Bon j'espère que vous avez été sage ...je vous en mets une "tartine":
", (qui sert pour la batterie et appareils de navigation) non plus. Il est tout étoilé, foutu. Les gros panneaux 24 volts basculés en position verticale ont juste la marque de quelques impacts sur le cadre en alu. Rien de grave, ils sont remis à l’horizontale.
- On s’en sort bien, constate Armel en poussant les grêlons à travers les dalots à l’aide d’un balai délaissé par Gaëlle, qui déjà a ressorti cannes, lignes de traîne, rapalous, pieuvres et s’active dans le cockpit.
Après notre passage dans l’obscurité, le bleu de la mer et du ciel nous semble nettement plus profond, plus vif, plus vivant.
De l’inspection dans la timonerie, il ressort que le GPS ne sait plus que nous donner …des trais, mais plus de position ; poussé dans ses retranchements, il consent à avouer : « pas de satellites ».
- Antenne ou connexion d’antenne, conclut Blaise.
- Sans doute pareil pour le récepteur BLU, plus de Voices of America, de BBC, de RFI ; dans les bandes radio amateurs, plus rien non plus, même le top horaire continu WWVH est muet.
- De toute façon, il n’y a pas urgence, concluais-je.
- Un poisson ! Un poisson, j’ai un poisson, s’étrangle Gaëlle.
Il y a de quoi, c’est le premier en 12 jours. Nous nous précipitons tous, Léo nous coiffe tous au poteau.
J’explique :
- Poisson est un mot magique pour lui comme potion pour Obélix.
- Arrête de dire que mon chien est gros. Il est …il est, hésite Claudie, il est musclé.
Blaise, qui est venu avec un décimètre pour la mise en boîte demande :
- Elle est où ta sardine ?
Mais là pas de réponse, pas de sourire, la pêche pour une bretonne pur beurre c’est sérieux ; tendue dans un seul but, ramener sa prise à bord, Gaëlle sue et Léo bave…
Ça y est presque, une daurade coryphène est là juste dans le sillage se battant pour sa survie. Je songe : « si ça casse maintenant, Gaëlle nous fait une crise, si ça ne casse pas, il faudra tuer cette splendeur et la manger… »
Je vais chercher la bouteille de cognac, pas pour noyer mon chagrin, mais une rasade versée dans les ouïes, en général tue net le plus beau des poissons.
Dans un mouvement ample, la daurade atterrit dans le cockpit de pêche (enfin bien nommé). Il va falloir que je la tue.
Pas eu le temps ! Gaëlle a bloqué le poisson d’un genou et crack, d’un seul coup de couteau l’a proprement occis.
- Alors, demande t-elle fièrement à la ronde.
Il me reste plus qu’à boire le cognac.
- Je n’aimerai pas être un poisson sous ses genoux, me glisse Blaise en repartant piteux avec son décimètre.
Claudie qui rejoint Gaëlle et Léo pour réduire en filet ce superbe carnassier, me lance :
- Tu as vu la bête ?
Je ne préfère pas approfondir, savoir si un soupçon de jalousie lui fait donner ce nom à Gaëlle ou au poisson.
Je me réfugie dans la timonerie où Blaise jure entre ses dents en testant la BLU.
- Laisse tomber, on verra bien, demandai-je.
Le dernier point resté en mémoire sur l’Ordi portable qui sert à la navigation sous place par 16° 07’N et 43°46’W. Je sors un routier de l’Atlantique et reporte cette position ; plus trois heures immobiles dans le courant, plus la dernière heure à 4,5 nœuds dans le…
- C’était quoi ? M’interroge Blaise à mi voix.
- Un orage sec
- Arrête, tu as vu comme moi que nous étions dans une bulle !
- J’en sais rien, peut-être une illusion d’optique, une hallucination due au stress, à l’électricité ; enfin on s’en moque, plus que 1000 milles et on mouille à Fort de France, conclue-je en reposant le compas à pointe sèche.
Dans l’heure qui suit, les trois « grâces » d’après Armel, le trio infernal pour Blaise nous concocte un repas qui nous fera oublier celui écourté de midi, promettent-elles.
- Claudie, arrête de donner à manger en douce à Léo, il fait déjà presque 75 kilos à 14 mois, c’est…
- Mais il a de gros os et un Léo, cela peut faire 80 kilos ou plus, réplique ma femme.
- Adulte, adulte, tentai-je de répliquer.
- Oui, mais il aime ça, ajoute Gaëlle.
Bon, une bretonne contre moi, c’est la retraite, deux c’est la fuite, avant que la normande ne s’en mêle auquel cas c’est la rédition si l’on veut sauver sa peau.
Après avoir lancé un moteur et réglé le pilote, je rejoins Blaise qui en grille une devant la timonerie en compagnie d’Armel.
Nous restons assis, tranquilles à l’ombre du génois (au vent de Blaise et de son chicot) à regarder les cumulus bien blancs. Je vous le conseille : asseyez vous et regardez bêtement un nuage, ça calme…
- La VHF, on n’a pas essayé la VHF !
Boum ! Blaise m’a ramené sur terre, enfin sur mer.
- Blaise, on est au milieu de l’Atlantique, hors des routes de cargos, tentai-je timidement.
Mais je connais Blaise ; sans informatique ou sans électronique il est perdu.
- Mais il y a peut-être un voilier, avance Armel.
- Tu sais, la transhumance se fait plutôt en saison mais vas-y Blaise essaie, abdiquai-je.
L’antenne VHF en tête de grand mât ne semble pas avoir souffert du bombardement mais il est peu probable que quelqu’un nous réponde.
Dix minutes que Blaise essaie tous les canaux, en vain. Je l’entends grommeler à mon adresse :
- Pourtant elle marche ! Tu es sur qu’elle marche ?
Cinq minutes plus tard se joue la scène ridicule suivante :
Moi à l’arrière du bateau avec une des deux VHF portables et Blaise à l’intérieur sur la VHF en puissance réduite, et c’est parti :
Blaise : « Tu m’entends Patrick ? »
Moi : « Bien sur je t’entends ! »
Moi : « Et toi, tu m’entends ? »
Blaise : « Ben oui : »
Tout ça en stéréo, dans une oreille via la VHF, dans l’autre en prise directe. Ridicule.
Par les hublots arrière de la cuisine, j’interroge :
- Gaëlle, as-tu remonté toutes les lignes ?
- Oui chef.
Plus de respect les jeunes. A nouveau assis, je questionne Blaise :
-Alors satisfait ?
-Ben non, je ne comprends pas et…
-Regardez les gars ! L’interrompt Armel en désignant la mer à tribord.
Un énorme banc (ou vol) de poissons volants jaillit, ricoche, plonge ; ils sont des centaines à fuir quelques prédateurs invisibles ; peut-être les sœurs de celle qui est en train de cuire dans la cuisine en dégageant un fumet appétissant ?
- A table ! Appelle Muriel.
Nous dînons toujours tôt afin que le quart « minuit/4 heure » puisse faire un somme avant.
Je coupe le moteur. Exceptionnellement, ce soir nous dînons un peu serrés à la table de la timonerie. Cela nous permet de jouir du spectacle du soleil couchant et de nous sentir plus proches les uns des autres face au crépuscule qui s’annonce dans l’Est.
Personne n’a parlé des événements de l’après midi mais face à la nuit qui s’avance tout le monde y songe.
- Le poisson, réclame Blaise.
Devant la tête poilue qui vient de se poser sur la table, je conseille :
- Change de mot Blaise, sinon tu n’en verras pas la couleur ; allez Léo couche-toi.
Léo obtempère, mais le soupir qu’il laisse échapper vaut tous les commentaires.
- Jamais rassasié ton chien, enchaîne Armel.
- Occupe toi de ton assiette, lui conseille Gaëlle qui connaît les réactions de Claudie quand il s’agit de son cher toutou.
- Voilà la pèche de Gaëlle, annonce pompeusement Muriel.
Ça a été vite expédié. Vingt minutes plus tard, de ce chasseur encore redouté des poissons volants ce matin, il ne reste …que des bruits d’estomacs repus.
Et Blaise d’attaquer :
- Pas mal Gaëlle mais il en faudrait deux et un peu plus petits.
Il s’en suit un échange amical mais musclé entre les duettistes, chacun essayant de trouver le nom d’oiseau le plus imagé possible.
Devant l’approche de la nuit, il faut choisir : voir ce qui peut arriver dehors ou ce qui se passe dans nos assiettes.
Ce soir, l’arrivée de la nuit nous oppressant, j’allume le radar, définis une zone de garde et « plein feu » dans la timonerie. Tout le monde semble soulagé de ce choix.
- Il fait plus frais ce soir ? Questionne Muriel.
Je confirme : l’eau de mer fait 2° de moins qu’hier (l’écran radar par l’intermédiaire d’un bus affiche les données des sondes dont la température).
- Curieux, laisse échapper Blaise.
Repas sympa qui se prolonge, même les jeunes, d’habitude pressés d’aller se 'reposer’ (« ils appellent ça comme ça ?», avait demandé Muriel,, faussement, ingénue dès le deuxième soir)
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Chapitre 03
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« Le jour d’après »
4 Mars 2003.
Je suis prisonnier d’une bulle qui rétrécit, la paroi humide s’appuyant sur ma bouche m’étouffe. Une odeur de poisson envahit mes narines…De poisson ? Je m’éveille d’un bond, Léo pèse sur moi et entreprend de me débarbouiller.
- Léo, tu pues !
- Ça tu peux le dire, confirme Muriel de la cuisine, ce matin il y avait des dizaines de poissons sur le pont, tu t’imagines l’état de Léo.
- Aujourd’hui, pas besoin d’une bête, commente Claudie.
Je rejoins Blaise à la timonerie et m’informe en raison de sa nuit écourtée.
- Pas trop dur ?
- Tu parles, à deux, chacun fait un somme.
- Le vent a molli. On pourrait envoyer l’asymétrique et la grande misaine.
Pas de réponse, je continue donc :
- Ou mettre les moteurs.
- Épargne ton gazole, me répond énigmatique Blaise, en continuant de s’activer sur le clavier du portable.
- Que fais-tu ?
- Oh rien, une idée, une extension pour ton programme de navigation, élude t-il.
Devant notre faible vitesse et le beau temps, je vais peut-être prendre des photos de Grotesque de l’extérieur.
Je me penche pour donner le classique petit tapotement sur la boîte du barographe. Depuis 20 ans qu’il nous suit, il doit en avoir sa claque des tapes : stationnaire, plat 1035 m/b. Des yeux je suis la courbe, je reste coi ; hier vers13 heure, le stylet a marqué un aller retour de dix millibars en une heure sans un souffle d’air ! Sous un grain, un orage, une variation, c’est normale mais pas d’une telle amplitude.
Blaise, par-dessus son clavier et ses lunettes commente :
- Bizarre Non !
Je confirme d’un hochement de tête, il replonge derrière son écran et s’active de plus belle avec son clavier.
Le loch indique 3,5 nœuds ...en pointe.
Je persiste dans l’idée de faire des photos, le soleil n’écrasant pas les volumes. Je remercie Léo de m’avoir fait tomber du lit.
- Claudie, ça te dit un tour en annexe ?
- D’accord, répond elle à travers un capot de notre cabine.
A part ça, je me dis que le plus dur ça va être de lui faire enfiler sa brassière. Après 25 ans passés sur des bateaux, Claudie n’a toujours pas appris à nager, pour être précis elle nage quand elle a pied…
Nous avons deux annexes à bord : une rigide de 4,80 mètres qui fait voile et aviron mais elle est saisie sur le roof et on ne la met pas à l’eau pour une heure ; le petit pneumatique de 3,30 mètres (zozo pour les intimes) est donc sorti du coqueron (L), assemblé et gonflé.
- A toi, me souffle Claudie.
A mon tour de me dandiner bêtement sur une jambe.
- Je me demande comment une aussi petite chose demande autant de coups de pompe, fait remarquer Claudie.
Le petit hors bord de 4 cv est fixé.
On roule un génois ; du pont, Grotesque semble presque arrêté, d’en bas, c’est un peu différent. Allez, vogue la galère !
- Blaise, déroule le génois.
Trois cercles autour de Grotesque, photos et retour, loin de notre coquille, l’océan semble vraiment très grand, on ne s’éternise pas (pensée émue à Rémi Bricka qui pour moi a fait la traversée la plus extrême).
- On remonte Zozo ? Me demande Claudie, pressée de mettre hors de portée de Blaise la tentation de faire un tour.
- On y va, dit Blaise.
Tour de bateau, photos du bateau à partir de Zozo et de Zozo depuis le bateau.
Puis, Zozo n’est qu’en partie remonté si les jeunes veulent faire un tour, il sera vite à l’eau.
Le cliquetis du clavier reprend, je reporte l’estime : en 20 heures environ 70 milles, des rameurs ont du aller plus vite ; je me console en songeant à un collègue qui a mis six jours pour les 200 derniers milles. Et je ressorts la boîte de mon sextant (L) qui n’a pas du servir depuis douze ans.
- Tu sais encore t’en servir, interroge Blaise moqueur ?
- Je crois que le morceau de bois doit être dans la main droite et la bonnette contre l’œil.
Pauvre humour ce matin, songeai-je.
Quelques vérifications d’usage, deux ou trois hauteurs pour voir.
J’ai bien des tables et des éphémérides (L) quelque part mais entre quelques opérations et un clic, je choisis le clic. J’attendrai que Blaise ait fini avec l’Ordi. Je pourrai faire une latitude à midi pour recommencer doucement.
Sextant rangé, devant le mutisme de Blaise, je me retourne vers un interlocuteur au moins aussi loquace : l’écran du radar et je joue avec les échelles 2, 4, 8, 16, désœuvré. Soudain, sur l’échelle 16 milles, un écho semble apparaître faiblement vers les 11 milles.
- Quelque chose ? Questionne Claudie,
sa question ayant pour effet de faire apparaître une paire de lunettes au ras de l’Ordi,
- Peut-être, mais ce n’est pas gros ou pas haut.
- Pas possible, pas possible, marmonne Blaise.
- Tu as raison, quelque chose de plus lent que nous, ça n’existe pas, dis-je en éteignant le radar.
Et bien Si ! Ça existe ; vers 11 heure, soit à peine deux heures plus tard, nous avons un écho qui se trouve pile poil sur notre route à 9 milles.
- Appelle le, demandai-je à Claudie.
Après cinq minutes d’appels infructueux, elle renonce.
- Ils sont devant un jeu vidéo ou un film porno, tous les mêmes ces marins.
Blaise me sourit goguenard, je lui réponds en langage des signes : international et explicite…
- Tu es sure que ce n’est pas un grain, s’inquiète Muriel.
En me penchant vers l’écran, je lui montre l’écho :
- Ça non ! Celui là plus large, plus diffus peut-être ?
En effet, une demi heure plus tard, à sec de toile, le shampooing à la main, nous attendons que la pluie nous rejoigne. La bonne grosse averse tropicale est là, sans vent, juste ce don du ciel pour rincer Grotesque et son équipage sans restriction ; tous sauf Léo qui, allant se réfugier dans la timonerie, croise Armel et Gaëlle qui nous rejoignent. En quelques secondes, nous sommes trempés, le déluge est si fort qu’il nous rince à peine savonnés.
- Pourvu que ça dure, implore Claudie en train de laver son opulente chevelure.
- C’est sur, rien de plus couillon qu’une coupure d’eau sous la douche, enchaîne Blaise.
- Où est le robinet d’eau chaude ? Frissonne Muriel.
C’est frais et comme par définition on ne va pas sous la douche en doudoune, les plus habillés d’entre nous n’ont qu’un maillot de bain. Armel, que je soupçonne de vouloir nous montrer combien Dame Nature a été généreuse avec lui est bien sur en tenue d’Adam, alors que Blaise et moi même, après les plaisanteries d’hier concernant le froid, la taille des grêlons …, plus modestes ou moins gâtés, avons nos maillots de bain, des vrais pas des trucs anémiés comme le monokini de Gaëlle fait de trois ficelles et de deux timbres poste.
- Il tombe des hallebardes, glisse Blaise.
- Ça 20°, ca raffermit les chairs, lance Muriel.
- Parle pour toi, réplique Gaëlle.
C’est vrai, après deux grossesses, la poitrine de Muriel est la moins orgueilleuse mais c’est aussi la plus volumineuse et de loin…les pamplemousses plus que les pommes semblent subir la dure loi de la gravité.
A chaque averse, nous récupérons de l’eau que nous réservons à des taches ménagères, n’ayant jamais osé la boire devant les traces grasses et noirâtres qu’elle laisse sur la blancheur du roof. Des seaux sont fixés aux endroits stratégiques : axes du taud, angles du roof puis transvasés dans des jerricans. C’est symbolique, 40 à 60 litres, symbolique et gratifiant 40 litres sauvés, 40 litres économisés sur le gâchis.
- Dommage qu’elle soit sale, remarque Claudie.
- Pas aujourd’hui, pas aujourd’hui, répète Blaise en regardant le roof resté éclatant.
- Oui, j’avais remarqué, mais il est trop tard pour en sauver plus, concluai-je en évitant son regard.
Dommage, car une fois le pont rincé, il suffit d’obstruer les dalots, avec une telle averse nos réservoirs auraient été vite complétés. Le nuage nous dépasse, déjà les rayons du soleil tropical vaporisent l’eau restée sur le pont. Les voiles sont renvoyées dans un vent plus soutenu après le passage de l’averse.
Léo réapparaît dès les premiers rayons, se couche à l’ombre contrairement à Gaëlle qui, après s’être copieusement enduite d’huile solaire, se crucifie sur la plage avant. Heureusement que Grotesque n’a pas de pont en teck. Je ne peux m’empêcher de lancer :
- Gaëlle, tu vas brûler !
- Mais non, c’est une très bonne huile.
Et Blaise de conclure :
- Huile de friture alors, en rentrant dans la timonerie avec moi.
Le radar nous montre la fuite de l’averse au devant de nous ; à travers l’écho diffus du nuage, l’écho que nous rattrapons semble à 9 milles.
- En montant dans le mât avant l’averse, on aurait peut être pu l’apercevoir.
Observant l’écran par dessus mon épaule, Blaise marmonne :
- Sera toujours temps après.
- A table ! Appelle Claudie.
- Pas faim, répond Gaëlle en pleine cuisson.
- Filet de poisson volant, renchérit Muriel
Ce qui soulève un écho favorable d’Armel et un sursaut suivi d’une galopade en provenance du passavant à l’ombre.
- Le mot tabou, souffle Blaise.
- Gaëlle, c’est toi qui veilles, nous rattrapons quelque chose droit devant.
Repas tranquille dans le carré, Muriel et Claudie, craignant sans doute que de la timonerie, nous nous intéressions à d’autre cuisson qu’à celle des filets ; suivi du classique :
- Qui veut un pisse mémé ?
Alors interrompu par un :
- Ca y est, ça y est, je le vois !
Comme lors de toute rencontre en mer, tout le monde veut voir.
- C’est un voilier, assure Claudie qui a pris les jumelles.
- Fais voir, fais voir, trépigne Muriel.
Pour ma part, après avoir vérifié la distance au radar, 7 milles toujours droit devant, je sors la longue vue dehors. Blaise m’accueille par un :
- Tu te la joues Captain Haddock ?
- Faisant la sourde oreille, j’observe et sans un mot lui tend la longue vue ; alors qu’il cesse son observation, je commente :
- Sacré vieux gréement !
Mais Blaise, un peu blême lâche :
- Ca se confirme,
et disparaît à l’intérieur avec la longue vue.
Alors que je le rattrape pour récupérer l’objet, il me demande :
- Je peux me servir du PC ?
Dans notre cabine arrière, nous avons un PC qui sert à tout ce qui n’est pas navigation.
- Bien sur, si tu ne pirates pas mes fichiers dénudés, tentai-je de plaisanter lorsqu’il lâche :
- Prends une droite de hauteur.
Je comprends que ce qui me taraude depuis hier soir jusque dans mon soleil et que je m’efforce de contenir de refouler (cartésien), lui il l’a laissé remonter, l’a analysé, pesé, disséqué et a sans doute envisagé l’impossible, alors que pour ma part, l’Impossible est impossible même si je suis français.
Je regagne la timonerie, me penche sur le radar, ajuste le VRM (L) : 6,4 milles.
Armel et Gaëlle, excités comme des poux, questionnent :
- Combien de temps pour le rattraper ?
- A ce rythme, 2 heures et demi.
- Patrick, fais partir les moteurs, tente Muriel.
- Non, nous avons le temps.
(Aurai-je du ? cette question me taraude encore aujourd’hui).
- T’as raison, y a pas le feu, me soutient Blaise de la cabine.
Claudie, devant mon manque d’entrain, m’interroge du regard, question muette à laquelle je réponds d’un :
- Rien, en lui tendant la longue vue.
Puis, j’extrais le sextant de sa boîte, prends le chronomètre et sors. Je descends quatre fois le soleil, note les hauteurs et les heures.
Assis devant le portable, pendant son lancement, je songe au côté ridicule de la situation : belle journée lumineuse, le ciel et la mer comme lavés par l’averse, vent juste ce qu’il faut, quatre enthousiastes qui regardent s’approcher un vieux gréement et deux inquiets scrutant chacun un écran à l’intérieur alors que le spectacle est superbe à l’extérieur.
Bip ! L’Ordi réclame du travail, quatre fois je lui rentre les infos demandées : points estimés et les relevés.
Quatre fois, il me donne une réponse à peu près similaire par rapport à mon point estimé. Mais l’intercepte est en dehors du probable : hauteur calculée 71°03’59’’, observée 70°47’37’’, 17’ d’écart !
Je ne peux faire une telle erreur d’estime sur 24 heures, au portant dans une zone où tout porte dans la même direction, vents et courants… Peut-être un courant imprévu, inconnu, une déviation due au réchauffement ?
Un choc sur le sextant ?
Me sentant observé, je me retourne. De l’entrée de la cabine, Blaise me scrute :
- Pas terrible, annonce t-il.
Je ne sais s’il s’agit d’une question ou d’une affirmation.
Claudie, par un des panneaux ouvrants en façade de la timonerie, m’annonce :
- Superbe construction, avec un pavillon immense, un étendrat comme dirait mon petit neveu.
- Comme ça ? Lui demande Blaise en lui tendant une feuille fraîchement sortie de l’imprimante.
- Comment as-tu fait, lorsque tu es monté, on le voyait à peine ? Demande Claudie stupéfaite.
Je jette un coup d’œil à l’extérieur puis au radar ; l’écho est à moins de cinq milles.
- Patrick, Blaise venez voir ! Hèle Muriel.
M’appuyant sur le tube de l’enrouleur, je scrute longuement le navire ; alors que Blaise l’observe à son tour, je détaille avec application la représentation que le vent fait s’agiter entre mes mains : il n’y a pas de doute , c’est bien ça.
Lorsque Blaise se retourne, je tente :
- Il y a eu en 1990 une reproduction de la Santa Maria qui a été jusqu’en Colombie et d’autres qui ont traversé vers les Antilles…
- Oui, je m’en souviens ! Confirme Muriel.
- Sans doute une autre commémoration, un film, une pub, ajoute Claudie.
- Qu’est ce qui t’inquiète, lui demande Armel.
Gaëlle porte l’estocade en se moquant d’un :
- Tu crois quand même pas aux vaisseaux fantômes…
- Alors tu crois qu’il navigue depuis combien de temps ? Questionne Armel, ironique.
Je lui tends le feuillet ; sous la représentation, on peut lire : « Galion espagnol XVI siècle ».
- Mais regarde le, il est comme neuf, insiste Armel en remettant la longue vue dans les mains de Blaise.
- Justement, justement, marmonne Blaise en tentant d’allumer un chicot, l’instrument coincé sous le bras droit.
Il bat en retraite et me fait signe de le suivre ; s’apprêtant à rentrer dans la timonerie, il se rappelle la règle et continue vers la plage arrière pour y finir son chicot.
Adossé au zozo qui forme un pont entre la plage arrière et l’arrière du cockpit de pêche, le moteur et la fin des boudins au dessus du vide, il me regarde approcher, pensif.
Puis soudain, semblant avoir pris une décision, il se redresse d’un bond et jette son chicot.
Je reste éberlué, non parce qu’il se relève si aisément alors qu’il a un an de plus que moi, puisqu’il pèse 15 kilos de moins, ça s’explique. Non, ce n’est pas cela mais il a jeté un chicot qui n’était pas fini.
- Suis moi !
De retour dans la timonerie, nouveau coup d’œil au radar, un peu plus de quatre milles.
- Assieds toi, m’intime t-il tout en martyrisant le clavier du portable. Donne moi tes relevés. Depuis hier, j’ai un peu transformé ton programme de navigation …
- C’est ça l’erreur ! L’interrompais-je.
- Mais non, rien à voir, s’emporte Blaise.
Pour quelqu’un qui parle peu, je le trouve très bavard depuis peu.
- Bon explique, concédai-je,
et au fur et à mesure de ses questions, je lui communique les infos demandées.
- Donne moi ton point estimé, tes relevés, les heures, la marge d’erreur la plus optimiste.
- Bon ! Tu t’expliques, insistai-je.
- J’ai demandé à ton programme transformé : si à l’heure H, le soleil est à la hauteur observée h à la position estimée P…
- Oui ? L’encourageai-je.
- Eh bien … à quelle date sommes nous ?
- Blaise, arrête de fumer tes chicots, ne doit pas y avoir que du tabac là dedans ; nous sommes aujourd’hui et aujourd’hui c’est le 14 mars 2003, Point barre, concluais-je en me levant.
- En es tu sûr, me lance Blaise.
- Comment veux tu qu’il en soit autrement et ton programme, ça ne peut pas marcher… avec le soleil.
- Ah oui, et pourquoi ?
- Dans combien de temps, te réponds l’Ordi ?
- J’en sais rein, avoue t-il
- Et bien, tu verras, pronostiquai-je en sortant.
Les autres, un peu surpris par cet échange à voix forte, m’interroge de regard.
- Rien, un délire de Blaise, les rassurai-je.
Une heure plus tard, toujours derrière son clavier, Blaise me fait signe :
- J’ai restreint les recherches.
- A mars 2003, tu as raison, coupai-je.
- Non, je considère : la hauteur, l’heure, la position, le jour et le mois comme juste…
- C’est parfait, l’interrompais-je à nouveau.
- Je ne cherche plus que l’année.
- Blaise, tu es décourageant, lâchai-je en me tournant vers le radar : 2,5 milles.
- Il me semble voir des silhouettes, annonce Claudie.
- Au moins, ce n’est pas un vaisseau fantôme… persifle Gaëlle, interrompue par un grognement de Léo.
- Des dauphins, hurle Muriel.
Comme toujours, c’est la ruée à l’étrave, la bousculade ; regarder des dauphins, c’est l’enchantement devant leurs mimiques et leurs cabotinages, on les trouve tellement humains.
Mais aujourd’hui, malgré nos cris, nos sifflements, ils passent aussi nombreux qu’indifférents.
- Peut-être chassent ils ? Emet Armel.
Seul, Léo continue à donner de la voix. Il faut dire que le croisement dont il est issu a donné deux chiens différents : le gros nounours toujours à la recherche d’un câlin, pas avare de lichettes, toujours prêt à jouer avec ceux qu’il connaît, ça c’est son côté Léonberg. L’autre côté, c’est le chien qui depuis des millénaires est fait pour protéger son troupeau, sa meute, ses maîtres et pour qui tout étranger est une menace, qui ne laisse aucun autre chien monter à bord, s’il ne l’a pas connu tout jeune. Le bateau est son territoire, Point. Ca, c’est le côté berger du Caucase.
Quelquefois, je me demande si ce côté sombre de mon chien nous considère comme ses maîtres, sa meute ou… son troupeau. Vaut peut-être mieux pas savoir.
Léo, enfin calmé, fier d’avoir fait fuir les intrus, (je suis certain qu’il le croit), vient nous rejoindre à l’arrière tribord ou je suis assis avec Claudie.
Nous aimons bien regarder notre bateau ainsi quand tout est calme. Bien appuyé par ses voiles, nous filons à cinq nœuds ce qui est très … très lent pour un bateau de cette taille. La silhouette est curieuse mais fonctionnelle et puis comme nous l’avons conçu, c’est forcément le plus beau et je hurle plus que je ne chante :
- Ohhh mon bateau oh oh oh, c’est le plus beau des bateaux….
- Tu ne crois pas qu’il a assez plu, s’enquit Muriel en nous rejoignant.
Vexé, je retourne à la timonerie. Les détails du vieux gréement se font plus précis. Lorsqu’il est sorti de l’horizon, tout le monde voulait le voir et maintenant seuls Armel depuis le balcon et Gaëlle, a nouveau huilée et allongée continuent à l’observer avidement. Peut-être étant plus jeunes, ont-ils besoin de plus de compagnie ?
- Alors, lançai-je en direction de Blaise.
- Je cherche, tu aurais pu acheter un modèle plus récent
- Tu sais, pour ce que j’en fais.
Gaëlle, nous ayant entendu parlés a tourné la tête et sourit à Blaise comme pour s’excuser des persiflages passés, à moins qu’elle ne soit simplement heureuse, heureuse de sa jeunesse, de sa beauté dorée presque nue.
Je laisse échapper : - Mon amie La Rose…
Et Blaise de continuer : - m’a dit ce matin…
L’alarme du radar calée sur 1 mille retentit.
Le dernier mille est passé si vite ; toujours pareil, on se rapproche de quelque chose, bateau ou côte, c’est très long, ça traîne ; et puis on distingue les bosquets, les maisons, les voitures, les gens, les vissages , les yeux, tout dans une espèce d’accélération continue.
La réplique est là à cinq cents mètres, toujours droit devant ? Armel, en figure de proue humaine fait des grands signes du bras sans obtenir de réponse. Gaëlle, assise quatre mètres derrière lance :
- Claudie avait raison, ils regardent un porno. Tous des obsédés ces marins, avec un regard amusé vers la timonerie ;
- Peut-être nous ont-ils pas vus, émet Muriel.
- De toute façon, on va lofer un peu pour passer sur sa hanche tribord, dis-je en rajoutant 5° à notre cap.
- Muriel, tu mettras 10 ° de plus,
et je la laisse en compagnie de Blaise. A le voir s’acharner sur le portable, je crois qu’il essaie de l’achever avant d’arriver en Martinique.
Avec Claudie, je borde un peu la grand voile ; cela amplifie les 10° que vient de rajouter Muriel. Le pilote cherche son équilibre, nous bordons le génois et doucement le pilote retrouve ses marques.
Je me penche pour voir sous la voile d’avant. Nous sommes à trois cents mètres ; ça va passer largement à ? mètres.
Muriel, assise à la porte de la timonerie, commence à prendre des photos ; Claudie, au pied du grand mât, love l’écoute de grand voile en compagnie de Léo.
- 100 mètres
Je me penche pour régler le chariot d’écoute.
Boum !!!! Tout le monde sursaute.
- Ahhh ! Cris de surprise de Muriel et de Gaëlle.
Je n’ai pas le temps de penser : « ah la bonne blague ! », qu’un bruit de souffle précède de peu la totale destruction de l’éolienne bâbord.
Puis c’est le hurlement de terreur de Gaëlle. Mon cerveau refuse de comprendre : toujours assis au balcon, main gauche tenant encore l’enrouleur, la bouche ouverte sur un cri qui ne viendra plus, Armel nous regarde de ses yeux morts ; son sang a giclé sur le génois, sur le pont, sur Gaëlle qui hurle d’un long cri de bête du plus profond des ses entrailles et de la nuit des temps.
Agenouillée sur ce pont ensanglanté, les bras pendants le long du corps, elle n’est plus qu’une plainte. Armel est mort, ne peut pas vivre avec un tel trou Il lui manque tout le côté gauche entre la hanche et les côtes. Comment n’a-t-il pas été emporté par le choc ? Doucement, d’un bloc, comme si une conscience animait encore ce corps mutilé, Armel bascule à l’extérieur du balcon.
Ce genre de scène dure une poignée de secondes, secondes qui marquent une vie.
Léo, pas embarrassé par un cerveau qui cherche à comprendre, à expliquer réagit le premier. Il court le long du bord en aboyant, n’aimant pas voir quelqu’un nager sans lui.
Puis tout s’accélère, Gaëlle se relève vivement et se précipite dans l’espoir de rattraper son Armel. Craignant qu’il ne se jette à l’eau, Claudie bloque Léo dans le passavant. Je hurle :
- Gaëlle, Non !
Muriel la ceinture au passage de la timonerie. Je me rue dans la timonerie ; vite, agir vite !
Débrayer le pilote, mettre la barre toute tribord avec le joystick, le bateau part dans une aulofée, coup de gîte.
Boum ! Nouvelle canonnade ; gerbe à bâbord.
Lancer un moteur, embrayer à fond, lancer le deuxième, embrayer à fond ; tant pis pour la mécanique, remettre la barre au centre.
- Gaëlle, crie Muriel.
Pousser, pousser ces putains de manettes, 2500 T/mn maximum
Le bateau semble stopper, l’aulofée a cassé notre erre, les voiles, plus assez bordées faseyent. Je gueule :
- Rentrez tous.
L’accélération se précise 4, 5, 6, 7 nœuds …
- Gaëlle a sauté, crie Muriel affolée. Je lui ai jeté la bouée…
Boum ! Boum !
La panique, le bruit des voiles, des moteurs, ces cons qui nous prennent pour cible, réfléchir vite. Demi tour et risquer le bateau, Non ! Abandonner Gaëlle, Non ! Tout est de ma faute, c’est moi le responsable. Je pousse Claudie à la barre en lui disant :
- A fond tout droit.
Nos regards se croisent, amour. Huit nœuds. Le couteau de pêche à la main je traverse le carré en deux enjambées, sors à l’arrière. Blaise m’a suivi ; à nouveau, un regard dans le sien. Je lis :
- « Quoiqu’il t’arrive, j’assure.
Couper l’amarre de Zozo, le pousser dans le vide et sauter avec lui. Lorsqu’il bascule, le choc ! A moitié éjecté, le souffle coupé, avec toujours dans ma tête, ces mots : « vite, fais vite ».
L’essence, prise d’air, lanceur. Ah, je l’embrasserai, il part au quart de tour ; poignée dans le coin, Zozo déjauge vers la tâche brune et orange là bas, pas si loin. Une idée égoïste me traverse : « Pourvu qu’ils continuent à viser Grotesque ».
J’arrive, je coupe les gaz, la tache brune se retourne et je vois deux grands yeux affolés dans un visage terreux qui tremble.
- Bouge ton cul, Gaëlle.
Au passage, alors que Zozo continue sur son erre, je me plie en avant et saisis un bras crispé autour de la bouée.
Je l’a tiens.
- Allez, aides toi, merde !
Mais Gaëlle n’est plus que deux yeux, terrassée par la panique. Je tire de toutes mes forces sur ce bras mais elle glisse. Soudain, je comprends la peur panique de Gaëlle. Parmi la tâche sanglante que fut Armel, des ailerons se battent pour finir le festin. Putain de bestioles !
La mer est vide, du sang et ils sont là à se battre.
J’arrive à saisir le deuxième bras, je tire de toutes mes forces ; j’en pleure de rage et d’impuissance. Je hisse le torse sur le boudin droit de Zozo, je me penche pour saisir mais quoi ? Sa peau huilée m’échappe, ses épaules, sa taille, tout glisse .Saloperies !
Un aileron, là bas se détache du lot, je hurle :
- Vite !
Enfin, elle s’aide mollement. Je peux la lâcher sans qu’elle ne réglisse aussitôt. Je croche dans son maillot, les cordelettes se tendent, marquent les chairs, craquent.
Merde ! Si seulement elle avait les cheveux longs ou les fesses molles et tombantes, mais tout est ferme et huilé. Des larmes de rage coulent dans ma barbe. Je ne vais quand même pas en voir la moitié se faire dévorer sous mes yeux.
Dernière extrémité, je me penche par-dessus son corps, passe ma main droite entre ses cuisses, remonte vers le nombril à la rencontre de mon bras gauche qui, en serrant son dos revient sur la hanche droite. Serrant mes mains jointes sur son ventre, je me jette en arrière souhaitant désespérément que mon poids puisse faire mieux que mes muscles.
Ca y est ! Telle un poulpe, Gaëlle a glissé au fond de Zozo, inerte.
Poignée des gaz à fond, Zozo s’élance. Grotesque est loin, stoppé à quatre ou cinq cents mètres hors de portée de ces malades. Regard circulaire et c’est le choc. La réplique lofe elle aussi, sa manœuvre démasquant deux autres navires similaires ! Incompréhension, puis cette pensée fulgurante, aussitôt refoulée : « Et si Blaise avait raison ».
Le galion continue de lofer, cherchant à se mettre entre nous et Grotesque. C’est Zozo la proie maintenant. Je me penche en avant au dessus de Gaëlle pour aider Zozo à déjauger.
Boum, Boum Boum ! Canonnade.
Trois impacts derrière nous, ils savent tirer les cons !
Je pense : « 15 secondes, juste 15 secondes et nous sommes hors de portée, je regrette presque d’être athé.14 secondes je n’ai personne à qui adresser des prières, 13 secondes juste 13…Une détonation sèche, puis une autre ; Claudie a ouvert l’armoire, son tir ne peut être efficace, elle est à trois cents mètres du galion qui s’intercale entre nous …
Dix secondes, nous fonçons toujours face au vent, seule direction qu’il ne pourra jamais prendre.
Encore une poignée, une toute petite poignée de secondes ; Boum, boum, boum, j’entends la chute des projectiles. De peur ou de rage, je me redresse malgré les crampes de la trouille qui nouent mon ventre et je hurle pour leur cracher à la gueule toute ma haine. Soulagé !? Je reprends confiance, le galion le plus proche est maintenant assez loin. Nous avons obtenu, de qui ? nos quinze secondes.
J’amorce une courbe pour rejoindre Grotesque.
Toujours le claquement sec, j’imagine Claudie couchée sur le pont comme au stand ; inspiration, visée, phalange sur la queue de détente, bossette, tir. Méthodiquement, sachant certainement l’inutilité de son geste, tous les 10 secondes, cette détonation accompagne notre retour.
" Seuls les paranoïaques survivent "