faire durer au risque des les trouver secs, inutilisables,dans deux ou trois ans. Pour nos conserves c’est pareil : les garder le plus tard possible au risque de trop attendre ou les manger maintenant. Les piles, les…
- Oh Patrick ! Tu n’es pas gai ce soir, ouvre donc une bouteille et laisse les bulles te piquer le nez, proteste Muriel.
La détonation du bouchon me fit mentir, cette bouteille est encore pleine de tonus, espérons que ses sœurs bien au frais dans la cale garderont le plus longtemps possible une telle forme.
La bouche pleine de gâteau,Isabelle lance une prière à qui veut bien l’entendre :
- Faites que les poules de Blaise pondent un max c’est trop bon !
- Jouissons du moment, lance Gaëlle l’œil pétillant.
Les bulles ne semblent pas éclater contre son palais mais plutôt directement dans ses prunelles.
- Du moment et de tout ce que nous allons perdre : shampoing, dentifrice, brosse à dent émoussée, …commençai-je , branché rayon entretien.
- Et la lessive ! Il y en a quasiment plus, se lamente Gaëlle.
- Pour la lessive, je crois avoir lu quelque part que la cendre peut faire le même usage, hasardai-je.
- La cendre ?! Tu salis ton linge pour le laver ! S’inquiète Claudie
- Ça y es t, vous avez cassé l’ambiance, proteste Gaëlle, avant de poursuivre tout à coup mélancolique,en regardant sa montre. Je ne sais plus quand j’ai changé la pile. C’est l’heure, le temps qui nous reliaient à notre passé un peu comme lorsque tu gardes l’heure de ton fuseau horaire en voyage. Quand elle s’arrêtera pour moi se sera le dernier lien avec notre époque qui sera tranché.

Tout le monde devient pensif, perdu dans ses pensées, silencieux, tellement silencieux que mon menton vient piquer sur ma poitrine. Vaincu par cette dure journée, je m’endors comme un petit vieux…


Dans le village où je viens d’entrer au trot de ma monture, petit village gaulois, le forgeron au loin tape et tape encore à grands coups sourds et lents… Au garage, le tôlier s’acharne à redresser l’aile de cette vieille Aronde… Non ! Le bruit plus sourd vient du chaudronnier martelant la tôle… ? !!! C’est plus fort, ce doit être Thor qui frappe la coque… La Coque !!! Je sursaute, me cogne les côtes contre, contre quoi ? Dans l’obscurité, je suis perdu…
Ça est, je comprends tout le monde est parti se coucher et je suis resté avachi sur la banquette du carré contre la table
Blang !!! Je suis debout et vacille. Ce n’est pas Thor mais Neptune qui s’acharne contre Grotesque avec son trident. Sous la piqûre , Grotesque donne de furieuses ruades. Merde ! J’aurais dû m’amarrer autrement, me remettre au milieu de la pince de crabe après le chargement, j’aurais dû…
Alors que j’allume les feux de navigation, Claudie me rejoint dans la timonerie.
- J’aurais dû, commençai-je…
- Fais ce que tu as à faire, les « j’aurais dû», seront pour plus tard, tranche t elle.
Dans la lueur du feu tribord , le quai naturel , si accueillant cet après midi, bondit agressif et verdâtre, malsain.
Comment peut on faire de tels bonds dans cette crique qui semblait si protégée ?

" Seuls les paranoïaques survivent "
01-12-2015 à 20:19:32
Cool , il est Revenus



Oui et avec tes remarques aux sujets des Kalchs je me disais qu'en plus de désossé ma voiture ils voudraient aussi vérifier l'état de ...ma prostate

Finalement le passage à la Douane c'est 4 policiers qui se les gèlent, et qui agitent une torche : passez, passez ,passez, passez...

Bon j'ai le trac :demain mon chien doit être opérée

" Seuls les paranoïaques survivent "
02-12-2015 à 09:24:56
Comment peut on faire de tels bonds dans cette crique qui semblait si protégée ?
J’allume un des projecteurs, je le pivote vers l’entrée. Quatre vingt mètres plus loin sur notre arrière bâbord, de petites vagues de moins d’un mètre franchissent la passe d’environ 50 mètres de large en rang serré. La diffraction leur fait perdre de la hauteur, mais ces trains de vagues nous jouent une véritable partie de billard.
Le petit mètre qui franchit la passe vient frapper tangentiellement le quai où nous sommes amarrés cul vers l’entrée ( quel con je fais !) et là, le choc et l’angle combinés les transforment en de petites pyramides tueuses. Se précipitant contre notre tableau, elles lancent Grotesque en avant, puis le propulse vers le haut.
Quoi faire ? Quel est le bon choix , serrer les dents le temps que ça passe ou quitter ce quai de malheur ?
Larguer et sortir ? Avec nos fûts et tout ce bateau en vrac ! Larguer, pivoter, mouiller et amarrer l’arrière au fond de ce cul de sac entrain de se transformer en chaudron de sorcière au risque de se prendre une hélice dans une des amarres de notre toile d‘araignée ?
- J’aurais…, commençai-je.
Le claquement du traversier arrière se rompant, m’interromps.
- Réveille tout le monde, Claudie.
Mais déjà Blaise et Gaëlle surgissent de la coursive avant.
- Quelle heure est il ? S’informe Blaise.
- 11 heures.
Pourquoi demander l’heure dans un moment pareil ? Blang ! Les rappels sont si violents comme si Grotesque n’était qu’un vulgaire tapis qu’un géant voudrait arracher de dessous nos pieds.
Dehors, le vent n’est pas très fort, peut être 25 nœuds de NNW. Les monstrueuses claques de la poupe de Grotesques retombant sur une deuxième crête alors que la première, dans un bruit de succion, l'avait propulsé en l’air, me font bénir mon éternelle obsession du «trop fort n’a jamais manqué»
Déjà, les pare battages, laminés entre la coque et le quai naturel par ces incessants mouvements d’ascenseur fou, rendent l’âme dans de gros soupirs déchirants.
- Vite les pneus !
Nous avons à bord deux gros pneus pour amortir un éventuel remorquage difficile, au cas où ; et maintenant c’est sûr, il s’agit d’un «au cas où».
Alors que nous amarrons le pneu, la garde montante en polypropylène de diamètre 30 se déchire dans un bruit de paille; elle n’a pas supporté le trop faible rayon de courbure sur la bitte milieu arrière.
Alors que notre situation s’aggrave, les pyramides montrent leur vrai visage : des hyènes à la gueule écumante qui se précipitent à la curée. Dans de vaines ruades, Grotesque tente de leur échapper.
Lorsque une crête ne claque pas sur la poupe de Grotesque, c’est qu’elle s’est invitée dans le cockpit de pêche le transformant en une énorme machine à laver remplie et vidée en un instant d’eau mousseuse
Le deuxième traversier rend l’âme a son tour ; en plus du mouvement d’ascenseur ,Grotesque commence à louvoyer au gré du ressac, frôlant le rocher tour à tour avec son épaule ou sa hanche tribord. En temps normal, le haut des roches est à environ 1,80 mètre au dessus du niveau de la mer, maintenant, certaines crêtes effleurent le sommet de ce quai improvisé.
- Quel con je fais ! C’est impardonnable comme erreur, si … marmonnai-je en m’engouffrant dans la soute à voile.
Le choc me surprend à quatre pattes en train de larguer la glène de notre remorque, un nylon toronné de diamètre 32 mm, et me projette contre le bordé;
- Blaise !
- Ça va, ça va, c’est la bitte tribord milieu qui s’est plantée dans la roche.
- Et ?
- C’est tout, elle est toujours là, elle fait un peu la gueule…
Cette bitte, avec ses trois jumelles, est faite d'un rond de 100 mm fendue en T, s'emboîtant à la fois sur le bordé et sur une membrure, elle peut servir à lever le bateau... mais quelque chose va finir par péter, c'est obligé !
- Blaise, pends le bout et tire.
Alors que sur le pont, Blaise, aidé de Claudie et de Gaëlle tire, j'essaie de faire filer cette trop grosse amarre qui fait des boucles, se coince, ne vient pas. Je tire comme une bête, gueulant après les goussets, les lisses qui semblent vouloir m'empêcher de sortir cette putain d'amarre ; un peu plus, je trépignerais d'impuissance et de rage.
Ça y est ! Les cent mètres sont enfin sortis et étalés sur le pont, reste le plus risqué : sauter à terre pour aller doubler les amarres pointes avant et arrière.
- Tu ne vas pas sauter ?! S’inquiète Blaise.
- Je suis plus agile que toi, poursuit Gaëlle.
Alors qu'elle veut prendre son envol, je la rattrape sèchement par une aile.
- C'est à moi de le faire, point final ! Gueulai je avec ma voix de commandement, celle qui marche (parfois) avec Léo.
Là, je n'obtiens qu'un haussement d'épaule, c'est déjà ça.

Je grimpe sur le roof du carré puis un pied sur la batayole, l'autre sur le roof, en équilibre instable, j'attends le prochain mouvement d'ascenseur. Lorsque Grotesque arrive au sommet, je m'élance vers la tache de rochers éclairée devant moi. Grotesque a dû me botter les fesses, j'ai eu l'impression de m'envoler mais plus dure est la chute. Sur ce sol irrégulier, ma cheville droite se dérobe et mon genou encaisse une douloureuse torsion.
- Ça Va ?
- Ouais.
Vite porter cette amarre à l'arrière. De terre, le spectacle est dantesque : le cul de Grotesque jaillit un mètre au dessus des flots avant de plonger sous l'écume.
Alors, Claudie et Blaise qui tournent à présent la nouvelle amarre dans le cockpit de pêche ont de l'eau bouillonnante jusqu'à mi mollets ; la moitié du gouvernail se trouve parfois à l'air libre.
Comment font -ils pour rester debout ? D'ici cela semble être un tour de force.
J'arrive au niveau de la timonerie lorsque Isabelle en sort ; déséquilibrée instantanément, elle se rattrape à la batayole, malheureusement, au moment où Grotesque, gité, vient heurter les rochers.
- Attention  ! ta main...  !
La fin de ma phrase est couverte par le cri de douleur d'Isabelle. Grotesque s'écartant, j'observe la main qui lâche le tube d'aluminium. Dans la lueur malsaine, je compte : tous les doigts sont là.
Déjà le sang afflue, tachant cette main morte au bout d’un bras livide;
- Rentre dans la timonerie tout de suite ! Muriel Gaëlle, vous vous occupez d’elle;
Un nouveau rappel, très sec, ponctué de bruits sinistres me serre le cœur. A chacun de ces chocs, une invisible main m’enserre le cœur l’empêche de battre. Avez-vous déjà vu un pneu vrillé comme un simple chewing gum entre un quai et une coque qui l’écrase ? Son cri, si je vous jure qu’il crie, c’est un raclement douloureux et grave. C’est un concert lugubre qui se joue sous les étoiles : plaintes et cris mêlés des pare battages et des pneus qui souffrent, bangs sonores de la coque retombant sur les vagues, bruit d’écume et de ressac, chant des amarres qui vibrent sous un invisible archet et ce bruit particulier lorsque la tension les arrache de la mer, elles quelles recrachent l’écume en mincissant dangereusement.

- Tous les morceaux sont là et deux doigts de cassés, annonce Gaëlle.
- Et c’est sensé nous rassurer grommelle Muriel.
- Muriel et Claudie, vous sortez toutes les amarres. Blaise, tu me fais filer la grosse…
- Ne parle pas comme ça de ma femme, tente t-il de plaisanter Finalement, c’est ce que j’aime chez Blaise, ses bonnes ou mauvaises blagues en toutes circonstances.
- Ça y est, reprends le mou, gueulai-je à l’intention de Blaise après avoir tourné cette amarre autour d’un vénérable tronc.
Stupidement, en faisant mon tour mort, je songeais :« cela va abîmer l’écorce».
- Bon ! Maintenant il faut écarter Grotesque de la paroi, faire des bonds de carpe ce n’est pas bien grave si on arrête de toucher ce quai.
Mais comment porter une amarre 100 mètres au vent ? Nous n’avons pas de lance amarre. Un bref instant, j’ai eu cette idée stupide : «il faudra en acheter un » .Dangereux de mettre Zozo à l’eau dans ce clapot fou. Nager  ? J’en suis bien incapable.
- Et si tu prenais une ou deux bouées avec une bobine de garcette, tu fais le tour de la crique et tu laisses dériver vers nous, me crie Blaise cramponné à l’étai de trinquette.
- Ou alors en plongée, au fond ça doit moins bouger, propose Muriel.
Je me vois mal nager en pleine nuit au fond où le ressac doit se faire aussi sentir. Alors que Claudie ramène la bobine de garcette et l’enfile sur le manche à balai, Gaëlle les rejoints sur le pont avec une combinaison de surf.
- Mais Gaëlle, tu as laissé Isabelle, s’offusque Muriel.
- Je lui ai fait un pansement, les doigts cassés peuvent attendre. Je peux être plus utile ici, poursuit elle en s’emparant du bout libre de la garcette.
- Gaëlle, tu restes à bord ! Hurlai-je en direction des silhouettes qui montent et descendent Je vais finir par attraper le mal de mer à les regarder. Pour toute réponse, l’intéressée chausse ses palmes.
- Blaise ! Fais quelque chose, arrête la.
- Tu préfères y aller à sa place ? M’interroge t-il.
- Gaëlle !
Pour toute réponse, j’obtiens un geste du bras droit, geste à mi-chemin entre le salut ironique et le bras d’honneur.
Décidément, il n’y a pas que Léo qui n’en fait qu’à sa tête.
Et plouf ! Elle a sauté.
- Blaise, tu tiens le balai, Claudie, tu dévides.
- J’ai envie de mouliner, ce serait ma plus belle prise…
- Blaise, je t’ai entendu, sermonne Muriel.
- Muriel, envoies-moi une torche, demandai-je.
Je rattrape in extremis cette précieuse torche ; avant de m’élancer, j’ajoute :
- Muriel, suis Gaëlle au projecteur.
Courir à la lueur d’une torche sur ce sol inégal n’est pas une partie de plaisir. Mais lorsque je m’arrête pour jeter un œil en arrière, le spectacle de ce bateau fou, tout feu allumé,bondissant au ras de la roche me galvanise.
Gaëlle a parcouru un tiers du parcours si elle se trouve bien au centre du cône de lumière qui oscille sans cesse.
Je repars, mon genou douloureux me rappelle à l’ordre. Je trottine le plus rapidement possible. Comme disait mon grand père à 92 ans : « le coffre est bon mais c’est les genoux… 
En contournant l’extrémité Est de la crique, je me rends compte que Gaëlle semble faiblir. Elle n’a pas encore atteint le milieu de sa traversée. Pour ma part, je suis à mi chemin et le relief plus plat sur le Nord devrait me faciliter la suite.
Dorénavant, je cours en direction de l’ouest vers ce halo qui balaie la crique entre le bateau et la plage où Gaëlle devrait prendre pied.
Un coup d’œil vers le sol, un coup d’œil vers mon but, un coup d’œil vers… Vlan ! Je m’étale de tout mon long, mon menton heurte le sol, le claquement de mes dents résonne dans mon crâne comme un gros bourdon. Instinctivement, de ma langue, je vérifie mes dents et mes dents confirment que ma langue est toujours là. Si je courrais comme Léo avec la langue pendante, s’en était fini des cornets de glace italiens.
Tout en me relevant, je rectifie : «C’en est fini de toute façon».
La lueur me semble pas avoir progressé. L’inquiétude me donne des ailes, je cours sans quitter la flaque des yeux, la flaque de lumière ou parmi les crêtes doit danser la tête de Gaëlle. Mes pieds dotés d’une vie propre semblent deviner le terrain comme si un don atavique resurgissait.
Ça est ! J’arrive à la plage. Gaëlle se trouve encore à 25 mètres du rivage, ses mouvements sont terriblement lents, le courant la déporte maintenant sur la gauche. J’avance, de l’eau à mi cuisse.
Et je hurle :
- Ici, ici.
Cette eau fraîche qui soulage mes pieds et mes genoux me bousculant de droite à gauche s’acharne sur la nageuse.
- Allez Gaëlle ! Tu y es.
Jamais 25 mètres ne m’ont semblé si longs. Arrivée à 5 mètres, Gaëlle tente de prendre pied mais la mer la bouscule, la contraignant à venir à la nage jusqu’à moi. Je saisis son bras gauche et la tire vers la plage en l’aidant à se redresser. Muriel salue son accostage d’un tonitruant coup de corne de brume.
«Les espagnols, s’ils entendent, vont encore crier Au Malin, songeai-je.
Maintenant qu‘elle est là,en sécurité, les deux pieds bien plantés dans le sable, tête et dos courbés en avant, les mains appuyées sur les deux cuisses tremblantes, elle cherche son souffle.
Ma colère revient, ma colère et ma peur ; je commence :
- Je t’avais dit…
D’une main elle me zappe sur «Pause», puis tombant à genou, elle vomit de fatigue…Ma colère s’envole plus vite qu’elle n’avait surgi et je tente de plaisanter :
- Tu n’as pas honte, une si bonne grillade.
- Je… Whoua !!! Je regrette surtout la champagne… Whoua !
- Toutes les mêmes, le luxe…
- Non…, la viande … il y en a qui court partout alors que le champagne.

Là, on frise le surréaliste comme scène : en pleine nuit, une femme en combinaison de surf vomissant à quatre pattes sur une plage et qui pleure son champagne. Le coup de sifflet strident de Blaise me ramène à des choses moins légères. Je détache mon regard de la silhouette inquiétante que Gaëlle projette sur le sable, clouée qu’elle est par le faisceau du projecteur comme l’ombre démesurée d’un lièvre pris au piège dans les phares d’une voiture.
Lorsque je dénoue la garcette de sa taille, Gaëlle est encore secouée d’un spasme mais l’estomac vide ne lui apporte plus de soulagement
Je commence à haler sur ce fin cordage. Tout de suite, l’effort nécessaire me surprend ; un courant, le frottement sur le fond ? Main sur main, le messager remplit son rôle. Là bas, Blaise et Claudie font filer le polypropylène de diamètre 28. Malgré qu’il soit flottant , je commence à forcer pour gagner mètre par mètre. Après avoir déhalé une soixantaine de mètres, mes bras commencent à se faire prier.
- Bon Gaëlle, quand tu veux sinon c’est moi qui vais souffler comme un phoque .
En me rejoignant, elle ne peut s’empêcher de lâcher :
- Alors le macho, besoin d’une femme faible ?!
- Tais toi et tire .

A force d’onduler sur les crêtes, le long serpent vert pale finit par se lover sagement à nos pieds. Lorsque j’estime sa longueur suffisante, poing tendu, je fais signe à Claudie : «Tiens bon ».
Puis je traîne le cordage jusqu’au premier rocher digne de ce nom auquel je l’amarre. Après avoir garni les points de portage de quelques bouts de bois flottés , je fais signe à Blaise qu’il peut reprendre le mou.
- Allez Grotesque, encore un effort, tiens encore un peu…
- Isabelle a raison, tu parles tout seul, note Gaëlle.
- Va plutôt te rincer le visage, tu aurais pu te mettre sous le vent !
- Ah beurk !…
Là bas, sous le puissant éclairage des feux de barres de flèches, Claudie et Blaise s’activent à gréer une patte d’oie sur les deux bittes du milieu.
«Bien songeai-je, l’on pourra doser l’angle de Grotesque.»
Sur le pont, les deux petites silhouettes s’arque-boutent sur l’amarre et doucement elle se tend.
- Ça est ! Grotesque peut continuer à bondir autant qu’il veut, maintenant la falaise n‘est plus un danger.
- Tu me parles ou tu te parles ? Me nargue Gaëlle.
Un dernier coup d’œil à l‘amarrage et aux fourrages improvisés, cela devrait le faire ; cette nuit, beaucoup de nos désormais irremplaçables cordages vont souffrir.
- On va avoir un problème, me fait remarquer Gaëlle.
- Oui, tu n’as pas de chaussures compte pas sur moi pour faire le sherpa.
- Non, c’est pour remonter à bord, Grotesque sera trop loin du quai.
Devant mon silence, elle poursuit :
- on devra y retourner en se déhalant sur l’amarre…
- Tu rigoles, l’interrompai-je en lui désignant l’amarre hors de l’eau sur seulement un tiers de sa longueur, le reste écrêtant les lames et l’instant d’après surplombant le creux suivant.
- Tu as vu dans l’état où tu es arrivée, allez en route.
- Tu me portes ?
- Eh, il n’y a pas écrit «Hulk» ici, répliquai-je.
- Je plaisante, par contre tes chaussures …
- Bon maintenant c’est la Grande vadrouille.
Tout en marchant, je poursuis :
- Pour être équitable, je veux bien t’en prêter une comme ça demain nous boiterons tous les deux.

Mon genou oublié pendant l’action se rappelle à mon bon souvenir ; nous avançons précautionneusement, il ne faudrait pas se casser quelque chose.
- Oui, mais par galanterie tu devrais me donner la paire, continue Gaëlle.
- Bon, je t’en prête une : la gauche ou la droite ? Tranchai je en m’arrêtant.
Le projecteur de Grotesque qui essaie de nous suivre depuis notre départ de la plage, éclairant alternativement la voûte céleste et la crête des vague, surpris par notre arrêt nous dépasse puis revient brusquement vers nous. Si je ne voyais pas Claudie sur le pont en train de peaufiner les amarres,
j’aurais pu croire que la jalousie guidait la précision du projecteur.
Nous reprenons notre progression, clopin clopan, chacun perdu dans ses pensées.
- Ça pourrait être une nuit sympa.
- Si je n’avais pas été assez stupide pour laisser Grotesque le long du quai, oui cela aurait pu.

Alors que nous tournons l’extrémité Est de la crique, le projecteur nous perd de vue, son faisceau est en partie masqué par le mât de misaine. Quelqu’un, Muriel sans doute l’éteint. Cette brusque obscurité me replonge dans mes craintes d’enfant lorsque, pédalant dans la nuit sur des chemins de campagne, mes cheveux hérissaient sous la peur du noir inconnu et à nouveau j’ai cette sensation bizarre que du fond des ténèbres un regard incisif se plante là, juste entre mes deux omoplates.
Le murmure de Gaëlle me fait bondir ; j’ai du perdre tous mes derniers cheveux tellement la trouille les a faits se dresser violemment
- C’était plus sur par la mer, souffle t’elle à mon oreille.
Elle a raison, si les espagnols, attirés par ces lueurs qui trouent la nuit, sont là tapis parmi les rochers ou derrière un tronc …, Ça a bougé Non ?! Mais comme je suis l’homme, (de moins en moins, la peur ayant apparemment le même effet que l’eau glacée sur mon anatomie...) je réponds d’une voix que je veux ferme et assurée  :
- Pas de gamineries, Gaëlle, il ne reste que cent cinquante mètres.
- Ouais, mais en serrant les fesses ils vont être longs.
Trente mètres plus loin, un souffle dans la nuit fait hurler Gaëlle. Je parviens à bloquer dans ma gorge un cri qui se transforme en un curieux gargouillis. Je reconnais l’ombre des mulets juste avant de me ridiculiser.
- Tu peux me lâcher ? Demandai-je à Gaëlle qui m’a planté ses ongles dans l’avant bras en m’agrippant. Ceux ne sont que les mulets.
- Fais le fier, je suis sure que tu as eu la trouille, attaque t-elle.
- Moi, Peur ! Mais de quoi ? Ajoutai-je faux jeton jusqu’à l’extrême en désignant l’obscurité d’un geste circulaire.
- Donne moi la main, insiste t-elle
- La grande fille et son doudou pour t’endormir, narguai-je.
- Non, pas pour m‘endormir, j’ai mieux.
La pression de sa main dans la mienne est plus qu’explicite. Courage fuyons !
- Allez, accélère un peu , biaisait je.
- Ah, Ah ! Pas peur du noir, mais peur d’une blanche.
- N’ajoutes pas «colombe» ou je pleure de rire.
Puis chacun replonge dans ses pensées fendant les quelques dizaines de mètres qui nous séparent de Grotesque, bondissant.
- Ça va être chaud, remarque Gaëlle.

Grotesque continue son manège de cheval fou comme s’il cherchait à désarçonner les silhouettes de Claudie et de Blaise qui nous font face, cramponnées aux batayoles à un mètre cinquante du quai.
- C’est toi qui l’as faite hurler ? Questionne Blaise goguenard.
- Mais oui, bien sur, en marchant dans le noir sur des rochers ironisai-je.
- Tu aimes les émotions fortes ? Demande Claudie.
A l’intonation, on imagine un policier, campé sur ses jambes, qui frappe la paume de sa main gauche avec la matraque brandie par sa main droite.
- Oui et c’n’est pas fini, croit bon d’ajouter Gaëlle en désignant la tranchée écumante qui nous sépare.
- Tu vois ça comment ? Questionne Blaise.
- Ben, a part sauter et vous nous cramponnez, précisai-je tout en songeant :
«Avec son trait d’humour, Gaëlle risque de se faire repousser à la mer… »
- Allez Gaëlle, dans mes bras, hurle Blaise hilare.
Ça y est, Gaëlle est déjà debout sur le pavois, accrochée par Blaise et surtout par Claudie qui visiblement cherche à laisser sa marque dans sa chair.
- Allez Patrick ! Montre leur que les vieux peuvent encore sauter, dans mes bras grand fou.
- Ah ! Blaise ton humour….
Grotesque remonte, semblant venir à ma rencontre. Je saute, mon pied droit prend contact avec le pavois, mes genoux me tirent une grimace, mais je suis à bord tenu par une multitude de bras. J’ai l’impression de me jeter à l’encontre de Shiva
Les mouvements, du pont, me semblent plus faibles. Sans doute, suis-je soulagé que Grotesque ne tosse plus.
- Gaëlle, viens voir les doigts d’Isabelle, réclame Muriel depuis la porte de la timonerie.
Je fais un dernier tour sur la balançoire qu’est devenu le pont de Grotesque, vérifiant les fourrages de nos précieuses amarres. Puis je bosse un brin de la patte d’oie et reprends un peu de mou avec l’aide d’un winch. Mon œil accroche le cadran de la montre d’habitacle, la grande aiguille en plein sur la zone «silence» indique 32 minutes ; déjà minuit et demi.
Assis dans la timonerie en compagnie de Blaise étrangement silencieux, j’essaie d’accompagner les mouvements de Grotesque, rentrant la tête dans les épaules ou serrant les poings à chaque monstrueuse claque de la poupe retombent à contretemps sur une crête.
Dans le carré, j’entends Gaëlle demander à Isa :
- Tu préfères les agrafes ou les strips ?comme si elle lui proposait un menu.
Et puis la nuit a doucement glissé, les vagues se sont calmées et enfin la lueur du petit jour éclaire chacun là où la fatigue l’avait saisi. Avons-nous dormi ? Sans doute mais de ce sommeil transparent qui laisse filtrer tous les bruits inquiétants de la réalité pour mieux souligner nos cauchemars.
Cette aube nouvelle illumine un champ de bataille où les rescapés se regardent, heureux d’être là mais trop grognons pour parler., Tout au moins jusqu’à ce que Muriel lance un , au moment précis où le soleil darde ses premiers rayons droit dans la timonerie :
- Je mangerai bien quelque chose moi !
Le voile de l’angoisse est déchiré, le cocon de la nuit libère enfin un nouveau jour flamboyant, la peur est vaincue.
Sans concertation, chacun s’affaire : Claudie et Muriel à la cuisine, Gaëlle auprès d’Isabelle, Blaise et moi sur le pont rangeant et saisissant notre capharnaüm.
L’oreille collée au fut, Blaise s’interroge à voix haute :
- Vont-elles survivre ?
Les tonneaux sont sanglés dans l’angle formé par les batayoles à l’arrière, chacun d’un bord, souqués à mort dans leur coin par deux sangles à cliquet.
- A table ! Ptit déj.
C’est un petit déjeuner vite expédié pressés que nous sommes de quitter le piège de cette pince de crabe.
Dès la dernière tartine, il nous faut moins de quarante minutes pour tout larguer et embouquer la sortie, impatients de retrouver notre île sans doute.
Travers à l’Alizée revenue, nous déroulons nos deux génois, Grotesque gîte doucement avant d’allonger sa foulée… Cap sur la prochaine perle du chapelet antillais.

Trois jours que nous musardons, toujours émerveillés par ces côtes épargnées de la gangrène du béton, ces plages pareilles qu’au premier matin du monde. C’est la paix, on s’assoit et l’on contemple.
Les deux premières nuits, échaudé par mon erreur dans la pince de crabe, j’ai privilégié les baies ouvertes et les mouillages assez loin de la côte. Mais finalement, cette mésaventure s’avère être un précieux rappel acquis à moindre frais :
- Les doigts d’Isabelle ne garderont que quelques cicatrices, une chance incroyable, un centimètre plus près de la roche…,
- La bourlingue martyrisée, la batayole un peu tordue, trois amarres à épisser (si je n'ai pas oublié comment faire), rien de grave.
Ce soir, je m’enhardis de nouveau et je dirige Grotesque vers le fond d’une longue baie bordée de sable. Notre carte nous prédit un joli fond de sable et cinq mètres d’eau à une encablure de la plage.
Alors que nous arrivons à proximité du point choisi pour mouiller, le sondeur s’affole.
- Nous passons au dessus d’une grosse roche, s’exclame Claudie à l’étrave.
- 3,80 m, 4 m, 5 m, récite Blaise assis face au sondeur.
- Tu es à nouveau sur du sable, confirme Claudie.
Je laisse encore avancer Grotesque d’une quarantaine de mètres afin que ce rocher non cartographié reste hors de son rayon d’évitage, puis :
- Mouille.
Le fracas de la chaîne qui plonge à la poursuite de l’ancre trouble un bref instant la sérénité du lieu.
- Tiens bon.
A nouveau le silence prend possession du lieu.
Le bruit de la chaîne, puis du rouleau de mouillage qui se plaint : Ça y est. Le pied sur la chaîne pour y déceler quelques tremblements, Claudie me confirme d’un geste que le mouillage a bien rappelé.
- Rhum pour l’équipage, réclame Blaise.
- Ah ça faisait longtemps, note Muriel
- Ben, j’épargne les stocks, se justifie Blaise.
- T’as raison, mais il sera épuisé avant que l’on soit capable d’en distiller…commençai-je.
- Oui, c’est ça l’on pourrait distiller, s’enflamme Blaise.
- Tu as déjà le coq à présenter à tes poules, les ruches à améliorer parce que ces trucs en paille torsadée, ceux ne sont pas des ruches, des ruches….
- Redis ça Muriel, l’interrompt son mari.
- Les ruches…
- Non avant.
- Tes poules ?!- Ah oui ! Et maintenant appelle moi Monsieur Blaise, poursuit il
- Tu vas voir un peu, monsieur !
Plouf, plouf, plouf !!! Blaise n’a pas résisté à la charge de sa femme et Léo, fidèle à son habitude, n’a
pas résisté à les rejoindre.
- Il faudrait qu’il pleuve, se lamente Claudie, en songeant sans doute à toute l’eau nécessaire pour le rinçage de sa grosse peluche.
- Attendez moi ! Hurle Gaëlle avant de plonger à leur suite.
- Pendant qu’ils batifolent je vais voir si je me rappelle assez bien des épissures.
- Ça m’étonnerait, tu dis toujours que tu perds la tête…
- Isabelle, silence et un peu de respect ou tu vas finir à l’eau !
- Tu ne peux pas, me nargue t-elle en exhibant ses doigts enturbannés
- Oui mais je note cela à ton débit ; Claudie écris : «jeter Isa à l’eau dès que possible  ».
Puis je m'atèle à mon travail : bien surlier, couper les queues de vache, surlier les torons et… Et nous y voilà : heum ! Celui-ci sous celui là et le deuxième…sous l’autre.
- Tu n’as pas l’air sur de toi, t’as pas un livre ? Demande Isabelle.
Elle a raison, il va falloir «tricher ».
Toute honte bue, je mets les pouces et lui dis où aller chercher le livre et c’est sous ses conseils que je finis cette épissure dans les règles de l’art. Fier de moi, je contemple encore le résultat de mon travail lorsque le trio accompagné de Léo rejoint le bord
- le rocher, ce n’est pas un rocher, m’informe énigmatique Gaëlle.
- Encore une épave ?
- Non, j’ai plongé qu’une fois…je préfère, nous verrons demain, là il commence à faire sombre, conclut elle visiblement troublée.
C’est vrai, le crépuscule s’installe déjà.
- Les tropiques et leurs nuits qui tombent sans crier gare, je trouve ça frustrant, continue Muriel.
- Bon ! Le Rhum, vous le voulez toujours sinon je finis les verres, s’exclame Claudie.
Le chœur des soiffards lui répond avec un tel ensemble :
- On arrive !

" Seuls les paranoïaques survivent "
02-12-2015 à 20:49:10
Ce matin, je suis tombé du lit ; à nouveau assis dans le cockpit de pêche, j’essaie les épissures, sous l’œil bienveillant de Léo.
- Toi au moins, tu ne te moqueras pas, hein mon gros !
- Oui, mais il ne lira pas l’explication non plus, ironise Gaëlle
- Tu es tombée de ta couchette aussi ?
- Il faut que j’aille voir ton rocher de plus près…précise t elle avant de prendre dans le coffre palmes masque et tuba.
- Il n’y a que 3,80 m, tu peux regarder de la surface.
- Non, non je veux être sure à 200 %, jette t elle avant de sauter à l’eau.
Bon, ce n’est pas moi qui ferais cela au saut du lit. Gaëlle émerge, rajuste son masque et crawle doucement vers le rocher mystère. Je regarde doucement onduler ses hanches au rythme de sa nage, songeur…
- Je vois que nous avons les mêmes pôles d’attraction ou devrais je dire hémisphères d’intérêt remarque Blaise narquois en s’asseyant près de moi.
- Si elle pouvait revenir en dos crawlé pour nous montrer toute l’étendue de sa …technique, poursuit il…
Avant que je n’ai pus lui répondre, Léo s’élance en grognant vers l’étrave. Au loin, sur la plage; vient d’apparaître un groupe d’indigènes qui porte à ce qui ressemble à une pirogue à balancier.
- Gaëlle revient, crie en vain Blaise.
A 40 mètres de là, Gaëlle vient de plonger; Je prends un plomb de plongée et je frappe violemment sur la coque. Deux secondes plus tard Gaëlle émerge.
- Reviens vite, intime Blaise
Gaëlle obtempère et crawle Dans notre direction. A Blaise qui, apparemment a plus d’autorité que moi, je lance :
- Faudra te contenter du côté pile.
- Tant pis, soupire t’il avec le tête d’un enfant auquel on supprime un dessert.
Les pieds dans l’eau, les indigènes ont déjà mis la pirogue à l’eau. En entrant dans la timonerie, je lance à la cantonade :
- On ferme tous les capots, de la visite !
Je porte les jumelles à mes yeux en négligeant la question inquiète de Muriel :
- Ils sont nombreux, armés ?
- Il y en a cinq sur la plage avec des sagaies et un seul sur la pirogue sans arme semble t-il, la rassurai-je en lui tendant les jumelles.
Dès la voile hissée, la pirogue s’envole littéralement et cinglant droit devant vers Grotesque et sa figure de proue rousse et hérissée ; Léo, visiblement, voudrait en découdre.
- Léo, ici, ordonne Claudie.
La pirogue n’est qu’à trente mètres lorsque Gaëlle rembarque, aidée par Blaise.
- Curieux sa voile, remarque Isabelle.
- Ben, c’est une voile…commence Muriel.
- C’est ça qui est curieux, insiste Isa.
La frêle embarcation rase notre arrière et lofe au moment où Blaise et Gaëlle se ruent dans la timonerie. L’indigène affale sa voile et mouille une pierre trouée qui lui sert de mouillage. Visiblement, il n’a pas d’arme. J’ouvre la porte tribord de la timonerie et j’observe cet homme d’environ 35 ans, assis sur sa pirogue à cinq mètres de moi.
Dans mon dos, j’entends le commentaire du reste de l’équipage :
- Il est châtain clair, remarque Muriel.
- Sa voile, on dirait de la toile à spi, note Isa.
- Patrick…, ton rocher…ce n’est pas halète Gaëlle
Sans doute lassé par mon silence, l’homme m’interpelle d’un :
- Hello ! How are you ? Avec un très fort accent du Middle West.
- Fine. And you ?
J’ai répondu sans réfléchir malgré l’absurdité de la chose. Depuis quand un indigène, mais en est il un, parle l’anglais.
- Where are you come from. ? Enchaîne-t il
- Martinique and before from. Bahamas.
- Ah ! Vous êtes français ?
Ce n’est pas le fait que mon effroyable accent lui ait révélé mes origines qui me laisse sans voix, mais là c’est comme si, arrivant au 19e siècle au fin fond de l’Amazonie, l’indigène du coin te lançait :
- Salut mon vieux ! Tu t’enfileras bien un petit verre de blanc !?
- Encore un ! Résume Blaise dont les neurones sont plus vifs que les miens.
- Ton rocher, c’est un avion, révèle Gaëlle ayant enfin repris son souffle.
A la lueur dans les yeux du type, je vois qu’il jubile de son effet en restant silencieux.
- Ça l’amuse, glissai je à Blaise.
- Il a intérêt à savourer, ce n’est pas demain qu’il aura un prochain touriste.
A mon tour de m’amuser un peu :
- Alors comme ça, vous êtes pilote ?
Aucune réaction, je suis déçu;
- Patrick, l’avion était là avant sa naissance, vue l’état dans lequel où il se trouve, précise Gaëlle.
- J’ai perdu une occasion de me taire, notai-je à haute voix.
- Pas exactement, rectifie le visiteur, il s’agit bien de mon avion, un Avenger, modèle ?????
- Un modèle de collection, m’exclamai-je.
- Pas du tout, lorsque j’ai amerri ici, poursuit il en désignant la direction de notre rocher, il était neuf.
A nouveau, je décèle cette lueur ironique dans son regard. : score 2 à 0 pour l’inconnu.
- Patrick, ce n’est pas vrai. J’ai plongé sur pas mal dépaves de la dernière guerre avec… avec Armel et celui là est à peu près dans le même «état. Ce gars nous prend pour des billes.
- Si c’était lui qui pilotait, il devrait avoir… 80 ans, précise blaise en s’activant sur le clavier et cherchant le modèle de l’avion.
L’inconnu finit par éclater de rire.
- Il s’est bien amusé, maintenant il va nous expliquer sa supercherie, jette Claudie.
- A moins qu’il ne soit fou, souffle Muriel.
- Ah, Ah, Ah ! Apparemment, vous ne savait pas, vous n’avez pas encore compris ! Permission de monter à bord ? Demande le pilote, des larmes de rire au bord des yeux.
- Accordée, répliquai-je en saisissant l’amarre qu’il me jette.
Cette fine cordelette que je tourne entre mes doigts est certainement en… nylon tout comme sa voile légère qui me rappelle… C’est çà de la toile à parachute. Tout s’explique, son père ou son grand père était pilote de L’Avenger!!!
- Allons nous asseoir à l’ombre, proposai-je en désignant la dunette.
Nous sommes vite rejoins de l’équipage complet précédé d’un Léo, qui tête et panache dressés affirme son autorité. Muriel lance un timide :
- Hello !
Auquel notre invité répond par :
- Jack. My name is Jack, Captain Jack Johnson de l’US Air Force.
Soit il n’a plus toute sa tête, soit il se prend pour son grand père me glisse Claudie.
- Ou alors il est arrivé il y a peu, comme nous, mais l’avion est là depuis belle lurette, poursuit Gaëlle.
Nous détaillons Jack parlant avec Muriel et Isabelle visiblement captivé par le décolleté de la première :
mince, cuit par le soleil, les cheveux châtain clair, décolorés par la mer et le soleil, noués d’une fine cordelette ; torse nu sur lequel bat un collier fait d’un fouillis de grigris et de deux plaques gravées en alu, ces fameuses plaques pré découpées.
- Et si il disait vrai ? M’interrogeai-je.
- Ce n’est pas possible, pourquoi son avion serait il là depuis longtemps et lui, lui il à quoi : 35 ans ? S’énerve Gaëlle.
- En clair, il n’était pas né quand l’avion a amerri, conclut Claudie.
Jack, tout en laissant traîner ses yeux dans le corsage de Muriel, devait prêter une oreille indiscrète dans notre direction car il réplique aussitôt :
- Bien sur que c’était moi le pilote ; d’ailleurs, lisez mon nom, poursuit il en nous tendant une des plaques.
En saisissant l’autre plaque, je lis «Edward Culligan». Je demande :
- Pourquoi ne seriez vous pas Edward ?
- Edward s’est suicidé il y a 25 ans. Demandez moi l’autonomie, le plafond, la vitesse… des Avanger, réplique Jack.
- Je me contenterai des noms des quatre autres pilotes, interpelle Blaise qui sort du carré, une feuille fraîchement imprimée à la main. Le moment doit être grave pour qu’il ait sacrifié une précieuse feuille blanche et l’inestimable contenu de la cartouche d’encre. Jack, sans hésitation, énumère les noms, les surnoms des quatre autres pilotes, les immatriculations des cinq appareils et termine par sa date de naissance : 15 août 1920, sûr de son effet.
Silence, silence d’incompréhension totale… Les regards échangés traduisent l’affolement des rouages cérébraux essayant d’analyser deux informations contradictoires : 2003 - 1920 = 83 ans. Oh, rien d’extraordinaire jusque là mais Jack a au maximum 35 ans et là, les rouages se grippent et ma mâchoire tombe.
- Donc, vous avez ….commence Isabelle.
- Bientôt 83 ans et je suis ici depuis 58 ans, termine Jack.
- Mais ce n’est pas…
- Possible ? Mais toi Isabelle quel age as-tu ? Poursuit Jack.
- 12 ans.
- Et pourtant tu en sembles 8, c’est possible çà ?
Avant de poursuivre à l’intention de Blaise et de moi-même :
- Votre barbe ? Vous la rasez tous les combien ? 10 jours, 15 jours, et vos ongles, vous les coupez tous les trois mois ?
Ma barbe, je ne me rappelle pas l’avoir coupée depuis la France. Mes ongles ? Nous regardons tous nos mains, depuis quand ?
Nous sommes assommés par ces révélations, quelque chose nous échappe, ce n’est pas possible;
- Qu’est-ce qui nous prouve que vous n’êtes pas un fou qui affabule, contre attaque Claudie.
- Mais vous-mêmes Mesdames, n’avez-vous pas noté quelques changements ?
- Le stress, le changement d‘alimentation peuvent justifier…commence Gaëlle vite interrompue par Jack.
- Et les câbles inox, les ridoirs, le radar, l’antenne BLU, rien ne m’étonne, n’est-ce pas une preuve ?
- Non, mais ça Oui ! Assène Blaise en nous montrant le recto de sa fameuse feuille où figurent les cinq photos des pilotes dont celle du Captain Jack.
A moins d’un improbable sosie, d’ailleurs l’émotion de Jack en voyant ces photos coupe court à la discussion.
- J’avais presque oublié leur visage, parvient il à dire, les yeux humides.
- Que sont-ils devenus ? Demande Isabelle
- Edward, comme je vous l’ai dit, s’est suicidé il y a 25 ans ; il n’a pas supporté de voir ses amis, sa femme vieillir alors que lui… Celui là a raté son amérissage, l’avion s’est retourné sur le toit ; iI est enterré sur la plage un peu plus loin. Les deux derniers ont construit une grande pirogue en espérant rejoindre le
« pays» même si ce n’était pas encore le pays. Moi, j’ai choisi de rester ici jusqu’à la fin.
Blaise rompt le silence pesant par une remarque optimiste :
- Au moins, un point positif à toute mascarade : notre temps est moins compté.
- Comment est-ce possible, comment le temps peut il s’écouler de manière différente pour deux personnes ?
- Et si le temps était une rivière avec ses veines de courant, ses contres courants ? Nous aurions pris un contre courant de 2003 à 1552 et maintenant nous sommes dans une veine plus lente, près de la berge.
J’interromps Blaise :
- Et qui y a t-il sur la berge ? Quelques dieux hilares qui nous regardent vivre et disparaître ou quelques
savants fous qui notent soigneusement nos altérations physiques et psychiques.
- Ah Patrick ! Toujours aussi optimiste.
58 ans sur cette île, même paradisiaque, çà doit être long, songeai-je avant de demander à Jack :
- Avez-vous vu d’autres égarés ?
J’ai failli dire «touristes».

" Seuls les paranoïaques survivent "
03-12-2015 à 09:51:33
- Vous êtes les troisièmes. Il y a eu une famille il y a 40 ans et un couple sur un, comment disaient ils ?
Un trimaran il y a une trentaine d’années. Mais vous, vous êtes le groupe le plus important et surtout le premier avec un si beau chien.
Léo, l’air hautain, sourcils levés, dévisage Jack. Il semble lui dire :
«Tu ne m’auras pas à la flatterie et si tu bouges, je te croque ».
Jack, qui avait avancé la main pour une éventuelle caresse renonce devant le regard sombre de Léo. Il n’y a que six personnes dans sa meute, point final. Tout étranger n’est pour lui qu’une menace qu’il faut surveiller et qu’il éliminera si on le laisse faire. C’est le côté Dogue du Caucase un peu pénible au 20 eme mais ma fois fort utile au 16 eme.
- Bon, va falloir que je retourne à terre, lance tout à trac Jack.
A t-il eu peur de finir dans l’estomac de Léo ?
- Vous ne voulez pas rester ? Offre Claudie, surprise par cette brusque décision.
- Rester ? Non, ma vie est là ; après 58 ans je suis vraiment de ce siècle. Au fait, avez-vous la date exacte ?
- Nous sommes le ????? 1552, c’est toujours bizarre à dire, répond Isa avant de poursuivre :
- Si votre théorie est juste, je ne serais adulte, je veux dire je n’aurais mon corps de 18 ans que dans….8 ans et 18. Et….
- Dans 55 ans 9 mois et 18 jours, termine Blaise qui a toujours été le plus à l‘aise avec les chiffres.
- je vais regretter que pour nous le transfert n’ait pas eu lieu plus jeune, ajoutai-je en m’emparant de la calculette, une idée venant me traverser l’esprit.
Après avoir pianoté sur les touches, je ne peux m’empêcher de laisser fuser un :
- Merde ! Isa, si ton corps est fait pour vivre 80 ans, cela te propulsera jusqu’en 1979.
- Je pourrais revoir mes parents jeunes !
- Mais alors ? Pourquoi personne n’a jamais rien dit ? Doute Claudie.
- Cette question me torture depuis 58 ans, pourquoi personne n’a jamais laissé de traces ? Renchérit Jack.
- Soit ils ont fini sur les bûchers ou à l’asile suivant les époques ou alors des «Men in black  » se chargent de les réduire au silence dès qu’ils parlent.
- Décidément, toujours aussi optimiste Patrick conclut Blaise.
- Vous voyez, c’est pour cela que je préfère rester avec mes amis Caraïbes vivre au jour le jour, honorant le soleil et le jour nouveau sans prise de tête. Je vais vous laisser, poursuit Jack en se levant.
- Avez-vous besoin de quelque chose, s’enquiert Claudie.
- Si vous avez du fil et des aiguilles pour mes voiles ; mon plaisir, c’est tirer des bords dans cette baie. J’ai encore un parachute intact mais le problème c’est de pouvoir faire des belles coutures.
- Faites attention Jack les Espagnols sont de plus en plus présents. Etes vous armés ? Met en garde Blaise.
- J’ai mon colt et celui d’Edward, quatre chargeurs et des munitions vieilles de 58 ans.
- Je doute qu’elles fonctionnent encore, précise Jack.
- C’est du 45 ? Demandai-je.
- Oui, le colt réglementaire.
- Alors, j’ai quelque chose pour vous, lançai-je avant de me diriger vers ma cabine.
Blaise me rejoint alors que je sors une boîte de cartouche de 45 ACP.
- Je croyais que tu n’avais que du 9 mm ? S’étonne t-il.
- Tu sais, entre tireur ou collectionneur… j’avais récupéré 500 à 600 douilles de 38 spécial pour un collègue qui m’a donné en remerciement ses 45 ACP, inutiles pour lui et jusqu’à aujourd’hui c’était aussi inutile pour moi.. C’est curieux, j’ai ces cartouches depuis six ans, je les ai gardées…juste pour Jack. Bizarre les chemins du destin.
- Vous ne voulez rien d’autre ? Chocolat, miel, savon, s’inquiète Muriel.
- Un chiquo, un cigarillo, poursuit Blaise.
- Non merci. Je sais à quel point toutes ces choses du quotidien sont importantes pour vous qui allez les voir disparaître une à une…Il m’a fallu des années pour ne plus rêver d’un bon whisky, ne plus regretter une simple fourchette en inox ou un peu de musique. J’ai été heureux de vous rencontrer mais je préfère rejoindre… ma tribu. Si vous restez quelque temps au mouillage, je ne reviendrais pas, trop de souvenirs reviennent.
Avant que Jack n’enjambe le pavois pour rejoindre sa frêle embarcation, nous échangeons une de ces rares poignées de mains pleines de force, de franchise et de fraternité.
Juste avant de border sa voile, Jack nous lance un dernier salut.
- Allez en paix et Got bless you !
Puis sans un regard de plus, d’un seul bord il rejoint la plage où ses compagnons l’accueillent avec exubérance.
- La tribu, le groupe doit être uni pour survivre…constate Blaise.
- Ouais, mais c’est dommage qu’il parte si vite, soupire Gaëlle.
- Plains toi, tu as quatre parents qui veillent sur toi et te dorlotent, tente de plaisanter Muriel.
- Oui, mais moi j’aimerais un peu plus…d’inceste, réplique Gaëlle.
Un ange s’enfuit, horrifié alors qu’un petit diablotin chuchote des insanités à mon oreille gauche.
- Bon Gaëlle, retourne donc te baigner, c’est bon pour ce que tu as ! Assène Claudie avant de rejoindre la cuisine.
- Qui m’aime me suive, crie Gaëlle avant de disparaître dans une gerbe d’écume suivie de très prés par… Léo, que je n’ai pas pu retenir à temps.
- Je n’ai pas vu de vapeur, note Blaise, amusé.
- Pense à autre chose sinon c’est par les oreilles qu’elle va te sortir, lui conseille Muriel avant d’à son tour se mettre à l’eau.
- Vivement que ce soit cicatrisé, se lamente Isabelle avant de poursuivre :
- Si Jack dit vrai et si je vis assez longtemps, tu es sûr de tes calculs ? De 1552 à 1979... Cela me donne le vertige. Toutes ces guerres, ces épidémies dont je saurais à l’avance la venue.
- Mais il y aurait aussi tous les progrès que tu attendras avec impatience, les lunettes, l’électricité, la radio, les ordinateurs…
J’interromps Blaise :
- La pollution, la bombe atomique, … on sera finalement très bien ici et maintenant, lorsque, comme Jack, nous aurons pris nos distances avec tous les petits bonheurs de la vie «moderne».
Mais en serons nous capables ?
- Tu sais mes chicos, j'arrive presque à les oublier, constate Blaise.
- Et bien, venez boire du thé et beurrer vos tartines tant qu'il en reste, tranche Claudie.
- On remonte Léo et on arrive. Allez Léo, ici !
- Pu..in qu'il est lourd l'animal ! Souffle Blaise alors que nous aidons le « fauve» à remonter à bord.
Vexé de ce commentaire, Léo nous octroie pour tout remerciement qu'une bonne douche, rythmée par le claquement de ses oreilles.
- Je suis déçue, seuls Léo et Muriel m'ont suivies, feint de se lamenter Gaëlle.
- On voit que tu ne connais pas encore ces deux gaillards là, je suis sûre que par la pensée ils étaient à l'eau avant toi ; mais ils sont prudents, réplique Muriel.
- On est surtout vieux, ma chérie, corrige Blaise.
- Muriel, arrête de les encourager ou je te prive de dessert, menace Claudie en passant les plats par le hublot de la cuisine.
Devant ce petit déjeuner copieux et tardif, les aliments nous semblent avoir plus de saveur qu'à l'accoutumée. Sans doute, l'inexorable disparition de ces saveurs au fil des années que Jack nous a assuré devoir être six fois plus nombreuses, nous fait prendre conscience de tous ces petits plaisirs que nous allons perdre.
Réfléchissant à haute voix, Blaise marmonne :
- Je suis sûr de pouvoir faire du bon chocolat si j'ai des cabosses.
- Ah, le plaisir de laisser fondre un précieux carré entre la langue et le palais, soupirai je
- Même si je voyais un cacaotier, je ne saurais pas le reconnaître. Je suis de la génération qui croit que les poissons sont carrés et nagent dans de la chapelure, que les vaches pondent des bricks de lait blanc et que le ketchup est la base de l'alimentation, confie Isabelle.
- Si un jour, nous avons une vache... Commence Claudie.
- Une chèvre, nous aurions dû demander une chèvre, s'exclame Muriel.
- Oh oui, avec un petit chevreau à la broche, Hum ! Acquiesce Blaise.
- Ooooh noon ! Pauvre petite bête, arrête de te moquer.
- Mais je veux bien la traire, cela doit être ... érotique, enchaîne Gaëlle.
- Sans doute avec beaucoup d'imagination, beaucoup d'imagination ou de frustration, répond Blaise.
- Mais une vache avec du bon lait crémeux, avec toute cette crème qui remonte à la surface, on pourrait faire du beurre, poursuit Claudie en petite fille de fermier.
- En attendant la vache, on va toujours faire route vers nos îles car les abeilles commencent à les attraper à force d'être enfermées, conclue je.


Trois jours plus tard, nous embouquons, non sans appréhension, l'étroit passage entre nos deux îlots, puis c'est aussitôt le virage serré à gauche avec la plage qui défile si près sur bâbord que je m'attends presque à voir l'hélice brasser le sable.
Je débraye bâbord, même sur un seul moteur ma vitesse est toujours trop importante. Les deux moteurs débrayés, Grotesque continue sur son erre entre la plage et corail, jusqu'à son nid douillet quitté ??? Jours plus tôt.
- Comment vont mes poules ? Se lamente Blaise.
Dernier coup de barre, un petit coup de moteur en arrière et l'étrave dans un crissement de sable mouillé vient s'échouer sur la plage.
Déjà Blaise et Muriel mettent Zozo à l'eau afin de porter deux amarres arrière sur le corail alors que Claudie dévide une amarre avant pour Gaëlle, première à prendre pied.
L'amarrage terminé, Blaise résume l'impression générale d'un :
- Enfin chez nous ! Avant de se précipiter vers l'enclos de son poulailler.
- Ses poules le perdront, notai je avant de demander à Claudie :
- Prends HK et rejoins nous au poulailler.
Mais déjà Blaise revient vers nous, la mine déconfite :
- Deux poules sont mortes.
- Au moins, ce n'est pas la grippe aviaire, l'interrompt Claudie.
- Ça fera moins de travail pour ton coq, plaisante Muriel.
- ...quelqu'un sait il reconnaître un œuf frais d'un qui l'est moins parce qu'elles ont pondu un max ? Annonce fièrement Blaise, comme s'il y était pour quelque chose.
- Si on fait des œufs durs, en les mettant dans l'eau, les plus frais flottent différemment ou alors, à part, en les cassant... mais beurk ! Nous sommes partis depuis ???, propose Claudie, dégoûtée.
- En les faisant flairer par Léo ? Soumet Isabelle à son tour.
- Non, Léo les goberait tous, de la veille ou du mois dernier, s'exclame Claudie. Surtout pas.
- Le plus simple serait de tous les jeter, note à regret Muriel, se souvenant sans doute de l’œuf à la coque dégusté par Isabelle.
Avec la chaleur ambiante, en combien de jours un œuf devient il immangeable ? C'est le genre de question que l'on ne se pose jamais au 21e siècle, les œufs étant au frais dans le compartiment idoine du réfrigérateur et, si nous avions le moindre doute, le pack complet finissait à la poubelle. Plein d'autres semblables attendent notre bon vouloir à la boutique du coin...
Mais là, ça fait trop longtemps que nous n'avons pas mangé, ne serait ce qu'un demi oeuf brouillé dans du pain frais pour se décider à jeter cinq à six œufs frais parmi les trois douzaines perdues.
- Bon, je m'y colle, mon odorat étant ce qu'il est... Annonçai-je.
- Ah merci, ça me fendait le cœur de tout jeter, s'exclame Blaise.
- Tu n'auras pas l'odeur... mais la vue, me douche Claudie.
J'hésite tout à coup :
- Oh, s'il te plaît, se lamente Muriel,
Et Gaëlle ajoute.
- Pour un œuf frais, je suis prête à tout :
- Ah les femmes ! Note Blaise, elles coupent une jambe sans sourciller mais ne veulent pas trier les œufs frais des œufs pourris.
Et c'est comme ça que l'on se retrouve bêtement assis sur le sable à casser œuf sur œuf.
" Ah bon ! Dans le saladier ; Ohhh, pourri jusqu'à la moelle ! Dans le sable..."
- Comment fais tu, m'interpelle Blaise depuis le poulailler, ça fouette jusqu'ici.
- Je suis à jeun, tentai je de plaisanter, je te rassure, j'ai bien l'odeur plein les narines mais pour moi elle n'a pas de couleur. C'est simplement une odeur forte, mais sent elle bon ou mauvais ?
- Ben moi, j'ai l'idée d'aller sur la plage et t'abandonner à ton sort.

Bilan de ma séance : douze œufs d'apparence normale, cela aurait trop bête de les jeter. En ramenant fièrement ma précieuse marchandise, je demande :
- Omelette ou gâteau ?
- Crêpes, peut être ? Soumet Claudie.
- Le moins "énergie vorace" serait omelette au feu de bois, propose Blaise, toujours soucieux de protéger nos stocks d'énergie.
- Bien ! Omelette pour tous dans quinze minutes, mais Patrick lave toi les mains, implore Muriel.
- Ah bon ! Feins je de m'étonner.
- Ah Oui !
La réponse unanime prouve que Muriel est dans le vrai.
- Patrick, j'ai trouvé comment savoir pour les œufs, annonce fièrement Isabelle en brandissant un vieux livre de cuisine.
- Un peu tard, Isa, mais dis toujours.
- Eau salée à 125 grammes : l’œuf du jour coule, l’œuf de la veille s'enfonce sans toucher le fond ou alors, poursuit elle en cherchant sa ligne, tu regardes avec une forte lumière : l’œuf troublé n'est plus bon.
- Dire que Gaëlle se disait prête à tout et qu'il ne suffit que de 125 grammes de sel, plaisante Blaise en cassant du petit bois.
- Tu sais où tu peux te le mettre ce gros grain de sel, réplique Muriel.

Cette omelette relègue loin derrière les, maintenant trop fréquentes langoustes grillées, langoustes court bouillon, langoustes frites, langoustes langoustes...
Arrive juste derrière deux tranches de pain cuits hier auquel l'omelette prise en sandwich donne toute sa saveur, imprégnant la mie. Hum !
Silence religieux, mastication appliquée donne aux papilles gustatives le temps de se remémorer le goût de l’œuf et de le savourer.
- Nous sommes sur la voix de la sagesse, plaisante Blaise, un peu de farine, du sel, un œuf : Le Bonheur !

La journée d'hier, après la fameuse omelette, s'est passée à débarquer les tonneaux et leur, de moins en moins, bourdonnantes locataires. Le voyage ou le confinement, malheureusement, a été fatale à une grande partie des laborieux petits insectes.
- je ne sais pas à partir de combien de membres une ruche n'est plus viable ? S’inquiète Blaise.
- On n'est pas prêt de récolter, se lamente sa gourmande femme.
Les plus vaillantes butineuses s'élancent néanmoins vers un espoir de pollen dès les curieuses ruches en paille sorties de leur prison.
- Il va falloir que je fabrique de vraies ruches, style chalet avec le toit en pente, de l'aération, une entrée abritée.
- Calme toi Blaise, elles ne feront pas la différence et il vaut mieux attendre qu'elles soient déstressées, tempérai je.
- Stressées les abeilles ? S’étonne Isabelle.
- En tout cas le coq, lui n'a pas l'air stressé, constate Claudie en désignant la basse cour ou s'active le nouveau venu.
Au moins, on pourra avoir des poussins.

La fin de la journée nous voit savourer de la viande grillée au dessus des braises.
- Est ce de la sagesse ou bien régressons nous ? Nous pensons que nourriture, nourriture et encore nourriture, questionne Claudie.
- Muriel a toujours pensé nourriture, rassure Blaise.
- S...., dès que je suis grosse, vas y dis le ! Rétorque t elle.
- Je vous rassure, je ne pense pas que nourriture, bien au contraire, tente de plaisanter Gaëlle avant de demander :
- Et vous les hommes ?
- Nous ? On ne pense pas, répliquai je.
- Ou alors pas avec notre cerveau, renchérit Blaise.
- A toi aussi ça te fais ça, interrogeai je.
- Oui, oui, bien sûr, enfin c'est Muriel qui me ledit.
- ben les duettistes ça suffit, nous coupe Claudie.
- Un pisse mémé et on les couche, la soutient Muriel.
- Tu vois, Isabelle elles n'ont aucun respect pour les vieux, contre attaque Blaise.
- Les vieux ! Mais Blaise, sauf accident, tu n'as fait que le cinquième de ta vie, assène Isabelle.
- Ah oui, tu as raison ! Acquiesce Blaise après un rapide calcul mental.
Gaëlle renchérit, pleine de sous entendus :
- Et les années qui nous séparent seront proportionnellement de plus en plus faibles.
- Bon, les vieux/jeunes, au lit !

" Seuls les paranoïaques survivent "
03-12-2015 à 17:46:32
( bon pour la suite soit comme écris ci dessous ou alors une autre possibilité si à la fin j'opte pour la fin "alternative" ( " ce monde qui n'est plus le notre" mais là il faudrait écrire une suite...) )








- Demain, il faudra faire un addendum au message laissé dans le galion, notai je.
- Au sujet de Jack et de nos espérances de vie ? S'enquiert Blaise.
- Oui ... répliquai je, ai je eu tord.

Nous passons le reste de la journée à préparer ce nouveau message où nous donnons de surprenantes nouvelles à d'hypothétiques proches des pilotes disparus depuis… 60 ans plus tôt.
- Dire que Jack est ???? Parait, plus jeune que ses petits enfants, remarque Blaise.
- Comment sais tu qu'il en a ? demande Claudie.
- Ben, sur l'encyclopédie, il précise qu'il était marié et avait deux enfants. Pour les petits enfants, j'extrapole, se justifie Blaise.
- Et si nous joignons le récit que tu as fait depuis notre départ, propose Muriel.
- Tout le monde connaîtrait le détail de notre parcours et ...
J'interromps Gaëlle :
- Oui, mais tout le monde saurait que nous avons menti dans nos messages aux familles, au sujet du père d'Isabelle et d'Armel.
- Certes, mais ce serait plus honnête, argumente Muriel.
- Faut il être honnête et cruel ? Insistai je.
- On vote, propose Blaise.
- Pour : Blaise, Muriel, Claudie, Isa, énumérai je.
- Inutile de demander les contres, conclut Blaise.
- Vue le nombre de pages, on ne va pas faire dans la gravure sur feuille d'or, notai je. Un bon vieux CD de quatre siècles et demi à l'intention du professeur Van Hoeck en lui demandant de ne pas le rendre public avant 50 années, ça va comme compromis ? Les parents d'Armel et ta mère devraient être décédés à ce moment là.
- pour les parents d'Armel, c'est sûr. Cela leur ferait 100 à 105 ans, confirme Gaëlle.
- Ma mère n'aura 50 ans après la date de votre disparition, euh ... 38 ans lorsque j'ai disparu plus 4, plus 50... Que 92 ans.
- OK, je lance le fauve, prévient Blaise en martyrisant le pauvre clavier.
Comment fait il pour ne pas se mélanger les doigts ? Moi, j'arrête là mon histoire en espérant que quelqu'un la lira un jour, quelque part...
Ici, se termine le récit retrouvé par le professeur Van Hoeck dans l'épave du galion.

La suite de cette histoire fut découverte en ???, sur le site archéologique de ?????, par Messieurs X et Y qui l'ont transmise au professeur Van Hoeck comme le demandait un texte gravé sur une feuille d'or protégeant le contenu ; nous vous livrons ci après l'intégralité du deuxième texte parvenu jusqu'à nous, vous laissant seul juge de décider s'il s'agit d'une quelconque supercherie du professeur VanHoeck.

___________________________

Date : -------
Dans la matinée, nous avons peaufiner l'emballage de ce colis temporel, multipliant les couches protectrices, transformant le CD en un mille-feuilles à l'épreuve du temps, enfin nous l'espérons.

- Blaise, crois tu que les informations gravées seront utilisables dans 451 ans ? S’inquiète Muriel.
- Sans doute, ce qui m'inquiète plus c'est que notre intrusion dans le passé n'ait infiniment perturbée le futur et que, pourquoi pas, cela n'ait eu une influence sur les standards informatiques.
- Mais nous ne sommes qu'une poussière à l'échelle du temps et de la planète…
- Entre poussière et grain de sable.... la différence est tenue, insiste Blaise.
- Nous serons fixés dés l'immersion, nous verrons bien si cela a une influence sur le contenu de l'encyclopédie et si le professeur nous répond par delà les siècles, tranche Claudie.
- Pendant que Blaise termine d'emmailloter le bébé, mettons Fifille à l'eau, proposai je.
Fifille regréée et chargée du matériel de plongée se dandine déjà depuis un moment lorsque Blaise apparaît, portant précautionneusement le message.
- Qui vient ? Interrogeai je
- Il faut que je m'occupe du poulailler, répond Blaise.
- Moi et la plongée, ça fait deux, remarque Claudie.
- Je viens, lance Gaëlle de derrière Grotesque ou elle barbote déjà. Regarde Claudie, on a pied, de l'eau jusqu'aux épaules...
- Oui, mais là bas il y en a trop pour moi, conclut elle en désignant la direction du galion.
- Muriel ?
- Non, je vais m'essayer au jardinage avec les graines fournies par Caldéron.
Ne désirant pas rester en tête à tête avec Gaëlle, je lance un :
- Moustique, tu viens avec nous ! Qui ne laisse pas de place à un refus.
Je croise le sourire narquois de Blaise qui semble me dire :
"Brave mais pas téméraire".
- Tu ne mouilles pas ton pansement, Isabelle, intime Muriel.
Une fois tous les trois à bord de Fifille, je hisse ses petites voiles avec leur croix rouge et je laisse la barre à Isa avant de m'asseoir au fond de la coque, bien calé pour profiter de cette mini croisière ; dernière recommandation lancée à la VHF :
"Ne descendez pas à terre sans être armés" !
- Mais oui, le parano de service, et vous, faites attention aux requins, ne prends pas un lamantin pour une sirène...
Isa belle pousse légèrement sur la barre et Fifille serrant de plus près le vent, fait route directe sur le lagon "poire ....."
Après quelques minutes, Gaëlle rompt le silence :
- Le lamantin, c'est moi ?
- Quelle idée ! Tu n'es pas plus un lamantin qu’une sirène, plaisantai je.
- Le lamantin, ne l'appelle t-on pas non plus "vache de mer"? demande Isabelle en me lançant un regard amusé.
- Décidément, c'est ma fête, finit de se lamenter Gaëlle avant d'ajouter :
- Si tu n'avais pas ton pansement ... lourde de menaces aquatiques.
J'observe le lagon, cette clarté, oubliée du 21e siècle, transpercée d'une lumière solaire filtrée par aucune pollution : tout est plus net, plus fort, plus présent, même les inévitables langoustes.
Ayant suivi mon regard, Gaëlle propose :
- Pour les langoustes, on verra au retour
.- Tu ne peux être que pseudo : tu n'as pas d'écailles, pas de queue de poisson, pas de longs cheveux et les sirènes ont les seins nus.
Je me suis mordu la langue mais trop tard.
- Ah ! Si il n'y a que ça !
Deux petits globes orgueilleux tressautent encore de leur brutale libération, me narguant dessous la bôme. Sourcils levés, nous échangeons un regard entendu avec Isabelle qui me demande malicieuse :
- On devient toutes comme Gaëlle en grandissant ?
- Euh ! Tu parles du physique ou du mental ? Répondai-je prudent.
- Du mental.
- Non, c'est un cas très spécial, biaisai je.
- Il vaut mieux jouir de la vie plutôt que de faire graver sur sa tombe : "... vos amours font jouir mes os décomposés..." Non ?
Silence. On a beau se dire que l'on est civilisé, lorsque l'on a une jolie paire de seins droit dans l'axe..., on regarde le sillage et le regard revient sur l'axe... Fragile vernis d'indifférence.
- Isabelle, je vais barrer, annonçai-je courageusement.
Le sourire amusé de Moustique lorsque je me déplace à la barre, je suis sûr de l'avoir vu, mais le rire de Gaëlle par dessus la bôme, l'ai je rêvé ?
Assis à la barre, l’œil se promenant des penons à la chute des voiles en passant par l'horizon, j'en arrive presque à oublier Gaëlle et sa libido.
Enfin, nous arrivons à l'aplomb du galion et Gaëlle mouille notre grappin que l'on peut suivre du regard lorsqu'il file vers le fond en ondulant.
- Je croyais bien ne plus jamais plonger ici, note Gaëlle avant de serrer l'embout entre ses dents.
- Juste un petit/retour tranquille, précisai je pour me rassurer, car entre les coffres, les cloisons, les requins je ne garde pas un bon souvenir de l'épave.
Dernier clin d’œil à Isabelle et déjà nous palmons lentement de concert vers l'entrée, désormais familière du galion. Et la surprise : Maître Mérou est là qui nous observe,
Sitôt le seuil franchi, étonné, les yeux ronds et la gueule ouverte sur un : Oh ! Muet. Nous nous attendons presque à l'entendre nous faire des reproches du style :
"Vous avez vu l'heure ? " ou "vous en avez mis du temps ! J'étais mort d'inquiétude."
Nous nous contenterons d'un regard lourd de reproches.
Les coffres sont dans l'état où nous les avons laissés, comment pourrait il en être autrement ?
Nous retrouvons sans peine celui refermant le précieux petit coffre contenant notre précédent message. Nous amarrons consciencieusement notre nouveau colis pour le futur au premier.
Voilà, message posté ! Avant que je ne rabatte le massif couvercle, Gaëlle s'empare prestement d'un plastron en or dont le tord était d'être à la portée de main de femme. Elle essaie de le passer à son cou mais avec le masque et le détendeur, elle y renonce.
En ressortant, dernier au revoir au contre maître Mérou puis nous commençons notre lente remontée. Pas de requin en vue.
Un nuage de bulles aplaties s'envole, je n'ai pu retenir un soupir de soulagement.
La haut,la frêle coquille de noix qu'est Fifille nous attend suspendue dans l'azur. Isabelle nous accueille d'un :
- Ça été vite fait, même pas eu le temps de bronzer.
- C'est un rapide, répond Gaëlle.
Est un compliment ou au contraire ? Je ne préfère pas approfondir me contentant d'un laconique :
- Tu as parlé avec Claudie, tu connais ma femme ?
A peine le temps de se désharnacher, que déjà le VHF crépite :
"Patrick, tu me reçois ? Questionne Claudie.
- Oui, à toi.
- Mauvaise nouvelle.
- Grave ?
- Non. Enfin oui et non. C'est l'ordi. Nous voulions voir sur l'encyclopédie si le nouveau message changerait quelque chose dans ce qu'avait écrit le professeur.
- Et alors ?
- Ben rien, l'ordi s'est contenté de faire : tuuut, tuuut...
- Il se prend pour un train ?
- Il se prend pour rien du tout... D'après Blaise qui est au bord des larmes.
- Tout nous abandonne, notai je avant de poursuivre d'un bref :
- On arrive.
- Langouste ou pas, a le temps de crier Gaëlle.
Silence.
- Langoustes quand même, répond Muriel.
- Elle ne s'en lassera jamais, remarque Isabelle.
Plongé dans mes pensées, je maudis l'électronique qui nous lâche déjà.
- A moins que ce ne soit une punition ?
- Une punition ? Mais pourquoi, qui ?
L'interrogation de Gaëlle me confirme que je parle tout seul ou que je pense à haute voix... Isabelle a bien raison.
- Pourquoi ? Parce que à laisser ces messages et à chercher leurs réponses dans l'encyclopédie, on ... comment dire, on triche ! Et par qui ? Qui ou quoi nous a amené ici ?
Dans un réflexe stupide, nous regardons tous les trois autour de nous, nous ne nous sentant plus aussi seuls tout à coup.
- Rien, même pas ET ou son cousin, tentai je de plaisanter en remontant le mouillage.
Aussitôt, Gaëlle, mince et bronzée, hisse la grand voile. A Isabelle qui a surpris mon regard caressant les courbes ambrées, je précise :
- Et il parait que ça s'aggrave en vieillissant.
- Pas possible, tu es déjà au max, rétorque t elle, insolente.
Vite, botter en touche :
- Dire qu'il y a encore tant de chose à récupérer dans l’encyclopédie... Mais lesquelles écrire et sauver en priorité ?
- Muriel a déjà fait un gros travail d'écriture, remarque Gaëlle.
- Oui, le colza, le tournesol, c'est important pour l'avenir de tes moteurs, les fruits et les légumes, les plantes médicinales.
J'interromps Isabelle :
- Oui, mais nos cartes, toute la cartographie mondiale est dans l'ordi…
- Et dans le portable, me rappelle Gaëlle.
La quantité de choses capitales pour notre avenir que nous risquons de perdre juste parce qu'un relais, une puce mettent les pouces. Si seulement, j'avais toutes les cartes papier mais c'est impossible sur un petit navire et surtout, surtout une encyclopédie qui n'a besoin que de rien d'autre pour être consulté que de deux yeux (voir un seul)...
- Et d'une paire de lunettes pour ce qui te concerne, précise Isabelle.
- Merci de me le rappeler les années enfuies. Isabelle, tu me fends le cœur.
Devant ma mine renfrognée, le duo ne peut qu'éclater de rire.
- On dirait Léo lorsqu'il boude, s'exclame Isa.
- Qui déteint sur qui ? Questionne Gaëlle.
- J'ai moins de poils que lui, cela vous aidera à faire la différence.
Mais deux autres choses me chagrinent : toutes les données irrémédiablement perdues si le portable rend l'âme à son tour et la simultanéité entre l'envoi du message et la panne.
- J'en suis sûr que c'est lui et qu'on nous observe, insistai je
- Comme dit Claudie : Parano ! Ironise Isabelle.
- Moustique, sache que seuls les paranos survivent !
Maintenant, si l'essence n'était pas introuvable, je lancerais le petit hors bord pour rejoindre Grotesque au plus vite.
- A t'on déjà trouvé et noté comment raffiner du pétrole ? Demandai je en sautant du coq à l'ange.
- Raffiner du pétrole ? Déjà il faudrait du pétrole.
- Oui mais un jour peut être ... J'ai vu un reportage, le brut sortait littéralement de la terre et les gens raffinaient eux mêmes l'essence dan leur jardin.
- Et combien de temps ton Hors bord supporterait le traitement ? M’interrompt Gaëlle.
- Toujours plus longtemps que sans rien, remarque Isabelle.
- Un, point pour le Moustique face à ...commençai je.
- Au lamantin ?! Plaisante Gaëlle en bombant le torse.
Mais toutes ces provocantes gamineries me laissent de marbre, je suis inquiet.
Pendant le retour que je retrouve interminable, nul besoin de détourner les yeux de la poitrine de Gaëlle ornée de la lourde parure d'or, je ne la vois pas, perdu dans de sombres pressentiments.
- Il faudrait que chacun d'entre nous soit capable de mémoriser toute une partie des données vitales.
- Un peu comme dans "Fahrenheit", termine Gaëlle.
- Oui mais avec les vieux qui perdent la tête, poursuit Isabelle.
- Moustique ! Tu vas t'écraser ! Prédis je.

A nouveau, Muriel nous contacte :
- Pour les langoustes, n'oubliez pas Léo !
Merde les langoustes !
.- Euh oui, oui bien sûr et l'ordi ?
- Blaise broie du noir et ne trouve pas la panne. Il t'attend pour lancer le portable, il craint le mauvais œil, conclut Muriel.
- On a déjà dépassé la colonie de langoustes, remarque Gaëlle en s'appuyant sur le minuscule pontage avant de la caravelle.
- Tache d'en trouver, sinon Muriel va t'étriper, présageai je en affalant la grand voile.
Avec juste le petit foc à peine bordé, nous n'avançons quasiment plus en cherchant un endroit propice à notre ravitaillement.
- Stop. Ça semble bien ici, clame Gaëlle en se redressant.
Plouf ! Déjà au fond elle commence sa traque, vite fructueuse.
- C'est toujours facile, lance Isabelle moins de 10 minutes plus tard à une Gaëlle fière de son tableau de chasse.
- Barreur, à la maison ! Lançai- je à Isabelle.
Léo nous accueille, l’œil gourmand depuis le cockpit de pêche, ces créatures qui tressautent dans le fond de Fifille semblent dignes de son intérêt comme en témoignent ses narines dilatées.
Claudie, nous amarrant, annonce :
- Blaise a donné l'extrême onction à l'ordi, il ne peut rien faire.
Je partage le dernier bidon d'eau de pluie avec Gaëlle, trois litres d'eau chacun pour se rincer ; il faut faire au plus juste.
A Claudie qui observe le bijou à son cou, Gaëlle déclare :
- Prends le, je l'ai ramené pour toi.
- Tu as quelque chose à te faire pardonner, demande Claudie.
Avec un sourire amusé, Gaëlle lui répond :
- Hélas, même pas.
Je sens leurs deux paires de yeux narquois dans mon dos suivre ma retraite prudente vers la timonerie.
- Alors Blaise ?
- Rien à faire, et je n'ai pas osé lancer le portable. J'ai l'impression que nous n’aurions pas dû faire ce message. A vouloir communiquer avec notre temps, nous avons franchi .une ligne.
- J'ai eu la même impression, mais cela voudrait dire que nous sommes en liberté surveillée.
Nous restons comme deux couillons assis devant le portable ouvert et aucun de nous d'eux n'ose appuyer sur le fameux symbole de marche.
- Vous attendez quoi ? Nous interpelle Claudie en entrant dan la timonerie.
- On n'ose pas appuyer.
- De toute façon, il faudra bien le lancer un jour, soit il marche, soit pas. Que l'on sache aujourd'hui ou dans quinze jours, c'est pareil, assène t elle.
- Oui, mais perdre les deux ordis le même jour, ce serait dur, murmure Blaise.
- Et bien, on va le savoir tout de suite.
Joignant le geste à la parole, Claudie appuie sur le fameux bouton. Une appréhension me tord les entrailles.
- Jusque là, ça va, ça va,...ça va. Il marche ! Exulte Blaise.
- C'était sans doute le hasard, le PC devait être en fin de vie tentai je de rassurer.
- Oh non, je suis sûr que c'est lui et c'est un avertissement. Ça veut dire : "les messages vers le futur, ça suffit !" affirme péremptoire Blaise.
- Et bien, nous avions un parano, maintenant il faudra en supporter un deuxième, se lamente Muriel.
- On verra, on verra, prédit notre oiseau de mauvais augure, affecté par la perte d'un de ses très chers ordis.
- Alors ? Demandent en chœur Isa et Gaëlle qui nous rejoignent sur la banquette de la timonerie.
- Attendez, toujours pressées, marmonne Blaise en effleurant les touches.
Apparaît maintenant le texte déjà lu du professeur Van Hoeck.
- Ça a encore marché, jubile Gaëlle.
- Mouais ! Mais ça nous a coûté un ordi, ronchonne Blaise sûr du lien de cause à effet.

En effet, le texte se poursuit pat :
".... quelquefois, une dizaine de morceaux de verre parmi de rares restes métalliques ont plus de valeur pour leur symbole anachronique que l'Eldorado tout entier de part les portes qu'ils ouvrent sur une aberration improbable mais tangible.
- Ça a dû le mettre sur le cul une deuxième fois, clame Gaëlle.
- Non, non une seule fois ; pour nous il y a plusieurs semaines entre les envois des messages, mais lui, il les a reçus au même moment, rectifiai je.
- Oui, mais lorsqu'il s'est rendu dans la baie de Jack et qu'il a plongé où nous lui avions indiqué, cela a été un deuxième choc, précise Claudie.
- Il a juste retrouvé quelques morceaux de la verrerie du cockpit. Tout ce qui était en aluminium devait être digéré par la mer depuis longtemps, commente Blaise.
- Cela veut dire qu'il a aussi reçu notre histoire, jusqu'à hier. Espérons pour ma mère qu'il aura respecté les cinquante ans de délai, ajoute Isabelle.
- Il faudrait lui envoyer la suite... Commence Muriel
.- Ah non je ne veux pas perdre le dernier ordi, nous avons trop triché, ils nous puniraient encore. Assène Blaise.
- Il, ils ,ils !!! Ça suffit le parano, s'emporte Muriel.
- Parce que tu crois que nous sommes arrivés là par hasard qu'il n'y a pas quelqu'un ou quelque chose qui a décidé que nous serions renvoyés à cette époque précise. Tu crois qu'il s'agit juste d'une aberration temporelle et c'est tout ? Explose soudain Blaise.
- Ben oui. Quoi d'autre ? Insiste Muriel.
- Et s'il s'agissait, par exemple, d'E.T... .Lance Blaise.
- Ou des humains du 30e siècle, le coupai je.
- Oui, pourquoi pas ou de quelque entité au pouvoir insensé ou un méga ordinateur cosmique fou ? Peu importe, appelons les "ils" et supposons qu'il s'agisse, comme l'a proposé Patrick, de terriens du 30e siècle au 40e. D'accord ?
Nous nous contentons tous d'acquiescer (sauf Léo qui dort, le dos appuyé contre la barre à roue) car, lorsque Blaise est lancé, lui qui n'est pas un grand bavard, c'est qu'il a ruminé une idée pendant des jours, voir des semaines et lorsqu'elle est bien mûre, bien à point, rien ne l'empêchera de nous la faire partager. La perte de l'ordinateur l'a décidé à parler. Prudents, nous le laissons faire, il poursuit :
- Imaginez qu'"ils" soient capables de jouer avec le temps...
- Car on en a la preuve, le coupe imprudemment Isabelle.
- ...mais qu'ils ne puissent intervenir directement dans l'histoire, sur le vivant....
- ILS sont pourtant intervenus sur nous, proteste Muriel.
- Non, non, non. Ils sont intervenus sur l'espace temps dans lequel nous nous déplacions. Mais nous, ils ne nous ont pas ajouté un bras ou supprimé un œil.
- Et notre vitesse de vieillissement divisée par six environ, ce n'est pas rien, contestai je.
Mais Blaise balaie d'une phrase ma remarque :
- Aberration temporelle liée au déplacement dans le temps ; négligeons ce détail.
- Ce détail fait que je terminerai ma croissance dans 44 ans, insiste Isabelle.
- Négligeable...
- Non, non ! Poursuit Isabelle imprudente, toutes ces années avec des pensées de femme dans un corps d'enfant. ! Cela sera insupportable.
- Blaise, gêné, bafouille une excuse. Mais Isabelle a raison, son corps finira de grandir dans 44 ans environ. Nous nous perdons tous dans nos pensées, songeant avec envie à une enfance plus longue qu'une vie.
- Continue, Blaise, encourageai je.
- ...donc, ILS analysent les comportements, les réactions et les possibilités des individus d'une époque, choisissant une cible et une date et hop ! Ils expédient leurs cobayes vers le passé sachant à l'avance quelles seront leur réactions, leur attitude, leur interférence dans l'histoire, modelant ainsi le futur à leur guise et sans doute à leur avantage.
- Attends ! Tu sous entends qu'ILS nous auraient renvoyés en 1552 pour modeler leur présent dans 15 siècles. C'est tiré par les cheveux non ? Notai je.
- Nous n'avons rien fait; proteste Claudie.
- ..Peut être était ce Armel qui devait être tué ou Enrique sauvé, ou le pirate hollandais tué et à travers eux le futur est changé.
- Oui peut être, mais après notre départ du 21 eme siècle, car nous sommes là, lance Claudie.
- Ou alors l'histoire telle que nous la connaissons n'est qu'un modelage involontaire de tous les déportés du temps qu'ILS manipulent, assène Blaise.
- Nous imaginons tous quelques sorciers fous du temps et de l'histoire manipulant des pauvres pions innocents sur l'échiquier du temps dans le but de réaliser leur noir dessein.
- C'est pas rassurant ; que font ils des pions qui ne servent plus dans la partie ? demande inquiète Muriel.
- Je suis sûr, ILS n'interviennent pas directement sur le vivant. J'imagine leur pourvoir d'analyse si puissant qu'ils doivent prendre en compte toutes les probabilités jusqu'à notre... Mort.
- Même les probabilités style : requins, les cloisons... ? Interroge Gaëlle.
- Tu es trop sexy, avec toi même les cloisons tombent comme des mouches, la nargue Claudie.
- Jusque là, je pensais être une poussière, un microbe qui pollue la planète, au mieux un moustique... mais là un pion, cela m'angoisse, avouai je.
- Tu vois Blaise, tu vas me le stresser, il va encore avoir des palpitations le papy, se moque Claudie.
- Réfléchis Claudie ! Si nous sommes des pions déplacés sur l'échiquier du temps par un joueur fou, qui est son adversaire ? Quel coup tordu celui ci va-t-il inventer pour contrer notre parachutage dans le passé ?
- Arrêtez, vous me faites peur ! Implore Muriel.
- Rien ne prouve qu'ILS soient ILS, ou bien qu'ILS aient des vues divergentes sur l'orientation à faire prendre à l'évolution, tente de la rassurer son mari.
- Rien ne prouve qu'Ils existent, murmure timidement Muriel.
- Ils existent : nous sommes là, Jack est là et je ne crois pas au hasard ou à quelques innocentes aberrations temporelles, conclut Blaise.
- Pourquoi pas ? Il s'agit peut être là d'un phénomène naturel dont personne n'a jamais pu parler et pour cause. Soit tu es à l'extérieur et tu ne vois qu'un grain, soit tu es à l'intérieur et tu n'es plus dans le présent pour en parler, tentai je de rassurer.
- Ta version est plus rassurante, disons que c'est la seule, note la peureuse Muriel. Blaise se contente de marmonner un laconique :
- Mouais, on verra bien...
- Moralité : profitons du temps présent. Qui vient nager avec moi ? Demande Gaëlle.
Et à la surprise générale, Claudie répond spontanément :
- Moi !
Et elles nous plantent là et se précipitent dans le cockpit de pêche d'où elles se jettent à l'eau.
- Pour quelqu'un qui ne sait pas nager, s'exclame Muriel.
- Claudie sait qu'à l'arrière il y a à peine 10 centimètres d'eau sous la crapaudine et qu'elle a de l'eau jusqu'aux épaules, tempérai-je.
Replouf ! Léo n'a pas résisté au plaisir de rejoindre sa maîtresse à l'eau.
- Il va falloir aller à la piscine faire une tournée de porteur d'eau de rinçage, remarque Isabelle.
- Bon, on y va avec Blaise pendant que vous cuisinez les langoustes.
Nous voilà donc poussant le VTT harnaché à la vietnamienne de quatre bidons de 20 litres d'eau puisé à la piscine. Cette eau, nous l'utilisons juste pour le lavage et le rinçage après le bain.
- Un jour ou l'autre, le dessalinisateur nous lâchera et il faudra bien se décider à en boire, remarque Blaise décidément pessimiste aujourd'hui.
- Il y a quand même pas mal d'averse, nous devrions améliorer notre technique de récupération, c'est tout.
- Alors, il faut se dépêcher, tout mettre au point rapidement ; nous attaquons trop vite nos stocks, réplique Blaise.
Je ne sais pas si c'est la fin de ses chicos ou la perte de l'ordinateur qui le travaille, mais il est vraiment d'humeur défaitiste.
- Merde, ah merde !
Je ne peux pas m'empêcher de pester ; le vélo, transformé en mule, c'est bien jusqu'à la lisière mais sur le sable meuble, quelle merde ! Nous devons nous transformer en porteur d'eau, nous déharnachons le VTT. Heureusement que Grotesque n'est pas loin.

" Seuls les paranoïaques survivent "
04-12-2015 à 17:25:39
Heureusement que Grotesque n'est pas loin.
Claudie et Gaëlle viennent à notre rencontre en plaisantant. Le plastron aztèque battant la peau maintenant mate de sa poitrine au rythme de sa marche, Claudie s'avance et nous lance, narquoise :
- Alors besoin de faibles femmes ?
- Toujours, tu nous connais, réplique Blaise.
En bon feignant qui se respecte, je propose :
- Rincez vous ici, cela fera toujours un bidon de moins à traîner jusqu'au bateau.
- C'est par flemme ou pour te rincer... l’œil  ?questionne Gaëlle.
- Tu les connais, ce n'est pas du tout leur genre... à ce qu'ils disent, insiste Claudie.
- Rends service, ramène de l'eau, propose de tenir le bidon bien haut pour arroser ces dames et voilà comment on te remercie, se lamente Blaise.
- Bon, tenez le bidon, plus haut.
Tour à tour, les naïades se rincent sous le maigre filet d'eau que nous laissons écouler et nous ne regardons pas, enfin à peine.
- On savoure moins l'eau lorsqu'elle sort d'un robinet ... commence Claudie.
- Alors que là, deux gros minets, c'est savoureux ! La coupe Blaise.
- Ah ça, ça faisait longtemps ! Blaise est de retour, annonce Gaëlle à la cantonade.
Muriel, qui s'affaire autour des braises sur lesquelles finissent de griller les éternelles langoustes, interpelle son mari :
- Calme toi ou tu seras privé de langouste.
- Serait ce vraiment une punition ? Demandai je à Blaise.
- Et le sable, je pourrais le garder ce sable qui croustille si savoureusement sous les dents, réplique t il à sa femme.

Cette fois, il n'y a pas trop de sable à crisser sous les dents mais visiblement seul Muriel et Léo continuent de manger avec plaisir ces langoustes. Pour les autres, il ne s'agit désormais que de pourvoir à notre besoin de protéines.
- Je ne pensais pas que nous nous en lasserions si vite, constate Claudie en se léchant les doigts.
Une fois de plus, la corvée de vaisselle se résume à ce simple geste. Claudie, qui a surpris mon regard résume l'impression générale d'un :
- On régresse, non ?
- Non, on économise les serviettes, les produits nettoyants... le même résultat qu'avec les assiettes en carton et les serviettes en papier, sans toucher à un seul arbre, je dirai que l'on progresse, positive Gaëlle.
- Se rapprocher de l'essentiel, est ce progresser ? Alors tout le monde entier régresse. Au 21e siècle, ils devront bien ralentir, voir reculer, sinon plus d'eau, plus de bois, plus de poisson, plus de pétrole. Plus qu'une marée humaine grouillante, pas longtemps, à la surface du globe...
- Encore, encore, m'interrompt Muriel, tu me remontes le moral ; encore un peu et l'on sera heureux d'être en 1552.
- Il leur restera toujours le cannibalisme, constate pragmatique Claudie.
- Beurk ! Arrête tu vas encore me faire gâcher mes langoustes, implore Muriel.
- Un cuissot de Moustique, ça doit bien valoir un gigot d'agneau, rajoute Blaise.
- Mais moi, il faut déjà m'attraper, se défend Isabelle avant d'ajouter :
- Je vais sur l'autre îlot, qui vient avec moi ?
Seule, Gaëlle répond favorablement et Claudie s'empresse d'aller leur chercher une arme et une VHF portable.
- Juste au cas où, précise telle en leur confiant une épée, une dague et un téléphone portable enfermé dans un sac étanche.
Alors qu'elles s'éloignent déjà, Muriel en mère poule, ne peut s'empêcher de leur crier :
- Rentrez avant la nuit.
- Tu as peur qu'elles rencontrent une bande de jeunes sortant de boite, plaisante Blaise.
- Sans doute, Isabelle veut elle fleurir la tombe de son père, suppute Claudie.

L'après midi s'écoule tranquillement entre la cueillette de quelques trop rares fruits, la récolte de coquillages et la chasse aux œufs.
Avec Blaise, nous sommes comme deux gamins le jour de Pâques. C'est à celui qui sera le premier à s'emparer de la précieuse coquille nacrée.
- Tu verras lorsque le poulailler sera fermé, elles prendront l'habitude de toujours pondre au même endroit, prédit Blaise.
- On y perdra quelque chose, remarquai je déjà nostalgique de nos chasses aux œufs.

En fin d'après midi, Claudie nous demande une nouvelle corvée d'eau.
- Juste deux bidons, plaide t'elle.
Nous voilà donc partis, dans cette lumière rasante, les bidons au bout de nos bras démesurés nous précédent, immenses sur le sable.
Sur le chemin, ma flemme reprenant le pouvoir, je remarque :
- Nous pourrions faire une canalisation de trop plein de la piscine jusqu'à Grotesque et...
- Et avec ? Me douche Blaise.
- Des bambous, comme dans les films.
- Tu as vu des bambous ici, toi ?
- Dommage, je voyais déjà la gravité faire son travail, soupirai je.
Avant d'arriver à la piscine, Blaise ne peut s'empêcher d'utiliser la VHF et de demander :
- Alors les filles, vous rentrez ?
- Ça va, on traversera la passe dans cinq minutes, répond Isabelle
.- Dépêchez vous, vous savez où chassent les requins à la nuit tombée, poursuit il.
- Arrête, tu vas nous couper les jambes, plaisante Isa.
Un rire victorieux sort du haut parleur, c'est Muriel qui s'esclaffe :
- Ah AH ! Toi aussi tu t'inquiètes pour elles !
- Euh l'autre ! Elle écoute aux portes, me souffle Blaise avec la tête d'un gamin pris les doigts dans le pot de confiture.
- No coment, lâche t il dans le micro.

Mains derrière la nuque, allongé au bord de la piscine pendant qu'un mince filet remplit le jerrican, je laisse errer mon regard vers la cime des arbres, vers le ciel qui commence à s'assombrir.
- Elles ne sont pas raisonnables, on aurait dû les accompagner... Tu m'écoutes ?
- Hein ? Quoi Blaise ?
- Tu as fumé la moquette ou quoi ?
- Non, j'ai l'impression d'avoir vu quelque chose.
Me voilà scrutant la voûte céleste à en attraper le vertige ; tout cet espace qui nous attire.
- Là, regarde !
-Ce n'est rien, commence Blaise, en pointant l'index ver le nord-est, juste le soleil couchant qui se reflète sur un avion, précise t-il.
- Ah bon ...un Avion !
- Nom de Zeus ! Blasphème t-il.
Nous scrutons le cadran Nord-Est à en faire jaillir nos yeux hors de leur orbite, ne plus perdre ce point des yeux. Il s'impose vite qu'il ne s'agit pas d'un avion.
- Pour moi, ce n'est pas un avion Blaise, pas de traînées...
- Mais, il est bas ou il s'agit d'un avion du futur.
Je n'ose lui faire remarquer qu'en 1552, un avion est forcement du futur ; préférant m'emparer de la VHF :
- Claudie, Muriel, Vite !
- Quoi ? Les requins ? Isabelle ? S’inquiète Claudie oubliant Gaëlle au passage.
- Prends les jumelles et regarde au NE à une hauteur d'environ 60°, dis moi ce que tu vois.
- Seul un jappement plaintif se fait entendre.
- Tu as marché sur Léo ?
- Non, il pleure. La langouste a du mal à passer, il est comme ça depuis votre départ, répond Muriel.
Pris d'une sourde inquiétude, j'appelle :
- Isabelle, Gaëlle vous me recevez ?
Pas de réponse.
- Tu as raison, ce n'est pas un avion ou alors bizarre, confirme Blaise.
- J'interroge Muriel :
- Que voit Claudie ?
- Deux trucs brillants qui zigzaguent très haut. Ils vont de droite à gauche.
Claudie, reprenant le combiné, nous décrit :
- Deux choses rouges orangées... Qui font des S, on dirait Blaise et Patrick qui cherchent les œufs.
- Et s'ils cherchaient des pions, me souffle Blaise.
- Claudie, Muriel, vous restez à bord, on arrive dés que Isa et Gaëlle sont là.
Blaise me regarde avec un air de dire :
"Je ne le sens pas ce coup là".
- Peut être des naufragés du temps du troisième millénaire ?
Mais rien ne semble pouvoir rassurer Blaise qui continue de marmonner :
- On n’aurait pas dû, il ne fallait pas...
- Je l'abandonne à son monologue et tente de joindre Gaëlle.
- ISA, Gaëlle, me recevez vous ?
Seul, un lourd silence me répond. Puis finalement une voix jaillit forte et claire mais essoufflée dans le haut parleur :
- Ça va, Ça va, on te reçoit, à toi.
Je m'empresse de répondre à Isabelle :
- Revenez immédiatement ! On vous attend à la piscine.
- Laisse nous reprendre notre souffle... on t'a entendu au milieu de la passe... Alors on a crawlé.
- Revenez maintenant, ordonnai je.
- Quoi, des espagnols, des pirates ? demande Isabelle.
- Des... on ne sait pas mais grouillez vous.
Blaise est en train de vider les jerricans.
- On ne pourrait pas courir avec, se justifie t il.
- Laissons les là, nous les prendrons demain, conseillai je.
- Non, je préfère les ramener au bateau, quoi qu'il arrive, ils seront avec nous, ils sont irremplaçables.
Le pessimisme de Blaise me glace par les éventualités qu'il dévoile.
- Les «trucs» accélèrent, ils semblent se diriger ...droit sur nous et Léo gémit, nous alarme Claudie.
Doucement la peur s'infiltre dans nos esprits. Le regard échangé avec Blaise vaut tous les commentaires et résume nos interrogations :
"Plus besoin de ces six pions là ? Punition prédite par Blaise ? Exécutions ? Disparitions ?"
- Espérons ....commençai je
Mais là bas, du bout de la plage, arrivent dans le flamboiement du coucher de soleil, les deux silhouettes que nous espérons.
- Plus vite les filles, plus vite ! Criai je dans la VHF qui n'en a cure.
Blaise me pose alors la main sur l'épaule et les yeux fixés au ciel, d'une voix morte, vaincue, il m'annonce :
- Ils sont là, en m'indiquant notre zénith.
Le frisson, bien connu de la peur primale, me parcourt l'échine du creux des reins jusqu'à mes rares cheveux qui tentent le maximum pour s'hérisser.
- Vous avez vu ? Mais que font elles ? S’énerve Claudie.
- On a vu, confirmai je.
- On on.....n..........tt...., grésille la VHF d'Isabelle.
- Tu l'a reçois comment ?
- Brouillée 2/5, répond Claudie.
- La batterie, émet Blaise.
Les deux silhouettes qui se ruent dans notre direction semblent onduler sur la plage comme observées à travers le rideau brûlant déployé par un implacable soleil sur l'asphalte.
Je me retourne face à l'Est et, là bas, derrière Grotesque, l'on devine la même ondulation de l'horizon.
Doucement, je pivote pour, à nouveau, faire face aux sprinteuses folles .Tout autour de nous, commence à se dessiner une coupole à la paroi translucide et ondulante.
- Ça recommence...
- Elles sont dehors, paniquai je en me dirigeant vers ce rien, ce flou qui parait s'épaissir et devenir de plus en plus consistant.
Les filles ne sont plus qu'à cent mètres, plus que vingt secondes et elles seront là, tentai je de me rassurer.
- Deux autres ! Deux autres sphères, hurle la voix affolée de Muriel à travers les ondes.
Là bas, Isabelle porte le téléphone à sa bouche, mais seul un grésillement incohérent nous parvient.
- Ça nous sépare ! On va être séparé, se lamente Blaise.
Pouce levé, je fais signe à nos gazelles fatiguées ; avec Blaise, nous les encourageons du geste...
Une détonation assourdissante nous frappe à la poitrine, tout au moins c'est ce que je ressens, un énorme bruit de tonnerre en plus grave, plus sourd. Et ce choc à la poitrine me fait brutalement expirer tout l'air de mes poumons. Dans un sifflement, nous remplissons avec bonheur nos bronches.
- A la vache, parvient à cracher Blaise.
A cinquante mètres, Gaëlle et Isabelle, couchées par le souffle, se relèvent péniblement. Du sommet de la coupole s'écoule lentement, comme du lait concentré sur un bol en verre retourné, un entrelas de veines vertes et de zébrures orangées. Des étincelles et des éclairs électriques jaillissent à la surface de la coupole au fur et à mesure de l'écoulement de ce magma. Des volutes orangées emplissent l'épaisseur de la paroi révélant clairement ce dôme qui emprisonne Grotesque et cette partie de l'île...
- Ça va ? Qu'est ce qui s'est passé ? Interrogeai je à la VHF
- Les deux petites sphères vertes se sont précipitées sur les rouges orangés, les enveloppant d'un film verdâtre... Et ça a explosé.
- Ça va ? Insistai je.
- Oui, Léo est terrifié, mais dépêchez vous, angoisse Claudie.
Encore quelques mètres et les filles nous rejoignent. Je suis presque soulagé mais Blaise assène :
- Il y a deux joueurs sur l'échiquier du temps.
Je n'ai pas loisir de lui répondre : "deux ou plus" car déjà Gaëlle arrive, précédent Isabelle de six mètres. Elle se jette sur la paroi et... disparaît avant d'être recrachée devant nous par la paroi dans un bruit humide de langue se décollant du palais ou de main se détachant d'une flaque d'huile épaisse.
Le regard de Blaise confirme l'horreur que je ressens. Pourtant Gaëlle est bien là à un mètre de nous, complètement nue se tenant la mâchoire à deux mains. Elle marmonne :
- J'ai cru que l'on m’arrachait une dent. Puis prenant conscience de sa nudité et de nos regards horrifiés, elle remarque :
- Jamais été déshabillée aussi vite, mais si ça vous fait cet effet la !
- Non, j'ai vu, j'ai cru voir...marmonnais je interrompu par le cri strident de Gaëlle.
Isabelle, à son tour, s'est jetée contre la paroi mais elle est restée à l'extérieur, à demi encastrée dans une gelée qui semble trop épaisse pour ses forces. Et là, l'horreur me submerge. Ses bras tendus devant elle ont disparu, perdus dans la masse de la gelée comme sa jambe droite coupée au dessus du genou. Vision de cauchemar, nous voyons la section de ses trois membres, la peau, les muscles, les os, la moëlle comme les cercles concentriques d'un arbre abattu. Ces muscles coupés jouent tressaillent sous l'effort que produit Isabelle pour traverser.
Mes yeux remontent avec crainte vers son visage mais dans son regard aucune douleur, juste quelques larmes et un assourdissant appel à l'aide, d'insultes engluées.
- Elle n'a pas l'air de souffrir…, constate Blaise.
- Ça ne va peut être pas durer....poursuis je en montrant le magma poursuivant son inéxorable écoulement.
Je m'approche de la paroi, maintenant bourdonnante, l'approche du magma semble la charger en énergie... Et je pousse mon index droit dans cette chose innommable.
- Il disparaît, note Blaise.
- C'est ce qu'a dû enregistrer notre cerveau lorsque Gaëlle a traversé, elle a dû nous apparaître comme Isabelle.
- De façon subliminale, achève Blaise.
Je ressorts le doigt sans effort, au contraire la paroi me repousse vers l'extérieur. Il est intact.
- Blaise, Gaëlle, vous me tenez, ordonnai je en tendant ma main gauche.
Puis d'un geste, je fais comprendre à Isabelle qu'elle doit fermer les yeux, lui épargnant ainsi la vue d'un vieux se faisant couper en rondelles. Son avant bras disparaît complètement dans cette gelée, un bon mètre nous sépare. J'avance, ma main disparaît. Curieuse sensation pas de douleur, juste un fourmillement électrique. La paroi offre vraiment la consistance de ces affreux gâteaux tremblotants si chers aux Anglais mais le contact est celui... du coton hydrophile ; rien de douloureux là dedans. Je suis maintenant engagé jusqu'à l'épaule, mais toujours pas de contact.
- Merde ! Je devrais la toucher maintenant.
- Il y a peut être un peu plus d'un mètre.
- Ou alors elle n'est déjà plus dans le même espace temps, poursuit Blaise pessimiste.
La colère me prend, celle qui vous fait faire les pires bêtises sans réfléchir. Je ne vais pas la laisser ici, seule sans ressource. Ce n'est pas juste.
- Elle est toujours avec nous, on la voit. Donne moi du mou, je rentre là dedans.
- Tu es fou, ça marche peut être que dans un sens et le magma...
- On perd du temps, vous tirez quand je secoue le bras... précisai je.
Avant le néant, le vide, le blanc total comme au moment de s'évanouir. Mon bras droit balaie en aveugle cette obscurité livide. Revenir sur la gauche, j'ai effleuré quelque chose, mais je perds la notion d'espace. Où est le haut, le bas ? J’ai failli retirer ma main de peur lorsque des doigts minuscules m'ont agrippé comme une serre.
J'assure ce que j'espère bien être la main d'Isabelle dans la mienne et non pas celle d'une créature vivant dans la paroi.
"Arrêtes, ne réfléchis pas, ne raisonne pas, agis, sinon la panique va te submerger dans cette aveuglante blancheur".
Je secoue mon bras gauche, je me sens immédiatement écartelé mais rien ne semble bouger. Je tends désespérément les muscles de mon bras droit ; une pensée stupide m'assaille :
"Il ne faudrait pas qu'ils aient l'idée de me disséquer dans le sens de la longueur".
La trouille me submerge, j'étouffe. Je m'aperçois que je suis en apnée depuis mon entrée dans cette chose, lèvres serrées, crispées. Je les entrouvre pour enfin respirer mais seule cette gelée cotonneuse envahit ma bouche ; je panique.

" Seuls les paranoïaques survivent "
05-12-2015 à 09:33:04
Je vais claquer étouffé, étiré entre Isabelle et mes compagnons. Il faut la lâcher pour respirer.
- Et merde !!!
Mon cri silencieux résonne dans ma tête qui tourne, je m'accroche désespérément à ma colère. Une pensée emplit ma tête :
"Je ne lâcherai pas, qui que vous soyez, je vous emmerde ! Je ne lâcherai pas, plutôt crever" !
Quelque chose à craqué, je pars violemment en arrière, l'aveuglante blancheur se mue instantanément en la plus profonde noirceur ; nous croulons tous en tas. Blaise laisse échapper un cri de douleur.
Ai je lâché ? Dans ma main droite, je sens toujours ces doigts minuscules que j'écrase, mais j'ai peur.
Ma dextre tétanisé ne sent que le poids d'une main, d'un bras peut être, mais nul corps contre moi, aucun cri d'Isabelle. Une pensée horrible m'assaille :
"Et si seul son bras était avec nous ? ".
Je n'ose ouvrir les yeux et regarder l'affreuse vérité. De rage impuissante, j'écrase la menotte :
- Aie ! Tu peux me lâcher, tu me fais mal.
Nul doute, Moustique est avec nous.
- Ca va, tu es entière, je peux ouvrir les yeux ? Questionnai je.
- Retire toi déjà de ma jambe, tu m'écrase, marmonne Gaëlle dans mon dos.
- Tu crois que tu es légère toi et tu as les coudes agressifs, tu me les as .... Enfin, tu m'as presque émasculé, grommelle Blaise.
Je les laisse s'insulter de soulagement. Je sens alors les deux mains d e Moustique se poser sur mes épaules :
- Ca va, les deux bras sont là ? Je peux rouvrir les yeux.
- Mais Patrick ! Tu ... as déjà les yeux ouverts, me murmure Isabelle.
Derrière moi, les duettistes continuent d'évacuer leur stress à coup d'insultes. Ils n'ont rien entendu, d'ailleurs Gaëlle éclate de rire :
- On peut en profiter, demande Blaise.
- Si on m'avait prédit un début de soirée nue, en sandwich entre vous deux, s'amuse Gaëlle.
- Vu le coup que tu m'as donné, tu ne risques rien, assure Blaise.
- Laisse moi voir, je suis infirmière...
- Bon, ça suffit, au bateau et vite, coupai je, avant d'ajouter à l'intention d'Isabelle en sanglot :
- Tu me guides, je ne vois rien, où en est la coupole ?
- Bientôt rougeoyante jusqu'en bas, précise Gaëlle avant de s'élancer à la suite du lourd pas de Blaise.
Je m'élance à mon tour... pour m'étaler dix mètres plus loin ; courir dans la pénombre, ce n'est pas facile mais courir dans …rien.
- Excuse moi, sanglote Isabelle, c'est toujours comme ça, toujours à cause de moi, la jambe d'Enrique, tes yeux...
- Suffit ! Les yeux, c'est sans doute passager, c'était l'éblouissement, sûrement, précisai je avant de trotter prudemment à ses côtés.
Trotter est un peu fort, je trottine trébuchant sur la moindre branche, le plus petit monticule.
Heureusement, la nuit doit maintenant être tombée, cachant ma pénible progression à mes camarades.
- Il fait nuit ? Demandai je
. Oui et non, avec la coupole qui semble enflammée, on y voit comme en plein coucher de soleil.
Nous approchons. J'entends Blaise escalader l'échelle sous les commentaires moqueurs de Gaëlle.
- Encore dix mètres, me prévient Isabelle.
Je compte mes pas :... neuf, dix et je m'arrête.
- Ben, vous en avez mis du temps, remarque Blaise.
- Les fourmis, nous sommes tous engourdis, mentai-je en partie.
- Allez, monte Gaëlle, coupe Isabelle.
- Vas y, on ne regarde pas, ajoutai je en songeant :
"Si tu savais à quel point...".
L'échelle en alu résonne sous l'ascension de Gaëlle, vite suivie par Isabelle. La main posée contre l'alu, je sais qu'Isa vient de finir son ascension.
Alors, qu'enfin je gravis les échelons vers notre refuge, notre cocoon, j'entends Claudie s'exclamer :
- Mais vous êtes nues !
Je ne peux m'empêcher de tâter short et chemisette ; cette remarque ne s'adresse qu'aux filles.
- Nos vêtements n'ont pas pu traverser l'épaisseur de la coupole, explique Isabelle.
- Et mes plombages non plus, s'alarme Gaëlle.
- Intéressant, intéressant cela, marmonne Blaise.
Ca y est, j’atteins le pont, enjambe les batayoles : un jeu d'enfant effectué des centaines de fois.
- Allez, on rentre, intimai je.
- Toute la coupole semble être que des volutes de gaz enflammés, on a l'impression d'être entouré de toutes les flammes de l'enfer, remarque Isabelle.
- Tu dis ça pour me rassurer ? Questionne Muriel.
Laisser glisser ma main gauche sur le tube en alu, quatrième chandelier, les bittes d'amarrage doivent être à mes pieds, m'écarter... l'arrondi du septième chandelier, j'arrive à la coupée, la porte de la timonerie est juste à ma droite. Ma main droite saisit le tube qui habille la casquette de la timonerie, descendre et refermer la porte, un jeu d'enfant. Le gémissement d'un Léo toujours aussi effrayé m'accueille. Maintenant, m'asseoir sur la banquette tout de suite à ma gauche et enfin... souffler. Un contact moins moelleux qu'espéré sous ma fesse gauche :
- Aie ! Qu’est ce que vous avez tous à vous asseoir sur moi ce soir ?
- Habillé comme tu l'es, tu préférerais qu'il se couche ? Persifle Claudie.
- A ton avis ? réplique Gaëlle.
Il faudrait intervenir sans en avoir l'air, détourner l'attention :
- Je me disais aussi la banquette n'est pas très moelleuse ce soir !
- Et en plus, je ne suis pas moelleuse, je me pousse, contente toi des coussins.
Dès que je suis assis, Léo vient, enfin essayer de se blottir entre mes jambes et la table, posant sa grosse tête tremblante et gémissante sur mes genoux. Durant quelques minutes, seul le souffle et les lamentations de Léo meublent le silence.
. Curieusement, dans cette timonerie où nous sommes réfugiés comme dans quelque forteresse assiégé, je ne sens pas de tension, de peur, de crainte. A moins que, privé du spectacle apocalyptique qui se joue autour de nous, je ne puisse en appréhender le côté effrayant.
- Pas de cheveux hérissés, pas de fluorescence inquiétante, le compas magnétique est imperturbable... énumère Blaise, comme s'il procédait à un diagnostic de l'état de santé d'un ordi.
- S’il n'y avait pas cette cloche enflammée qui nous enferme, ce ne serait presque pas inquiétant, résume Claudie.
- Ou alors c'est le fatalisme, on y peut rien ; alors pourquoi s'affoler ? Continue Gaëlle.
- Mouais, que tu tombes d'un immeuble, tu n'y peux rien mais cela doit être de plus en plus affolant, modère Muriel.
- Disons que jusque là ça va, jusque là ça va, tente de plaisanter Isabelle.
Sautant du coq à l'âne, je l'interroge :
- Et toi, tu as tes plombages ?
- Oui, deux, regarde là et.....Ils sont partis, je n'ai plus de plombage !
- Tu as raison, Blaise, seul le vivant pouvait traverser.
- D'ailleurs à ce sujet, vous pouvez enfiler quelque chose, rappelle Claudie.
- Ça ne me fera pas perdre la vue, rassurai je.
- Oui, mais la tête, c'est sûr, renchérit Claudie.
- On s'en moque. Imaginez que la coupole se resserre et nous consomme ou nous écrase... Alors les seins de Gaëlle, je m'en bats l'œil, intervient Muriel.
- Heureusement qu'ils sont naturels, imagine que tu es des implants ?.... Beurk !
L'humour noir de Blaise a fait l'effet d'un mal de mer sur mon estomac qui joue au yoyo.
J'imagine sans peine le spectacle de deux implants mammaires arrachés comme les plombages… Beurk, Beurk !
Le silence s'éternise, chacun imaginant sans doute cette sanguinolente éventualité.
- On s'amuse à se faire peur ou quoi ? Et si Patrick avait eu une prothèse ou une broche ... mais au fait, tu as toujours tes vêtements et tes plombages.
Instinctivement, ma langue parcourt mes dents : pas de trous, les couronnes sont toujours fidèles au poste.
- Tout est là ! Curieux, le truc ne semble s'effectuer que de l'extérieur vers l'intérieur, notai je.
- Ça veut dire que le téléphone, l'épée, le couteau, tout ça est resté de l'autre côté, énumère Claudie pragmatique.
- Plus mon piercing, mes boucles d'oreille... ajoute Gaëlle.
- Et ma montre ! Oh ma montre ! Poursuit Gaëlle.
- Mais tu n'avais plus de piles, tempère Muriel qui sait a quel point Isabelle est attachée à ce symbole d'Avant.
Après un nouveau silence ou chacun a dû retourner vers le passé/futur ou l'inverse, je ne sais plus ; Blaise admiratif, remarque :
- C'est superbe, cette coupole ou les veines vertes semblent l'emporter un bref instant avant de paraître à leur tour submergées par les volutes orangées.
- L'enjeu de ce combat, c'est nous ou notre avenir ; vois tu, cela tempère un peu ma propension à m’émerveiller, le douche sa femme.
Je continue de flatter la grosse tête poilue toujours blottie contre mes genoux. Il n'y a rien d'autre à faire qu’ à attendre la fin.
- Si nous mangions, propose Claudie.
- Maintenant... ? s'insurge Muriel.
- Oh oui j'ai faim, plaide Isabelle.
Mère poule ne peut résister au piaillement de son unique poussin ; voilà comment on se retrouve en train de sereinement casse croûter au cœur d'un combat titanesque. Le fatalisme a parfois du bon, surtout lorsqu'il s'accompagne de deux tranches de pain fourrées au pâté et au cornichon.
Faute d'être capable de réaliser de vraies baguettes, nos casse croûtes ne ressemblent plus à rien, mais les petits cornichons qui craquent sous la dent, hum !!!
- Il reste combien de bocaux ? S’enquiert Muriel.
- De cornichons ? Cinq, répond Claudie.
- Dommage ...commence Muriel.
Mais un violent bruit de reflux, de cataractes couvre sa voix. Le mouvement de Grotesque basculant sur le cul s'interrompt brutalement lorsque le talon du gouvernail heurte le sable dans un bruit de tonnerre. Un bref instant, Grotesque parait hésiter entre rester sagement échoué sur son fond plat ou de se vautrer avec délectation sur le sable. Sa dignité ou, plus précisément son centre de gravité, l'emporte. Il décide de rester sagement échoué sans gîte mais nettement sur le cul.
- La coupole s'estompe, nous alarme Muriel.
- La mer s'est retirée, constate Gaëlle.
Ça, je l'avais vu même sans mes yeux : le reflux, le choc.
Tout le monde s'agite et se lève sauf moi, bloqué par Léo et ma cécité. Isabelle me décrit l'évolution de la coupole :
- Les reflets semblent continuer leur bataille mais plus dans l'épaisseur d'une muraille mais plutôt comme des reflets sur une gigantesque bulle de savon. Il fait de plus en plus sombre au fur et à mesure que la paroi semble ténue.
- Il n'y a presque plus de reflets, juste un film très mince qui nous sépare de dehors, enfin de l'autre côté.
Ploff ! Un colossal bouchon vient de sauter.
- Il n'y a plus rien ? M’inquiétai je.
- Plus de coupole, précise Isabelle.
- Est ce une impression ou il fait plus frais ? Questionnai je.
- Regarde Gaëlle et tu auras la réponse, plaisante Muriel
- Mais elle est hors de ma vue, répondai-je imprudent.
Le silence gêné qui s'ensuit me confirme que j'aurais mieux fait de me taire.
- Si tu te penches un peu, tu as le nez dessus, ironise Blaise.
Mince, Gaëlle a dû revenir s'asseoir sans que je l'entende. Le silence s'alourdit seulement entrecoupé de gémissements plus rares de Léo et des pleurs de Moustique.
- Ça va Isabelle, c'est fini, il ne nous arrivera plus rien, promettais je imprudemment.
Silence ; seul un bruit régulier sur ma gauche m'intrigue : clic, clic, clic...Ce n'est pas le convertisseur en "stand by", lui il fait plus métronome : clac, clac, clac...
C'est une torche ! Gaëlle s'était levée pour aller prendre une torche. Elle a surpris plusieurs paroles d'Isabelle.
- Arrête avec ton jouet, intimai je
- L'humour est toujours là, note t elle avant de demander à brûle pourpoint :
- Allumé ou éteint ?
- Tu parles de ma libido ? Tentai je en ultime défense pour reculer le moment où je vais devoir confirmer : "oui, je suis aveugle" comme si ce n'était pas vrai tant que je ne l'avais pas dit. J'aurais voulu encore attendre un peu avant de me coller l'encombrante étiquette de "fardeau" pour le groupe.
- Alors ? Questionne Muriel.
Ai je décelé de la pitié dans ce seul mot ? Déjà !
Des larmes jaillissent de mes yeux morts :
- Ne pleure pas... commence Gaëlle.
- Allumé, répondai-je.
Gaëlle laisse échapper un "Ah !"Soulagée avant de poursuivre d'un :
- Ah non ! Tu as triché.
- Bon d'accord, dans la paroi j'ai été un peu ébloui mais ça va déjà mieux, mentais je.
- C'est vrai, lors de mon passage j'ai vu un flash, confirme Isabelle.
- Oui mais pour Patrick, cela a duré combien ? Une minute, une minute et demie, questionne Blaise.
- J'ai pourtant l'impression d'être resté une éternité là dedans.
- C'est certainement temporaire, tente de me rassure Gaëlle.
Sa phrase sonne tellement faux à mes oreilles qu'à nouveau des larmes me montent aux yeux à moins qu'il ne s'agisse d'une réaction de défense.
- Je commence à sentir du sable sous mes paupières.
- Il faudrait te rincer... commence Claudie.
- L’œil, achève Blaise, avant de continuer égrillard :
- Gaëlle, couvre toi, Patrick serait capable de vouloir se rincer l’œil en braille.
Malgré la situation, sa mauvaise plaisanterie parvient à me faire sourire. S'en suit un silence, chacun s'imaginant sans doute la scène ; vaut mieux changer de sujet.
- Comment est ce dehors ?
- Toujours ce noir mat d'une nuit sans lune et sans étoiles, me décrit Claudie.
- Et avec un projecteur ?
- On n'arrive pas plus loin que l'extrémité de la coupole. Si tu veux, j'y vais avec un projecteur portable, propose Blaise.
- Non ! Attends le jour, tranchai-je en poursuivant pour moi seul :
- " S'il arrive..."
J'entends les respirations de mes compagnons et celle de Léo, calmé, qui s'est endormi sur mes pieds. Nous sommes tous les sept, serrés les uns contre les autres autour de la petite table de la timonerie comme une tribu préhistorique autour du feu, effrayés parce qui vit, chasse, meurt au delà du halo protecteur...
Mon hurlement de terreur... me réveille et fait bondir le clan.
- Quoi ?
- Non, un cauchemar, je rêvais de Gaëlle, commençai je
- Ah, tu vois l'effet que tu as sur eux, attaque Claudie.
- Je suis déçue, j'espérai inspirer des songes plus agréables, réplique Gaëlle.
- Toi aussi, la paroi ? Demande Blaise.
Je comprends que son sommeil à lui aussi était troublé par les images de Gaëlle traversant la coupole.
- Comme découpée en fines tranches au fur et à mesure de la traversée, ta peau, ta chair, tes viscères. Notre cerveau a tout enregistré de toi...., précise Blaise
- Et bien, vous êtes les deux seules personnes à me connaître si intimement, mais de la à faire des cauchemars, je ne suis pas une androïde ou une alien.
- Ah ces faibles hommes, se moque Muriel, avec vous Henrique était mal parti.
Soupirs de faibles hommes.
- Et dehors ?
- Quelques étoiles apparaissent, me rassure Claudie.
- Le gyrocompas ?
- Il indique que nous sommes toujours échoués cap au nord.
- Tu as quelque chose pour les yeux ? Ils me brûlent vraiment.
- Fais voir, demande Gaëlle.
Clic ; j'ai vu une lueur. Elle est toujours là, balayant tour à tour l’œil droit et l’œil gauche.
- Bien dis donc, tu as la paupière toute gonflée comme après un méchant coup d'arc, précise Claudie.
- Je vais lever la paupière pour mettre du collyre, me prévient Gaëlle.
- Je t'aide, il est douillet il va bouger, continue Claudie.
- Patrick, tu es vraiment prêt à faire n'importe quoi pour te faire dorloter, m'accuse Blaise.
Lorsque Gaëlle lève ma paupière droite, je sens le liquide coulé sur ma joue.
- Penche ta tête en arrière, me conseille Claudie.
Le désagréable contact des gouttes froides sur mes pupilles est compensé par celui des seins chauds contre mon bras droit ; Je ne peux m'empêcher de plaisanter :
- Apparemment, il fait toujours aussi froid.
- Non, ces blagues me sont réservées, proteste Blaise.
- Continue, continue Patrick, tu aggraves ton cas, menace Claudie.
Un ange passe.
- Tu veux peut être la stéréo, propose Gaëlle en s'appuyant sur mon bras gauche.
J'imagine l'ange réduit en cendre par le regard que doit lancer Claudie. Courageusement, je me fait tout petit contre ... ces deux poitrines.

" Seuls les paranoïaques survivent "
05-12-2015 à 17:08:07
Rompant le silence, Claudie poursuit à haute voix le cheminement de sa pensée :
- Justement, hier, je réfléchissais aux révélations de Jack. Je me demandais si Gaëlle se retrouvait enceinte...
- Pourquoi moi ? A moins que vous me prêtiez régulièrement vos hommes, je suis la moins sujette à me retrouver dans cette situation, après Isabelle.
- Prêter nos hommes et puis quoi encore ? Louer, à la rigueur ! Précise Muriel.
- Vous vous prenez la tête pour rien, il faudra déjà définir un tarif de location, assène Gaëlle.
- Blaise, quel effet cela te fait que l’on soit réduit à un objet de consommation ?
- Tant que ce n’est pas du fast food sur le pouce.
Pourquoi faut il que l’on plaisante toujours dans des situations pareilles ? Rempart contre l’incertitude contre l’inconnue là juste dehors, moyen de masquer nos peurs ou de nous sentir encore vivants ?
Certainement, l’humour, surtout mauvais, nous aide à nous rappeler notre condition d’animal pensant.
-Mes bras bénéficient de la stéréo, mais mon œil droit s’impatiente. Mes paupières décollées me laissent entrevoir une lueur lorsque je tourne la tête vers les plafonniers.
- Tu nous mimes Gilbert ? M’interroge Blaise.
- Il y a un peu de cela, mais dis moi plutôt si d’autres étoiles apparaissent.
- Ça se dégage lentement, les étoiles s’affirment doucement.
- Rien de changé ? Demandai-je inquiet.
- Non, elles sont toutes là Sirius, Bételgeuse, la grande Ourse, la petite et même la Polaire, me rassure Claudie.
- Euh ! Je crois qu’il y a un problème, tempère Blaise.
- Oui ?
- Tu es sur que nous sommes échoués cap au Nord ?
- Sur !?
- Et bien, la Polaire a changé de place ! M’assène Blaise.
- Changé de place ? S’étonne Isabelle.
- Quelle est l‘étoile en face de nous à peu près 30° d’élévation ?
- Je ne me rappelle plus son nom, me répond Claudie après un bref moment de silence.
- Blaise, lance le programme ou regarde sur la carte du ciel, proposai-je.
Blaise se déplace et Léo en profite pour, enfin libérer mes pieds de sa masse.
- Qui y a-t-il Léo ? Interroge Claudie.
D’où je suis, je peux entendre Léo humer à pleines narines la fraîcheur nocturne. A force de prêter l’oreille à sa bruyante inspection olfactive, je finis par discerner ….une rumeur faite d’une multitude de bruits diffus que je ne parviens à identifier.
- Il doit sentir les langoustes et les poissons échoués après l’inexplicable amplitude de marée. Vous imaginez tout ce qui doit frétiller dans les flaques, s’enflamme la Bretonne.
- Non ! Moi je décerne par-dessus l’odeur diode un note de …. Verdure, de forêt, campagne, précise Claudie dont l’odorat vient juste après celui de Léo.
- Ce qui me trouble est auditif, il y a quelque chose de changé, une rumeur ou…
La révélation de ce qui me trouble me laisse sans voix parce que cela implique….
- Bon ! Tu finis ta phrase papy ou bien l’as-tu déjà oubliée, se moque Claudie.
- ..Il n’y a plus le roulement du ressac sur le récif !
- C’est peut être la marée du siècle ? Avance prudemment Muriel.
Blaise, apparemment se bat avec la carte du ciel, marmonnant :
«Que si l’ordi ceci…, que si l’ordi cela…» Pour finalement énoncer :
- Cela doit être Véga.
Véga, cela éveille quelque part au fond de mon cerveau un écho particulier. Mais c’est un écho qui ricoche de limbe en limbe, m’échappant sans cesse.
- Tu l’as bien repérée ?
- Oui, me confirme Claudie.
- Si elle reste bien à sa place pendant que les autres étoiles vont tourner au fil de la nuit, on aura confirmation : Véga est maintenant la Polaire.
Ah merde ! C’est bien ça. L’écho a refait surface en un souvenir d’une ligne dans un cours d’astronomie ; je continue :
- Si Véga est bien La Polaire, ce n’est pas une marée exceptionnelle mais la mer qui a baissé.
- La mer qui a baissé ? C’est une marée…
- …De peut être soixante ou cent mètres et qui n’est pas prêt de remonter.
- La mer a baissé parce que Véga est à la place de la Polaire ? Demande Isabelle septique.
- Non, la mer a baissé parce que nous sommes environ 15000 ans avant…
- Jésus Christ.. ? Avance peureusement Muriel.
- Avant le 21e siècle, achevai-je
Le «ben Merde» de Blaise résume notre état : Assommé ! Claudie, toujours pragmatique, note :
- Au moins, plus de risques de voir des Espagnols.
- Ni d’hommes en général, se lamente Gaëlle.
- J’entends Blaise s’activer sur le portable.
- Hauteur des mers : -80 mètres, confirme t-il après quelques clics, avant de poursuivre :
- Pour Véga, nous sommes soit 15 000 Avant le 21e siècle, soit 12 000 après.
- Mais faudrait que 12 000 après, le niveau des mers ait baissé de 80 mètres, argumentai-je.
- Pour l’instant, la mer a baissé, la chute de Grotesque sur le sable le confirme, mais de combien ? 1 m, 10 m, 20 m. pour l’instant nous ne savons rien
-Tu as raison, nous verrons demain, nous saurons, acquiesçai-je
A ce moment, j’entends le bruit caractéristique de notre vieil ordi qui s’élance : frémissement, raclement,…
On a envie de l’encourager de la voix …mais !
- Blaise, tu ne t’avoues jamais vaincu ?
- Je n’ai rein fait, se défend t-il il part tout seul et il part pour de bon ! L’écran s’allume, commente t-il avant de se taire brusquement.
Un lourd silence de menaces m’entoure.
- Que se passe t il ? Questionnai-je.
Je crois entendre murmurer une prière. Finalement la voix un peu tremblante Claudie m’annonce :
- L’écran de l’ordi affiche juste un mot : Adieu !
- Les salauds ! Ils nous narguent par là où on a péché, s’emporte Blaise.
- Nous demandions ce que devenaient les pions inutiles… Nous avons la réponse. Ils sont envoyés si loin dans le temps qu’ils ne peuvent plus interférer.
- Loin et isolés de tout.
- Le deuxième point positif, c'est que l'ordi est de nouveau parmi nous, note Claudie.
- Pour ce qui est de la cartographie, Grotesque sera dissout par le temps avant que la mer ne remonte.
- Je ne pourrais pas revoir mes parents, même adolescente, murmure Isabelle.
- D'un autre côté, nous avons l'excitant défi d'un monde totalement vierge à notre disposition et ....s'enflamme Gaëlle.
- Je découvre une nouvelle Gaëlle, excitée par ce qui est vierge.
- Ah doucement ! Quelque soit le millénaire, tes blagues se valent : nulles ! mon chéri, le douche Muriel.
- Ah si on ne peut plus rigoler. Préfères tu que je te dise que rien ne prouve que ce qui nous entoure soit vierge. Imagine, que nous soyons au 21e siècle plus 12 000 ans et que seul un champ de ruines post apocalyptique nous entoure, désert vitrifié par une conflagration générale ...
- Ça va, continue de débiter tes blagues stupides et grivoises, le stoppe Muriel vaincue .
- Encore deux heures et normalement il fera jour, nous serons fixés, tranche Claudie.

On me secoue ; mince, j'ai encore dû m'endormir, ce n'était qu'un rêve. J'ouvre les yeux et seul la découpe floue des trois sabords s’imprime dans mon cortex... Ce n'était pas un rêve.
Je ne suis pas dans mon lit, je suis assis dans la timonerie. Autour de moi, de vagues silhouettes avachies autour de la table comme des poupées de chiffon abandonnées, en désordre, me confirme qu'aucun d'entre nous n'a dormi dans son lit.
Je vois, flou mais je vois ! Je peux même voir à l'Est le jour qui s'avance. Je pleure et ces larmes salées au lieu de me brûler me soulagent. Voir, voir ! Même mal, même un peu, mais voir le soleil se lever, frémir la courbe d'un sein..... Dépêche toi de te lever, j'ai soif de voir à nouveau mes îlots.
- Ça va ? Me demande Claudie à mi voix.
- Mieux, est ma seule réponse et je sors m'asseoir dans le passavant tribord, assoiffé de lumière et de couleur.
- Mets ça, m'ordonne Gaëlle, soudain apparue à mes côtés avec les fameuses lunettes de soleil. Son :
- Tu vois, je te l'avais dit ! est on ne peut approprié.
- Apocalyptique ou vierge ? Interroge Muriel qui vient à son tour s'asseoir dans le passavant, jambes pendantes au dessus... du sable.
- Il faudrait ramasser tout ce que la mer a laissé et trouver un moyen de conserver ce que nous pourrons manger, soliloque Claudie.

Grotesque n'est plus qu'une grosse chose inerte définitivement échouée sur le sable, pour son dernier voyage, ou plutôt c'est la grotte confortable de notre mini tribu. Mais il est condamné à rester là ou le reflux du temps l'a échoué. Tout ce matériel désormais inutile, nos voiles, seul le groupe électrogène, refroidi à l'air, peut continuer à servir. Les moteurs, refroidis ,en prévoyance des glaces, par des réservoirs de coque ne pourront, au mieux, fonctionner que par tranche d'une demie heure.
- Mon pauvre Grotesque, aboutissement d'une vie qui n'aura traversé qu'un océan, me lamentai je .
- Et des millénaires et des millénaires, corrige Claudie.
Avec l'approche de l'aube, la rumeur de la nuit enfle et évolue. On peut maintenant reconnaître les chants d'oiseaux par milliers, un véritable vacarme salue la renaissance du jour, moment de symbiose avec :
- Ça doit se manger toutes ces choses emplumées qui jacassent, constate une Isabelle au réveil, affamée.
- Peut être devrions nous profiter de ce retour dans le passé pour ne pas reproduire les schémas de l'échec ...commence Gaëlle.
- Pardon ? Au réveil, il me faut des mots simples et si tu veux que je te suive, l'interrompais je.
- Hum, hum ! Je suis sur que tu la suivrais même sans un mot, insinue Claudie.
- Mais Gaëlle, pour une fois imperturbable, résume sa pensée :
- Et si nous devenions végétarien ou au mieux si nous ne tuons plus...
- Quoi ? Rugit Blaise en apparaissant à la porte de la timonerie, plus de lièvres, plus de sangliers,...
- Des sangliers ! Tu crois ? demande Muriel aux yeux brillants de gourmandise.
- La femelle Obélix, on se calme, tempère Claudie.
- Des gros ? Ou des gros ? Mime Isabelle.
- Voyons déjà ce qui nous entoure, poursuit Claudie.

Le clan, au complet, sauf Léo qui savoure un sommeil réparateur après sa frayeur d'hier, est assis dans le passavant, jambes ballantes par dessus le pavois, les yeux rivés sur ce qui se dévoile. Nous sommes hypnotisés par toute cette verdure, depuis des mois, nous vivions notre période bleue, majoritairement entourée de bleu : bleu ciel, bleu turquoise, grand bleu.
Le règne du vert commence aujourd’hui, il faudra maintenant s’habituer à vivre dans les dégradés de verts.
- Dans la nuit, nous sommes devenus de gros gros propriétaires terriens. Hier, nous étions à la tête d’une poignée d’hectares et aujourd’hui…
Blaise laisse sa phrase en suspense en parcourant l’horizon des yeux ; seule partie familière à nos yeux, le cercle de 100/120 mètre de rayon centré sur Grotesque.
- La piscine, vous croyez que la piscine a suivi ? S’angoisse Claudie.
- Il vaudrait mieux. Plus de mer, plus de dessal ! Si nous n’avons plus la piscine, m’inquiétai-je.
- Surtout si le climat me semble moins propice aux averses tropicales, renchérit Gaëlle.
- Mes poules, merde, mes poules ! S’alarme Blaise en se levant d’un bond pour se précipiter à l’étrave.
Je le stoppe :
- Blaise, nous irons ensemble et armés.
- Mais nous ne pouvons qu’être seuls.
- Tu parlais du sanglier ? Il peut y avoir quelque chose qui mange des sangliers…Non ?

- Personne n’a une idée de la faune qui peut vivre ici à cette époque ? Demande Isabelle
- Que nous soyons moins 14534 ou moins 16286 avant 2003 quelle différence ? ponctue Claudie.
- Mais pour plus tard,, pour avoir une idée, insiste Isabelle.

" Seuls les paranoïaques survivent "
05-12-2015 à 20:46:32
RHOaaa , le Délire Encooooore


Retrouvé ces jours ci une épave de galion au large de la Colombie ...potentiellement chargée d'or et d'...émeraudes , ils en auront mis du temps à la retrouvée


http://fr.sputniknews.com/international/20151205/1020068988/galion-tresors-decouverte.html

" Seuls les paranoïaques survivent "
06-12-2015 à 19:15:17
- Disons que nous sommes bien le ?????, de l’an - 15000 Proposai-je.
- D’accord, d’accord mais moi je veux voir mes poules et mes abeilles, s’obstine Blaise.
- Celles la ! Elles vont être heureuses avec tout ça à butiner… et tu auras ton miel, achève Claudie à l’intention de Muriel, accrochée aux jumelles.
Il faut dire que depuis Grotesque accroché à sa plage, nous avons maintenant une vue qui s’étend à plus de 25 miles alors qu’il y a 12 heures notre horizon s’arrêtait à moins de cinq miles.
Avec le retrait de la mer, Grotesque se retrouve maintenant près du sommet d’une colline d’environ 90 mètres dont le point culminant, six ou sept mètres plus haut que nous, se trouve dans le secteur de la piscine.
« Pourvu qu’elle nous ait suivi», implorai-je mentalement car le problème de l’eau deviendra vite crucial sans elle.
Derrière Grotesque, tout ce qui était le terrain de jeu de Fifille ou de Zozo n'est plus maintenant qu'un vaste plateau recouvert d'arbres qui cache à notre vue l'étendue de ce nouveau domaine. Seulement, vers l'Est ou les courbes bathymétriques étaient plus resserrées, nous pouvons apercevoir l’horizon et la mer.
- Je monte au mât, passe moi la longue vue, décide Gaëlle.
- Les jours d'orage, bonjour ! note Blaise en désignant les têtes de mât, points culminants de tout l'horizon.
- C'était pareil auparavant, tente de se rassurer Muriel.
Il a raison. Première chose à réaliser : mise à la terre suffisante de Grotesque ; Comment ?
- Bon, qui m'envoie en l'air ? questionne Gaëlle, assise sur la chaise de calfat.
Nous sommes donc mis à contribution.
- Elle a grossi, me souffle Blaise en s'activant sur la manivelle de winch.
- Pardon ?
La question nous tombe dessus du le premier étage de barre de flèche.
- Fui, fui !!! Seul un sifflement détaché lui répond.
- Tiens à ton tour, tu vas voir, me lance Blaise en cédant sa place.
- C'est vous qui allez voir... menace Gaëlle depuis le deuxième étage.
- Eh moussaillon ! tu te tais ou je te laisse là haut.
- C'est bon ; stop ! intime notre vigie.
- Amarre toi, conseillai je.
Là haut, Gaëlle porte la longue vue à son œil et nous décrit ce qu'elle voit :
- Au nord, je vois la mer par dessus notre îlot à environ trois/quatre km. La passe entre les deux îlots ressemble au lit verdoyant d'une rivière desséchée.
Continuant sa rotation par l'ouest, Gaëlle maintenant face au sud, nous confirme :
- Tous les ex hauts fonds et récifs dans notre sud ne sont plus qu'une forêt avec quelques clairières et des arbres moins hauts.
Achevant sa rotation, elle conclut :
- Nous sommes en haut d'une grande île dont nos ex hauts fonds sont devenus le haut plateau. C'est au nord que la mer est la plus proche.
-Groom, au rez de chaussée ! S’il vous plait.
Blaise, m'ayant abandonné pour l'ordi, je laisse doucement filer la drisse.
- C'est superbe, conclut Gaëlle en arrivant sur le pont.
- Venez voir, nous interpelle Blaise de la timonerie. Je laisse les courbes bathymétriques de 80 mètres autour des îlots, voilà ce que ça donne : la mer deux miles au nord, quatre miles à l'Est, huit miles au sud et six à l'ouest.
- C'est pas demain Que Grotesque retrempera ses fesses dans l'eau, remarquai je mélancolique.
- Peut être, mais regarde un peu le terrain de jeu ! s'emporte Blaise ; au pifomètre appliqué, entre deux cents et trois cents km2.
- Et en hectare ? Questionne la normande Muriel.
-Entre 20 à 30.000 !.
- Dommage qu'on n’ait pas de vaches, conclut Muriel
L'atavisme, on ne peut rien contre fille, petite fille, arrière petite fille de paysan. Muriel raisonne toujours en hectare, en pâture, en tête de bétail dès qu'elle parle de terrain.
- Il faudrait connaître les différences de niveau, émet Blaise.
- Quel intêret ? rétorque Claudie.
- Aucun, admet il si ce n'est que l'on pourrait visualiser le contour exact de l'île en fonction de la bonne courbe. Là, j'ai arbitrairement choisi 80 mètres mais cela pourrait être 70 ou 95 mètres.
- On verra cela plus tard, promettai-je.
- Comment ? Demande Isabelle
- En comparant le barographe du bord avec le baromètre de cloison que l'on emmènera au niveau de la mer. La différence de la pression, lue au même moment, nous permettra d’estimer le nouveau niveau de la mer ; pour chaque millibar, elle représentera - 8 mètres.
- Maintenant qu'il fait grand jour, moi je vais voir mes poules, décide Blaise en refermant le portable.
- Je viens avec toi, précisai je en fixant l'étui de HK à ma ceinture.
Mais Léo est déjà en travers de la porte, gueule entrouverte, langue pendante, sa queue en panache et ses yeux pétillants lancent clairement un message :
"Moi aussi, moi aussi, je viens, je viens !"
Comment résister ?
- Bon, tu viens !
Fallait pas dire ça, déjà il trottine sur le pont, vers le cockpit de pêche, saute dans le cockpit et s'arrête net. Il se retourne, nous regarde interrogateur, l'air de dire :
"Et la mer ? Où est la mer ? Comment je descends, moi ?
- T'aurais dû acheter un chihuahua, remarque Blaise, parce que le bestiau, pour le descendre ça va être coton.
Cela n'a pas été coton, cela a été très lourd, mais dés ses pattes sur le sable, Léo fonce en direction des coraux et hauts fonds ayant voyagés avec nous.
- Les filles, si vous voulez récupérer quelques poissons ou crustacés, il va falloir faire vite, conseille Blaise.
Alors que Muriel, Gaëlle et Isabelle accourent, je demande à Claudie de rester à bord avec une des carabines pour surveiller les pêcheuses à pied.
- Il va falloir construire une rampe en sable et en pierre, remarque Muriel lorsqu'elle prend pied sur le sable encore humide.
- Nous sommes plus en sécurité comme ça, appose Blaise.
- Sur ces îles, il y a rarement des félins, des ours ou.... énumère Isabelle.
- Des dragons de komodo, poursuit Claudie, assise dans le cockpit, une des 7 x 64 à la main.
- Dans ce cas, il faudra rebaptiser le cockpit, cockpit de chasse, tente de plaisanter Muriel, scrutant avec suspicion l'orée du bois, cent à cent trente mètres dans notre sud.
Puis se retournant vers Claudie, elle insiste :
- Tu surveilles bien .
- Si vous ne vous éloignez pas trop,... conseille Claudie
En nous voyant partir vers le poulailler, visiblement, Léo hésite : au sud, les petits poissons magiques qui frétillent encore dans les flaques, au nord le poulailler et l'œuf que nous pourrions oublier. Mais le souvenir des poissons volants croqués au petit matin est le plus fort ; direction les flaques.
Pour notre part, nous approchons du lieu de résidence intacte ou caquettent les protégées de Blaise.
Ici, rien n'a bougé, le transfert n'a apparemment pas perturbé ces dames. Nous ramassons neuf œufs ; Blaise l'emporte : 7 à 2.
- Ça ne compte pas, ma vue n'est pas rétablie, plaidai je.
- Bon, demain on définira un handicap, heu, un ... bafouille Blaise.
- C'est le bon mot ; dans les deux cas, ironisai je devant sa gène soudaine.
- Allons voir la lisière, la frontière, propose t il, trahissant le cheminement de sa pensée : handicap, yeux, coupole, frontière....

Le premier transfert du 21e au 16e siècle s'étant effectué en mer, nous n'avons pas pu vérifier l'existence d'éventuelles traces, alors qu'ici, lorsque nous arrivons près de la première ruche, elle nous saute aux yeux. Sur un bon mètre de large, la terre est devenue d'une couleur brun rouge et plus rien ne pousse sur cette cicatrice, traçant son chemin entre la végétation du 16e et celle de ...d'ici, comme le sillon désertique d'une future autoroute balafrant la forêt vierge.
Le "oh !" désolé de Blaise me fait me retourner vers la ruche. Un bon tiers a disparu, volatilisé. Son seul tord fut de se trouver sur le chemin de cette courbe dévastatrice. Toutes les branches d'arbre s'élançant vers la coupole ont disparu, coupées par une gigantesque élagueuse.
Une peur rétrospective me fait frémir.
- Tu disais que ça ne coupait pas le vivant, remarquai je en désignant les moignons qui se dressent, accusateurs.
- Ouais, ouais, mais viens voir la ruche... pas un morceau d'abeille, pas un tronc, pas une tête. Je reste persuadé que le vivant, au moins animal, ne risquait rien.
Nous longeons la trace, n'osant pas encore passer de l'autre côté, jusqu'à la deuxième ruche, intacte, à notre grand soulagement.
- Muriel finira par l'avoir son miel.

Déjà, nous arrivons à la piscine où nous avions abandonné, même vide, les jerricans qui nous attendent sagement appuyés contre la roche.
La piscine a, pour sa part, beaucoup souffert. Le sillon a tranché une partie de la roche à son extrémité ouest laissant échapper la précieuse eau. Notre piscine n'est plus qu'un petit bain de par sa profondeur et la source qui bouillonne en gros remous depuis son fond s'échappe par la blessure.
- Nouvelle priorité : essayer de colmater ces brèches, remarque Blaise.
- Moi qui croyais qu'une île déserte, c'était hamac, sieste et vahinés...., me lamentai je.
- Cela va être : paratonnerre, terrassement et maçonnerie, énumère Blaise jovial
- Curieuse impression de descendre la dune, d'arriver au niveau de la mer, de continuer encore jusqu'à se retrouver dans l'étroit chenal emprunté par Grotesque entre sable et rochers. Cette image de grande marée avec les femmes marchant courbées vers le sol à la recherche de leurs victimes est angoissante. Une grande marée ou le flot ne reviendra que dans des milliers d'années. Ces roches, couvertes de flore et de faune agonisantes ne goûteront plus à l'eau salée avant longtemps.

Léo, délaissant les pêcheuses, vient flairer le sac et son précieux contenu.
- Je crois que pour Léo, peu importe, s'ils sont du jour, de la veille ou plus, remarque Blaise, amusé en mettant ses œufs hors de portée du goinfre à quatre pattes.
Un sillon dans le sable m'oblige à admettre que la dernière approche de Grotesque s'est faite au plus juste.
- Alors ? Lance Muriel.
- Une demie ruche disparue et la piscine transformée en pédiluve.
- Oh non ! Se lamentent Isabelle et Gaëlle.
- .... Mais si vous avez assez de biceps, on peut remédier, promet Blaise.
Gaëlle plie les bras dans l'espoir de faire bomber un tout petit biceps.
- Mouais, avec ça on aura juste un jaccuzi, commente Blaise d'un air déçu.
- Je te l'avais dit Gaëlle, Blaise aime lorsqu'il y a plus de ...muscles, précise Muriel en bombant le torse.
Je les laisse, amusé par leurs gamineries pour aller voir nos canots échoués prés de Grotesque, comme deux canetons sagement assis dans l'herbe prés de maman cane.
Laissant ma main gauche glisser sur le plat-bord déjà tiédi par le soleil, je me laisse submerger par la mélancolie de voir déjà finir leurs vies de navigateur. Ils vont maintenant doucement sécher, les coutures deviendront chaque jour des blessures plus visibles, plus mortelles laissant s’échapper le calfat. Le bois va se craqueler, brûlé par le soleil, les bordés se décolleront.
Affaiblie un jour, une membrure craquera, dévorées par les herbes folles qui se seront nourries de ses entrailles. Le temps durable et sans pitié ne laissera bientôt sur cette grève qu'un squelette. Entre l'étambot et l'étrave subsistera qu'une épine dorsale hérissée de rares membrures brisées.
- Il faudra les recycler dans quelque chose d'utile au plus vite ; je vais avoir besoin de bois pour ces nouvelles ruches et pour la plate forme d'accès à Grotesque puis pour finir le poulailler.
L'empressement de Blaise à réutiliser ce bon bois éloigne l'image lugubre de déliquescence.
- Tu as raison, il va falloir que je secoue ma flemme, il y a tant de chose à faire au plus vite.

" Seuls les paranoïaques survivent "
06-12-2015 à 21:09:19
Grrr , trop-court
08-12-2015 à 08:54:47
En 1552, toutes les options étaient encore ouvertes : de Terre Neuve aux Kerguelen en passant par Fernandho de Norandha, les Bermudes, Pitcairn. Il nous restait à choisir un lieu où nous établir ou bien continuer notre errance.
- Maintenant, nous savons que c'est ici que nous allons vivre et mourir, conclut Blaise qui semble avoir lu dans mes pensées.
Nous rejoignons Isabelle à l'arrière de Grotesque dans ce qui n'est plus dorénavant qu'une dépression d'une trentaine de mètres de diamètre, bordée de rochers coté sud.
- Oh non ! Se lamente tout à coup Claudie en désignant le monticule de pierre au fond de cette cuvette.
- Je comprends son désappointement, un des trésors si difficilement enfoui dans deux mètres d'eau s'est retrouvé transféré avec nous. Jamais nos familles ne pourront le trouver.
- Et l'autre, s'inquiète Isabelle.
- A mon avis, pas de problème, il se trouvait après la piscine, il a dû rester en 1552, la rassure Blaise.
- Peut être seule la surface du sol nous a suivi, suppose Claudie pleine d'espoir.
Nous commençons à déplacer ces pierres et à creuser.
- C'est plus facile à l'air libre, constatai je, me souvenant du sable ruisselant pressé de remplir le trou à peine dégagé lors du creusement.
- Déjà au travail ? Interroge Muriel, surprise en nous rejoignant en compagnie de Gaëlle, de leur récolte et d'un Léo aux narines dilatées.
Vite notre espoir est déçu, le coffre nous a bel et bien suivi dans le temps.
- Tu te rappelles lors du premier transfert ? Me demande Blaise.
- Oui, je me souviens de ce dôme se prolongeant sous la surface de l'eau pour se refermer en une gigantesque sphère.
- Finalement, c'est comme une énorme pince pour les boules à glaces, elle a pris l'air, le sol, le sous sol, remarque Claudie.
- Celle la est au parfum "préhistoire"...
- Ne me parlez pas de glace, s'il vous plaît, se désespère gourmande Muriel.
- Menthe avec des pépites de chocolat, ma préférée, ajoutai je sadique.
Émeraudes et pépites, ce coffre en est rempli jusqu'à la gueule, trésor inestimable et ... parfaitement inutile.
- Dire que cela nous permettrait d'acheter... tout, tout ce qui nous fait envie, tout ce qui nous serait nécessaire... mais seulement dans 15 000 ans.
- On a l'air stupide avec un Grotesque lesté d'or et d’émeraudes... Pour faire quoi ?
- Toutes ces plongées, ces risques pour remplir quelques bidons de pierres vertes et alourdir Grotesque d'un ex précieux métal jaune, explose Muriel.
- Je ne suis qu'en partie d'accord, les pierres sont inutiles, certes, mais les bijoux restent des bijoux et les lingots pourront sans doute nous servir sous forme de feuilles, de cales, de rondelles... Tempère Blaise.
- Des bijoux ! Pourquoi ? Insiste Muriel.
- Mais pour me plaire, ma chérie, se moque son mari.
- Oh oui ! Couvre moi d'or...
- Là, tu pourrais mourir étouffée par le poids… de l'or, m'empressai je de préciser, sous le regard lourd de menaces que me lance Muriel.
- Ce midi, repas léger : poissons grillés et quelques coquillages, annonce Claudie.

Après avoir allumé le feu de bois avec Blaise, nous dressons la liste des priorités, en essayant de trouver la solution à leur réalisation respective.
Pour le paratonnerre, seront sacrifiés trois mètres de T de 60 en alu pris sur les restes d'alu de la construction ainsi que 6 mètres de câble de soudure que je croyais traîner pour rien de bateau en bateau depuis deux décennies...
- En boulonnant le câble entre un galhauban et le T enfoncé jusqu'à la garde dans le sol, ce sera parfait, commente Blaise.
- De toute façon, Grotesque est toujours une parfaite cage de Faraday, est-il bien nécessaire...
- Oh oui ! Pour me protéger de l'inquiétude de Muriel ! Me coupe Blaise.
- Est ce le fait d'être environ moins 15 000 ans qui nous fait craindre que le ciel nous tombera sur la tête ? Tente de plaisanter Claudie.
- Tu as raison, on régresse. Bientôt je vais te traîner par les cheveux, promettai-je
- C'est ça, même pas en rêve, menace Claudie en tapotant le plat du couteau, qui lui sert à éviscérer, dans la paume de sa main gauche.
Un ange effrayé par Claudie s'enfuit à tire d'aile.
Prudents, nous nous éloignons aussi, ayant décidé de réaliser les paratonnerres avant le repas. Mais finalement, le sable s'avérant moins meuble qu'espéré, c'est seulement en milieu d'après midi, qu'en sueur, nous pouvons contempler les douze derniers centimètres qui, maintenant seuls émergent du sol. Et c'est dans seulement trente malheureux centimètres d'eau que nous décidons tous d'aller nous rincer.
- Même pour moi, il n'y a pas assez d'eau, remarque Claudie déçue.
- Par contre le débit me parait beaucoup plus important, constate Gaëlle en jouant avec le bouillonnement qui sort de la brèche.
- Il y a moins de contre pression.
L'eau n'arrive même pas à nos genoux, nous contemplons l'ampleur de la tache qui nous attend pour juste avoir le plaisir de barboter dans un bon mètre cinquante d'eau.
- Est ce que cela en vaut la peine ? Questionnai je.
Devant les protestations unanimes, Je bats en retraite non sans faire remarquer :
- Il va falloir bouger deux fois plus de sable et de pierres que pour la fosse commune.
- Deux jours seulement ? demande Isabelle pleine d'optimisme, se voyant déjà à nouveau plongeant dans sa chère piscine.

Quinze journées furent finalement nécessaires, et c'est seulement au troisième essai que notre barrage tient.
- Nous sommes moins doués que les castors, lance Blaise dépité après le deuxième échec.
Et c'est ce qui nous a donné la clef de la réussite.
Au lieu d'empiler des pierres en un fragile muret s’appuyant sur du sable vite emporté par le ruissellement, même si quelques pieux et un entrelace de branches étaient sensés l'empêcher,
nous décidâmes de couper un arbre, de le débiter en tronçon de deux mètres, d'ajuster ces tronçons avec des recouvrements, puis de sacrifier trois bancs de nage des canots pour finaliser la surface et alors la pression de l'eau se décida enfin à travailler pour nous. Avec des fuites minimes, l'on peut parfaire la tenue des pierres et du remblai sablonneux pour enfin, aujourd'hui, solennellement, reprendre possession de "notre" piscine. Il a fallu 8 jours pour qu'enfin mes muscles endoloris puissent avec délectation ne rien faire si ce n'est se laisser flotter dans cette eau tiède et cristalline.
- Rien à faire, ça a quand même du bon, lançai je en me laissant glisser dans l'eau.
- Gaëlle, tu as égaré ton maillot de bain ? Note Claudie lorsque celle ci rejette les trois timbres poste qui l'habille sur la roche.
- Non, je viens de réaliser que je n'ai plus que trois maillots et, qu'à priori, il faudrait qu'ils résistent chacun 120 ans, alors je l'épargne, répond elle amusée. Cela ne choque personne ? Ajoute t elle narquoise.
Avec Blaise, nous évitons prudemment de répondre par un enthousiaste : "Oh non !", en feignant de nous intéresser à la tenue du barrage. Seule Muriel, répond par un :
- Tu as raison, moi aussi je vais l'épargner.
- Même si notre espérance de vie est moindre, nous allons rapidement, tout au moins dans trente ou quarante ans, nous retrouver à cours de tissu, acquiesce Blaise.
- Nous pourrions sacrifier un spi asymétrique, suggère Claudie.
- Au moins nos tenues seraient colorées. Mais le tissu à voile, même fin, risque d'être inconfortable, temperai-je moi qui répugne à diminuer les capacités de Grotesque, même échoué pour toujours.
- Serions nous capables de reconnaître du lin ou du coton s'il poussait sur notre nouveau domaine? Interroge Muriel.
- Comment d'une plante faire un tissu même grossier ? Il faudra chercher dans l'encyclopédie, insiste Blaise.
- Tu as peur de la nudité ? Lui demande Gaëlle.
- Vois tu, nous sommes des hommes.
- Sans blagues ? S’esclaffe Gaëlle.
- ...et nous n'avons pas votre plastique lisse et agréable à regarder.
- Merci mon chéri, se moque Muriel.
- ...et nous aimons bien avoir un short et une chemise, car le climat est quand même bien plus frais achève Blaise, apparemment insensible aux moqueries et sourires entendus des naïades. Mais lorsqu'il fond sur sa proie, la paisible piscine se transforme en un gigantesque défouloir aquatique. Comme des adolescents, Blaise et Muriel luttent dans une joute faite de défi et de séduction.
Pour ma part, moralement plus vieux ou moins spontané, je préfère me laisser couler au fond et pendant quelques paisibles secondes, le dos contre la roche tiède, je regarde onduler la réalité à travers le miroir déformant de la surface... Jusqu'à ce que les troublantes ondines nues ne viennent planer dans mon azur, substituant le charme de la chair à celui de l'eau. Le bénéfice de nos exercices physiques et de notre nourriture plus frugale est visible. Nous avons tous minci, brûlant nos stocks de graisse pour, nourrir nos muscles raffermis sous nos peaux ambrées.
Le spectacle agréable, même si par défi, les nageuses m'adressent d'horribles grimaces ; il va bien falloir remonter et rentrer dans l'arène pour la bataille d'eau générale.
Une demie heure plus tard, seul Léo continue à jouer en compagnie d'Isabelle, nous autres essayons de reprendre notre souffle et de récupérer tranquillement, allongés face à la frondaison.
- Léo est incroyable, s'extasie Muriel.
- Il est complètement givré, rectifie Blaise.
C'est l'impression qu'il donne, c'est sûr ! Il sort de l'eau au seul endroit possible pour lui, court le long du bord vers Isabelle qui se laisse couler, saute à l'eau et plonge vers elle pour réapparaître ensemble. Dès qu'elle est à la surface, il ressort à nouveau.
- Ça suffit, Léo ! Viens ici ! Intervient Claudie avant d'ajouter à mon intention :
- On rentre au bateau !?
-Vous allez faire des folies ? Interroge Blaise.
- Une seule, mais c'est une surprise, précisai je.
- C'est quoi ? Insiste Isa.
- Rendez vous dans une heure et demie au plus tard....
Nous nous dirigeons très tranquillement vers notre cocoon. Avant l'inauguration, j'ai pétri de quoi faire deux pains ; la surprise n'est pas là, en cherchant une conserve d'épaule à sacrifier pour l'occasion, Claudie a retrouvé "le camembert" en boîte, rescapé de notre gourmandise.
Nous avons décidé qu'à l'aide de deux moules à cake, de cuire des pains carrés et, avec de la chance, en combinant épaule, tranches de camembert et de pain, de faire des pseudos croque monsieurs. La rareté d'un met faisant bien souvent sa valeur, nous espérons un succès éclatant avec ces croque monsieur préhistoriques, les premiers de l'histoire.
Une heure et quart plus tard alors que nous apercevons nos compagnons qui arrivent, nous enfournons le fruit de notre labeur. Dur labeur : pétrir une nouvelle fois le pain, ouvrir deux irremplaçables boites de conserve et surtout couper de belles tranches de chaque ingrédient, avant d'à nouveau sacrifier un peu de notre précieuse énergie pour dorer l'ensemble.
- Il faudra maçonner un four à pain à bois, remarquai je avant de noter cette réflexion dans le petit calepin qui ne me quitte plus, où j'écris toutes les priorités.
A ce jour, seules trois sont biffées : paratonnerre, piscine, plate forme.
La plate forme, étant devenue échelle de meunier, réalisée sur la base de l'échelle en alu qui servait pendant le carénage dont Blaise a superbement garni les échelons de marches débitées dans un autre banc de nage.
Blaise est précieux pour le groupe car il a à la fois l'esprit aiguisé pour trouver la solution fiable et les mains pour en faire un objet élégant. Alors que pour ma part, même si je trouve une solution solide, elle sera rarement élégante ou légère. Ce qui fait dire au groupe devant mes réalisations bizarres :
"Ça, c'est du breveté Patrick"....
Dès son arrivée sur le pont, Muriel s'exclame :
- Ça sent le fromage !
- Le fromage chaud, précise Blaise.
- Des croque monsieur, s'écrit Isabelle déjà penchée sur la porte du four.
Seuls, sont ceux qui ont longtemps été privés d'un mets, même simple, peuvent comprendre le plaisir fou qu'il y a à mordre dans ces tranches de pain chaud. Mâcher doucement en savourant une dernière fois encore le goût de notre terroir, de nos racines.
Muriel, en bonne normande, y va d'une petite larme nostalgique.
- Il faudrait trouver des chèvres, des brebis, enfin quelque chose à traire et nous pourrions nous essayer au fromage, songe Blaise à haute voix.
- Patrick a déjà ajouté une priorité : un four à pain à bois, remarque Claudie.
- Ça ne doit pas être difficile si des tribus l'ont réalisé, pronostique Isabelle toujours optimiste.
- Certains ne l’ont jamais inventé, tempère Gaëlle.
- les pierres, ça ira, mais le ciment ? Interroge Blaise.
- Les coraux morts cuits, proposai je sans trop y croire.
- Il y a peut être de l'argile ... dehors ? Soumet Claudie.
" Dehors" : le mot est jeté. Depuis seize jours, même lors de la réparation de notre piscine, aucun de nous n'a osé franchir la frontière. Seul Léo, a allègrement flairé, franchi, arrosé la saignée brunâtre qui nous encercle. Léo et les abeilles qui, dès l'aube, s'envolent vers le bois et les clairières pour revenir les pattes décuplées par leur précieux chargement.
- Nous pourrions y aller demain ? Propose Gaëlle.
- Maintenant que la piscine est pleine, je voudrais dégréer toutes les voiles, drisses, écoutes, les rincer avant de tout ranger.
- D'accord, même Grotesque se déshabille, réplique Gaëlle avec une petite lueur incendiaire dans la prunelle.
- Rhum pour l'équipage ! Quémande Blaise.
- Après les joies simples du bain, de la nourriture, du vieil alcool... celle du sexe, suggère Gaëlle, narquoise.
- ..."mais dans ton cher cœur d'or, me dis tu mon enfant... la fauve passion va sonnant l'olifant ! Laisse la trompeter à son aise, la gueuse !..." lui déclame Blaise.
C'est sous les étoiles, avec un fond de cognac dans nos verres que la soirée s'achève paisiblement.


Comme promis, hier nous avons totalement déshabillé Grotesque. Plus une seule voile à poste, toutes les drisses dépassées, les poulies dégrées. Gaëlle envoyée en tête de mat hurle à tue tête :
- Aujourd'hui, j'enlève le haut !
- Et Claudie du pont :
- Ça ne date pas d'aujourd'hui.
Nous gardons seulement la balancine de Grand voile qui nous servira à rentrer notre "échelle pont levis".
- Juste au cas où, précise Blaise sous les quolibets.
- Parano est de retour !
Tout ce qui est désormais inutile dans le gréement et sur le pont a donc été déposé, rincé, séché, et finalement difficilement rangé à bord.
Et ce soir, pas de croque monsieur, des poissons grillés et juste un plat de nouilles avec rien autour, quelques fruits en dessert et un sachet de thé pour six.
- Il va falloir chasser sinon le moral ne va pas suivre, pronostique Muriel.
- On en regretterait presque les langoustes, ajoute Blaise.
- Au nord, la mer n'est pas loin. Nous pourrons essayer d'y aller demain, propose Gaëlle, apparemment pressée de reconnaître les nouvelles frontières de notre domaine.
- Et nous pourrons définir a quel niveau se trouve la mer, cela nous permettra peut être d'affiner ...
- D'affiner quoi Blaise ? Quel intérêt de savoir ? Le coupai je.
- Ça nous aiderait à tourner la page sur notre vie de marin, rétorque Claudie.
- La page tournée ? Mais le livre est fermé. Regarde Grotesque, tout nu...
- Lui aussi.
- ...Il ne ressemble plus qu'à un arbre décharné qui sait que jamais le printemps ne reviendra, achevai je.
Bon Dieu, que je suis triste ! Dégrée, Grotesque n'est vraiment plus rien, qu'une maison, juste une maison ; mais pour moi qui habite sur des bateaux depuis trente ans, une maison ce n'est qu'une coquille vide, sans âme, sans vie.
- C'est ce que je disais, il va falloir vite profiter de la chair, un bon steak ça remonte le moral, insiste Muriel.
- En parlant de chair, on pourrait...
- Gaëlle !, la coupe avec un bel ensemble toute la gente féminine, y compris Isabelle.
- C'était juste histoire de détendre... l'atmosphère, tente t-elle de se justifier.
Les durs travaux physiques des deux dernières semaines ne semblent pas avoir tempérer sa libido.
- J'ai fait une liste, non exhaustive, de tout ce qui devait pousser ici à cette époque, enfin juste ce qui est comestible et utile. Je pourrais faire quelques croquis pour mieux les reconnaître, propose Muriel.
Pendant que Muriel laisse parler sa fibre artistique avec Isabelle, Blaise et moi tentons de définir ce qui nous semble être le meilleur chemin jusqu'à l'océan.
- D'après les courbes bathymétriques, il faudrait aller jusqu'à l'ex chenal et suivre les traces de l'ancienne passe... Commençai je
- Oui, c'est là que la pente semble la plus régulière, confirme Blaise.
- Nous irons tous ? Questionne Claudie alors qu'elle prépare la logistique de "l'expédition baromètre".
- Bien sûr ! Répond l'équipage en chœur.
Moi, qui pensais ceindre le groupe en deux, un restant pour garder Grotesque.
- Je pourrais rester pour noter la pression du barographe ... avançai je.
- Par définition, le barographe n'a pas besoin de ton aide. Tu as peur que l'ancre dérape, que l'on nous aborde, qu'un voisin drague ton mouillage, se moque Claudie.
Qui sait à quel point je répugne à laisser Grotesque seul.
- Les voleurs, peut être les voleurs ! Ironise à son tour Blaise.
- Ta vue ? S’inquiète Gaëlle.
- Non, non ! C’est presque comme avant... Bon ok, nous irons tous mais l'on relèvera l'échelle et l'on fermera...
- A clef ? Me coupe Muriel hilare.
- .... Ben oui ! Achevai je honteux de ma paranoïa.

Petit déjeuner pris aux aurores, nous nous élançons avec armes et quelques bagages au point du jour. Le cœur léger, lavé de la tristesse d'hier soir, seule Claudie ronchonne mais seulement à cause de l'heure matinale...
Léo trotte en avant de la troupe, truffe inquisitrice au ras du sol, prenant à cœur son rôle de voltigeur. Lorsque l'on s'approche de la saignée, inconsciemment nous ralentissons ; il se retourne et nous regarde l'air de dire :
- "Bien alors, déjà fatigués !".
Au passage de la trace, bien que nous évitions d'imprimer nos pas dans la marque rougeâtre, seule Isabelle a un mouvement de recul.
- Aucun risque, regarde je suis restée toute habillée, la rassure Gaëlle déjà de l’autre côté.
- Habillée ! Ce n'est pas avec toi que les tisseurs ont fait fortune, plaisante Muriel devant la tenue de Gaëlle.
- Quoi ? J'ai de bonnes chaussures, un chapeau et ... se défend elle.
- Plein de choses entre les deux, achève Blaise.
Bon, le short est échancré, le tee shirt a du rester trop longtemps dans le sèche linge dans une autre vie mais connaissant l'animal, malgré la relative fraîcheur, cela aurait pu être pire.
- En tout cas, ça a l'air bon pour le moral des troupes, ajoute perfide Claudie qui a du suivre mon regard.
Avec Blaise, nous nous intéressons tout à coup énormément à la nature qui nous entoure aux traces dans le sable. Pour un peu, on sifflerait d'un air presque détaché...
- C'est ça; faites le canard, menace Muriel amusée.
Nous précédons le groupe, fiers, ignorant les sarcasmes. Enfin, c'est l'image que nous aimerions donner car certaines remarques qui fusent dans nos dos ne manquent pas de piquants et nous écoutons ce qu'il sera préférable de ne pas entendre...
- Regarde dans quel état tu nous les mets, s'insurge Claudie.
- Et c'est vous qui en tirez tout le bénéfice, rétorque Gaëlle.
- Bénéfice que tu voudrais partager, nous savons bien, insiste Claudie

" Seuls les paranoïaques survivent "
08-12-2015 à 17:50:48
- Et c'est vous qui en tirez tout le bénéfice, rétorque Gaëlle.
- Bénéfice que tu voudrais partager, nous savons bien, insiste Claudie
- Tu as décidé d'une offre de location ? Plaisante Muriel.
- Ils ne sont plus de la première fraîcheur, tu as raison, assène Claudie.
- Bon, ils ont perdu leur ventre mais ils n'ont plus tous leurs poils, insiste cruelle Muriel
- On va transiger à deux poissons et six langoustes ! Conclut Claudie.
- Quoi ! Même pas un chameau, ou quelques moutons, m'offusquai-je.
- Laisse, ignore les, me conseille Blaise feignant de se draper, nuque raide, œil sur l'horizon  ; dans quelque invisible toge.
Devant nous, Léo a disparu, basculant dans le petit val qu'est devenue la passe.
- Léo !
La tête hirsute, les yeux interrogateurs, réapparaissent au dessus de l'herbe et Léo s'élance vers nous, oreilles de cochon battant au rythme de sa course.
Depuis le franchissement de la saignée, Le sable n'est plus là, remplacé par une herbe d'une trentaine centimètres parsemée de quelques bouquets d'épines. Sur notre droite, le sous bois clairsemé s'est transformé en une forêt dense et sombre et, visiblement Léo apprécie le changement ; lui qui est un chien de zone tempérée, il retrouve avec soulagement ces conditions de vie plus fraîche et la flore qui l'accompagne. Pour notre part, pour l'instant aucune des plantes rencontrées ne nous est familière. Seuls quelques épineux nous rappellent les mures.
-Mais ceux sont vraiment des mures ? Questionne Muriel tiraillée entre la prudence et la gourmandise.
- Dès que nous serons sûrs, il y aura une belle récolte à faire, pronostique Claudie.
- Malheureusement pour les confitures, il faudrait du sucre, soupire la gourmande de service.
- Pourquoi faire des confitures si tu as des fruits frais ? S’étonne son mari.
- Le plaisir chéri ! Le plaisir d’une tartine à la gelée de mures... Hum !
Il ne faut jamais parler de nourriture avec Muriel, sauf si vous êtes parmi les rayons d'un super marché ou tout est trop facile car sa gourmandise se trouve vite frustrée.
A notre tour, nous arrivons à proximité de la dépression qui deviendra dans bien longtemps la passe d'accès à ce mouillage privilégié où s'est posé Grotesque.
A la pensée de mon bateau seul, le bas à l'autre bout de l'îlot, une affreuse idée traverse mon esprit :
- "et s'ils décidaient de nous ou de le transporter dans une autre époque..."
Sans Grotesque et sa cargaison nous serions incapables de survivre bien longtemps.
- Qu'il y a t-il ? Tu as l'air soucieux, s'inquiète Blaise.
- Il est toujours inquiet, précise Claudie. Comme dit sa mère : "Il a peur que la bonne année arrive deux fois"
J'hésite un instant à partager ma pensée, puis égoïstement je songe :
-"Et zut ! Pourquoi serai je le seul à m'inquiéter ?"
- Je me disais : s'Ils changeaient Grotesque d'époque et seulement lui ....
- Tu crois, me coupe Muriel, alarmée.
- Mais non, je suis persuadé que nous faisons un tout lui et nous. D'ailleurs, la paroi s'est refermée qu'après le passage de Gaëlle, remarque Blaise.
- Alors, il ne faut jamais laisser Isabelle seule, insiste Muriel.
Apparemment, je suis le seul à vraiment m'alarmer d'une telle éventualité. Claudie s'est contentée d'une mise en garde accompagnée d'un haussement d'épaules :
- C'est pas bon pour ton cœur des pensées pareilles.
Isabelle et Gaëlle ont seulement chantonné sur un air léger : Papa rano, papa rano...
- Léo, qu'est ce que tu manges, s'écrie Claudie.
Mais Léo ne mange pas, il boit. Au fond du val, entre les herbes plus hautes coule un mince filet d'eau claire d'à peine une trentaine de centimètres de large.
- Elle est presque froide, constate Isabelle qui s'est empressée d'y tremper ses sandales comme tout enfant qui se respecte.
Heureusement que la source de la piscine est chaude.
- L'important, ce n'est pas la température, c'est que Léo la boive !
En effet, Léo n'a jamais bu de l'eau tiède de la piscine.
- Doit on faire confiance au discernement de Léo ? Tempère Blaise
- De toute façon, sans grosses averses et sans dessalinisateur, il faudra bien se décider à boire quelque chose. Autant boire celle que Léo préfère, je fais confiance au flair de mon chien, s'enflamme Claudie.
- Mangerais tu tout ce que ton chien mange ? Interrogeai je me souvenant d'un Léo prêt à goûter les éclaboussures sanguinolentes d'Armel.
- Mais tu as raison, on n'a pas le choix, cette eau filtrée par le plateau, on peut espérer qu'elle soit bonne. Il faudrait remonter jusqu'à la source pour avoir moins de pollution, précise Blaise.
Nous suivons cette rigole jusqu'à ce qu'elle disparaisse dans le sable mouillé par la mer, trois kilomètres plus loin.
- Elle est froide, s'exclame Gaëlle qui s'est précipitée, retirant chaussures, chaussettes, avant de stopper net, de l'eau jusqu'aux mollets, déçue.
- J'aurais dû prendre une combinaison, ça risque d'être difficile pour les langoustes, ajoute t-elle.
- C'est toi qui vois tes priorités, se moque Claudie.
- Je vais y aller... Assure t’elle.
- Tu ne vas rien faire du tout, si tu attrapes la crève on sera bien avancé. Nous reviendrons avec une combinaison, nous aurions dû y penser. Contente toi des cannes et de l'épervier, conseille Blaise.
- Oui mais...
- Fallait pas promettre deux poissons et six langoustes, tant pis pour toi, insiste t-il rigolard.
A t-elle murmuré ? : "Ou pour toi"... ou bien est ce mon imagination ? Mieux vaut ignorer, semble me dire le regard de Blaise.
- Concentrons nous sur le baromètre, propose t-il
Le petit baromètre de cloison de style vieille marine indique : 1030 hpa.
- Et il est ? ... 9 heures ? Déjà ! Mais nous avons traîné, remarque Blaise.
Je note 1030 hpa à 9 heures dans un coin de ma tête, puis ayant peur de ne pas retrouver le coin en question, je demande à la cantonade :
- Vous vous souviendrez : 1030 à 9 heures ?
La cantonade acquiesce.
Les quatre heures suivantes se passent à reconnaître la petite crique où viennent se rencontrer en un baiser humide notre mini ruisseau et l'immensité salée.
- Qu’est ce qui nous prouve que cela est vrai ? Me demande Blaise en désignant l'horizon.
- Pardon ?
- Et bien oui ! Avant, l'on pouvait avec Grotesque repousser l'horizon et le repousser encore... Mais maintenant ?
Je ne comprends pas la remarque de Blaise et mes yeux ronds ont dû me trahir à moins que ce ne soit ma bouche que je tarde à refermer.
- Si nous étions dans une réserve, dans un zoo avec l'horizon en trompe l’œil ? Insiste Blaise.
- Ah ! Tu as peur que l'on nous jette des cacahuètes ... plaisantai je.
- Je préférais des tartes à la crème ! Corrige les yeux brillants de Muriel.
- De toutes façons, ça changerait quoi ? Nous sommes coincés ici, point final. Que nous soyons en moins 15 000 ou dans un zoo dans un autre système solaire ou même dans quelques arche intergalactique, ça ne change rien, tranche Claudie.
- Moi, j'aime bien l'idée d'un arche intergalactique avec les bulles terriennes, celles des martiens, celle de ET, de Proxima du Centaure etc... Ajoutai je.
- Eh bien ce soir ET n'aura pas de langouste et que de la friture, se lamente Gaëlle.
- Il va falloir repartir car le retour s'annonce plus long avec la pente contre nous, maintenant, propose Isabelle.
- Ce n'est pas le poids de la pêche qui va beaucoup nous freiner, commente Muriel.
- Fais la fière. La prochaine fois, tu riras moins. J'amènerai combinaison, fusil, la panoplie complète et tu verras, promet Gaëlle.
- Des promesses, toujours des promesses, murmure Blaise avant de s'élancer en tête sur le chemin du retour.
A mi parcours, Claudie dévie sa course vers l'orée du sous bois qui enserre le petit val.
- Ce sont des noisetiers, assure t-elle en montrant les branches souples, garnies de feuilles presque circulaires.
- Ça y ressemble, concédai je après examen de l'écorce lisse et des feuilles.
- Mais où sont les noisettes ? Réclame Muriel se voyant déjà croquant sans doute les amandes fraîches.
- Pas la saison ou pas de vrais noisetiers. Nous sommes par ???? De latitude et même si le climat a changé.
Muriel interrompt son mari :
- Le climat a changé mais je ne crois pas que les saisons soient très marquées, ils devraient donner en permanence.
Il y a 15 000 ans, les saisons étaient elles marquées sur ces latitudes ? J'en sais fichtre rien... et dans un climat continuellement tempéré, y a t-il une production permanente de fruits ?
- Il faudrait surveiller, je me vois bien casser des noisettes pour finir un repas, soupire Claudie avant de reprendre sa progression.
En arrivant près de la frontière rougeâtre, soudain Léo s'arrête et s'hérisse, la truffe au ras du sol.
- Il se prend pour un chien de chasse ? Se moque Blaise.
Je cours vers Léo statufie. A moins d'un mètre devant lui, se trouve un magma sanguinolent, gros comme une balle de golf, mais broyé et fumant.
- Qui s'amuse à faire du steak haché sans retirer les poils ? Questionne Blaise, tourné vers ce qui n'est pour lui qu'un plafond.
- Au moins, ce n'est pas des cacahuètes, notai je.
- Mais cela n'a rien d'une pâtisserie, ajoute Muriel écœurée.
Blaise, penché sur la chose, commente ses observations :
- Il y a des poils blancs, des petites dents...
Puis prenant une brindille pour mieux fouiller le magma, il enchaîne :
- ... un petit œil noir, un morceau d'intestin... Oh non ! C'est une queue.
- Une souris, c'est une souris ! S'exclame Gaëlle.
- Une souris blanche, alors ?
- S'il y a des souris ici, il faudra toujours relever l'échelle de Grotesque, s'inquiète Claudie.
- Ça n'est pas logique, j'ai lu quelque part que c'est nous qui avions amené rats et souris sur ces îles... ou alors je confonds, notai je.
- Une souris blanche, ça fait plutôt rat de laboratoire, non ? Remarque Claudie.
Comment les restes broyés et en partie cuits ont bien pu arriver là ?
- Si elle était juste broyée, on aurait pu penser à quelques prédateurs qui n'auraient pas aimé le goût mais un carnassier avec un micro onde dans la gorge, je ne vois pas, analyse Blaise.
- Euh, un dragon peut être, propose Isabelle.
- Isabelle, nous sommes dans la réalité, ici pas un conte, tempère Blaise.
Mais Isa sans se démonter se contente de lui répondre par une question :
- Crois tu ?
- En tout cas, ce ne serait qu'un dragonnet pour s'en prendre à une petite souris, concédai je.
- Un dragonnet qui serait doué en géométrie, lance Blaise, agenouillé dans l'herbe et le nez au ras du sol.
Chaussant mes précieuses lunettes, je me penche à mon tour et suis du regard la pointe de la brindille que Blaise promène autour des restes du rongeur.
Très net, maintenant que Blaise nous l'a signalé, un cercle brunâtre d'une vingtaine de centimètres de diamètre a laissé son empreinte sur le sol. Pendant plusieurs minutes, le silence se fait ; nous nous perdons tous en conjonctures plus improbables les unes que les autres.
- Ils se sont loupés ? Émet Muriel.
- Ils nous ont déjà expédiés deux fois : nous, Grotesque, la mer ou la terre qui nous entoure, les poules et les abeilles... Non ! Ils ne peuvent pas se louper pour une souris, réfute Blaise.
- Heureusement pour nous ...commence avec une moue dégoûtée Isabelle.
- Et s'Ils s'entraînaient ? La coupai je
- Mais Blaise vient de dire qu'Ils ne pouvaient faire une telle erreur, pour un si petite quantité, proteste Muriel.
- Sauf...
- Sauf si c'est la première fois, achève Blaise.
- Là je décroche, expliquez moi, capitule Claudie.
- Et si c'était çà le but de notre transfert, rapporter les résultats de leur expérience, proposai je.
- Sont ce les mêmes ?

" Seuls les paranoïaques survivent "
08-12-2015 à 19:38:07
Super ! je garde pour demain , aujourdhui je "Colle " Complètement su le Forum " Usinage " avec la restauration d'une fraiseuse , le genre de travail que tu peut mettre dans le salon parceque........................

http://www.usinages.com/threads/dufour-51-une-de-plus-sur-le-forum.35945/

vraiment un truc de dingue .............D'ici que je craque y à pas loins
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