Juste un essai pour voir ce que cela donnerait à vous faire "subir"

09-11-2015 à 09:26:08
La petite historiette que nous avons écrite il y a ...11 ans , ..ben oui nous ne sommes plus des perdreaux de l'année
Bon il semble qu'avec l'aide de vos conseils et le lien sur Open Office maintenant je peux intervenir sur ce vieux texte et en faire un copier coller sans perdre la présentation... pour les fautes d'orthographe elles, elles restent. Donc si personne n'y voit d'inconvénients je vais vous en coller une tartine, tous les jours "brute de décoffrage" comme lorsque ma femme la transférée de mes brouillons écrits l'hiver 2004 au mouillage en Croatie, vers l'ordi de l'époque début 2006.
A moins que vous ne pensiez qu'il serait préférable de l'adjoindre à notre blog, ou de faire un nouveau blog ?
Ce qui aurait pour avantage de le rendre plus réaliste en y joignant des photos, bon je peux aussi le faire ici et les commentaires vous pouvez aussi les faires ici .
Par exemple, certaines "solutions" techniques ne seraient , dans la vraie vie pas réalisables, donc toutes critiques tendant à rendre la chose réaliste seront les biens venues .
Notez bien que cela a été écrit en 2004 ,comme une petite historiette "de gare" juste pour voir si j'arrivais à le faire et ce sans aucune prétention, c'était juste pour meubler les soirées d'hiver au mouillage .
Donc en fait je ne faisais que me raconter par écrit une histoire, que ma femme lisait le lendemain soir, un peu comme pour les veillées au coin du feu...
Vu la date d'écriture toute similitude avec des histoires, films, séries sortis depuis ou des solutions techniques en train de voir le jour ...ben je n'y suis pour rien pas de copie d'idées de ma part (et pourtant vous verrez au fil de la lecture, si vous arrivez à supporter ma prose !! , que des similitudes il y en a !).
Ceci dit, si cela vous tente je corrigerais les plus grosses fautes oubliées, rectifierais un peu la présentation car curieusement en basculant depuis un vieux Word vers Open Office cela me met pas mal de nouveaux espaces et zones grisées qu'il faut supprimer .C'est donc parti pour n essai :


" J’ai longtemps hésité à raconter notre histoire, qui retrouvera ce manuscrit, comment croire qu’une telle chose puisse réellement arriver ? Et Pourtant…
Lecteur improbable de mon futur et à la fois de mon présent, lecteur du 21e siècle, regarde autour de toi dans ton salon ou dans ta chambre. Regardes chaque objet familier qui t’entoure et penses à leur durée de vie, ces objets si simples que l’on en oublie leur utilité. Ils sont là et c’est si facile.
Si tout s’arrête à l’instant même où tu lis ces lignes, plus d’énergie, plus de chauffage, de micro ondes ; dans 15 jours, plus d’allumettes , 1 mois plus de sucre, 2 mois plus de gaz…
Le pôle d’attraction de ton salon, ton téléviseur n’est plus qu’un gros bocal vide où ne tourne même pas un poisson rouge ; plus de piles pour ton baladeur, même plus d’énergie, pour l’extension de ton corps qu’est devenue ta voiture.
Je vois que tu comprends le problème, dans deux ans plus de pneus sur ton vélo… Et bien pour nous, cela fut pire et pourtant, pourtant tout avait si bien commencé.


Tout avait si bien commencé. Après des années d’économie et de privation, notre dernier (forcément le plus beau) bateau était là au mouillage tirant mollement sur sa chaîne, prêt pour le grand saut ; nous ne savions à quel point !!!
Pour l’été 2000, un galop d’essai nous à emmené au Spitzberg, territoire désolé et fascinant (A BRODER) ; puis descente tranquille des côtes norvégiennes, l’automne nous a vus traverser la France du nord au sud par ses canaux. Certains ponts se souviennent de la rencontre avec notre timonerie… Ce fut juste, voire très juste. Mais Grotesque, car tel est son nom, est solide en aluminium prévu pour la glace et si Dieu l’avait voulu pour le passage du Nord West (L).
Grotesque : curieux nom pour un bateau. Cela nous avait opposés moi et Claudie, ma femme, et comme nous avions déjà eu 4 Oaristys, elle a finalement fini accepté Grotesque de :
« Grotesques, en effet, ils ont l’air sur le crépuscule d’un mauvais rêve que l’on fait… » (Verlaine – poèmes saturniens).
Grotesque est donc prêt à partir, chargé de tout le matériel nécessaire à la réalisation d’un tel projet. Malgré sa taille, 20.50 m, nous nous sommes demandés si tout cela rentrerait ; 30 mois de nourriture pour 3 personnes (certains passages du Nord West ont demandé 3 saisons) ; les récents, sans doute dû au réchauffement planétaire se sont fait en une) mais soyons prudents. Cela représente des dizaines et des dizaines de bidons étanches, plus de 2.5 T sans parler de la nourriture pour Léo.
Léo, c’est le chien du bord, 10 mois, une boule de poils, grosse la boule de poils car le croisement entre un Léonberg et une chienne Caucase, c’est gros et ça mange. D’ailleurs, depuis trois mois que nous sommes à Port Saint Louis du Rhône, Léo, toujours affamé, a bien sympathisé avec les pêcheurs et a tendance, entre deux toilettes, à sentir la marée.

Le chargement et le rangement de tout ce matériel nous a pris une semaine à 4, avec l’aide d’un couple d’amis, Blaise et Muriel, devant nous accompagner jusqu’en Nouvelle Écosse. Sept jours où l’on se dit que les équipets (L) sont trop petits, les coffres trop peu nombreux, les cales pas assez profondes… Mais finalement, quelquefois avec l’aide de jurons bien sentis, tout est rentré, saisi, bloqué. Les annexes, les combinaisons de plongée pour eau froide, les hélices de secours, les drisses et les écoutes de rechange, le pétrole pour les lampes et les trois cents kilos de croquettes pour le chien, enfin tout est rangé et surtout sur chaque rangement figure la liste de ce qu’il contient. La liste des rangements est reprise sur l’Ordi et dans un classeur, à ne pas perdre sinon vous risquez de chercher la réserve d’huile d’olive dans le poste (L) alors qu’elle se trouve sous la couchette de la cabine arrière. C’est très désagréable surtout si votre bateau est un peu rouleur. Bon, vous le comprenez, Grotesque est un rouleur ; sans doute son gréement de goélette ajouté à une carène de dériveur intégral n’est pas la meilleure association. Laissez-moi vous présenter Grotesque, celui qui sera la cause et la solution (en partie) de nos problèmes.
C’est un voilier mixte, plutôt atrophié côté voilier, gréement de goélette a mâts égaux avec deux génois sur enrouleur, petite grand-voile, trinquette et voile d’étai auto vireuses et, pour les jours où l’on veut se croire sur un voilier, une grande misaine et un asymétrique. Une goélette, le nom est joli, les performances c’est autre chose. Entre le bon plein et le grand largue, on avance honnêtement. Aux autres allures, et bien il y a les deux moteurs de 250 cv et les 12 m3 de carburant. Je le confirme  : plus je perds mes cheveux, plus j’aime les chevaux vapeur. Dériveur intégral, cela veut dire tirant d’eau d’ 1,25 m à 3,70 m, dérive basse, et un fond plat pour tenir debout tout seul. Le plan de pont est des plus simples, très typé : moteurs avec roof central à deux niveaux ; la partie la plus haute à l’avant abrite la timonerie, la plus basse lui faisant suite loge cuisine, salon/carré, poêle.
Les aménagements se répartissent de la manière suivante : en partant de l’avant, soute à voile, puits à chaîne, poste avant, toilettes et douches à bâbord et tribord, puis une cabine double de chaque bord, réservoirs gazole , compartiment moteur, cabine arrière, cockpit de pêche. Mais je vous ennuie sans doute avec la description de notre coquille. Tout était donc prêt pour cette expédition intéressante et qui s’avéra une aventure incroyable.


Chapitre 02
------------------

Le 03 janvier 2003.

Vent de nord Est, force 4. Hier après midi, nous avons relevé le mouillage pour venir à quai prendre livraison de 2000 litres de carburant, de quoi se rendre tranquillement à Gibraltar.
C’est le départ. Le givre rend le pont glissant. Engoncés que nous sommes tous les quatre dans nos vestes de quart, notre démarche est pataude. Seul Léo semble à l’aise, semble seulement car, de temps à autre, le bruit des ses griffes sur la peinture du pont nous rappelle que lui aussi peut glisser. D’ailleurs, la garcette tricotant entre pavois et filière nous a plusieurs fois valu la question :
- Vous avez des enfants à bord ?
- Non ! Juste un chiot.
Les amarres dédoublées, nous gardons juste un traversier à l’avant et à l’arrière et une garde montante en double.
- Prêts ?
L’équipage répond en chœur : « Prêts »
- Muriel, largue devant.
J’embraye doucement le moteur extérieur ; Blaise largue le traversier arrière. Doucement, Grotesque prend appui sur ses pare battages en tirant sur sa garde. Lentement, l’étrave s’écarte malgré le vent de travers. Maintenant, bien écartée, l’étrave nous montre l’axe du canal.
- Claudie, largue.
Les deux moteurs, légèrement embrayés, ça y est nous sommes partis.
" Seuls les paranoïaques survivent "
  • Liens sponsorisés



09-11-2015 à 09:52:13
Oups !

(édit) = Pour ma part , ça me va , vu que ton histoire est un vrai "livre" va-y gayement
Et moi j'ai plein de question à poser Hi
Jdp

" Seuls les paranoïaques survivent "
09-11-2015 à 12:02:51
la suite! la suite!

horatio hornblower ?
09-11-2015 à 13:44:59
Deux mois pour arriver aux Canaries, nous pouvons dire que nous avons pris tout notre temps. Les Baléares étaient tentantes. Nous nous sommes attardés à Fornells et Espalmador, suivi d’un arrêt technique à Gibraltar. Enfin, lorsque j’écris ‘technique’, c’est économique qu’il faut lire, avec un gazole à 70 % moins cher qu’en France, nous pouvons enfin remplir nos réservoirs à craquer ; 12 m 3, de quoi faire un aller/retour aux Antilles à 10 nds.

Depuis une semaine, nous sommes sept à bord, un couple de bateau stoppeur ayant pris leur quartier dans le poste. Seul, Léo boude : c’est sa partie Caucase qui parle. Il n’aime pas les nouvelles têtes, pourtant Armel et Gaëlle sont sympas et discrets.
Après leur diplôme d’infirmier, ils ont décidé de s’accorder une année sabbatique.

03 Mars 2003.
Depuis 3 heures, nous avons quitté Puerto La Cruz. Après avoir vu défiler Grand Canaria sur tribord, nous la voyons doucement s’éloigner dans le sillage.
Chacun prend ses marques. Mon estomac, lui a du mal à prendre les siennes mais il semble ne pas être le seul.
Gaëlle, passionnée de pêche, s’est empressée de gréer plusieurs lignes de traîne et du coup sa cote de popularité auprès de Léo semble remonter en flèche.
Blaise et moi profitons de l’ombre de la batterie de panneaux solaires et regardons la Belle et la Bête, enfin plutôt la Belle.
- Bon les gars, c’est devant que ça se passe.
Claudie et Muriel nous rappellent en chœur à l'ordre au travers des hublots de la cuisine.
- J’en fume encore une, répond Blaise.
Blaise est petit, mince, grisonnant et fumeur. N’ayant pas cette excuse, je me replie prudemment vers la timonerie. (Tous les hommes mariés me comprendront).
- Allez Léo, viens à l’ombre.
Il faut bien une excuse pour battre en retraite.
Au GPS, nous filons à 9 nœuds, un moteur à 1600 tours et les génois déroulés. Maintenant dégagés des îles, le vent est plus stable. Dans deux heures, nous arrêterons le fauve pour la nuit.
- Blaise et Muriel, comme convenu : 4 h/8 h ?
- OK.
J’en obtiendrai pas plus de Blaise, ce n’est pas un prolixe ; sans doute le résultat des longues heures solitaires passées devant son clavier. Sauf si vous lui parlez Informatique ou Électronique, alors là il est lancé. Mais pour moi, l’informatique reste une boîte mystérieuse qui me joue des tours pendables.
Du côté du poste, la voix d’Armel me confirme :
- Nous de 0 à 4.
Il nous reste à Claudie et moi-même de 20 h à minuit, le meilleur, mais c’est le privilège des vieux.
Les trois quarts (qui font un tout) étant assurés à deux la nuit, cela va être une traversée reposante, pensai-je.
J’avais raison jusqu’au 13 Mars.

_____________________
La journée a commencé comme les autres. Aux aurores, Léo s’est levé pour aller faire son tour dans le cockpit de pêche et surtout une inspection méticuleuse du pont, truffe dilatée dans l’angle du pavois, autour du guindeau, le long du tangon à la recherche d’un poisson volant égaré. Je n’avais jamais vu cela auparavant sauf Léna, une terre neuve qui aimait les sardines grillées, et bien sûr les chiens jaunes faméliques de Cumana. Mais eux mangeaient n’importe quoi.
A la relève de 8 heures, Blaise fait remarquer :
- Claudie, il faudrait que ton chien nous laisse quand même un poisson de temps à autre.
- C’est vrai que les seuls poissons que nous ayons mangés, nageaient dans l’huile ou le vin blanc, renchérit Muriel.
Heureusement que Gaëlle dormait sinon elle aurait pu prendre la mouche de voir ses talents de pêcheuse remis en question. Personne ne mettrait ses talents de pécheresse en doute, surtout pas Muriel et Claudie qui la surveillent de près. Allez savoir pourquoi comme dirait Blaise.
Léo, sans doute vexé, part dans son coin en grognant.
A midi, nous avons effectué 1800 milles depuis Gran Canaria et ce n’est pas aujourd’hui que nous allons faire des étincelles.
Au déjeuner, fait rarissime, Léo n’est pas sous la table 15 minutes avant l’heure, mais reste couché dans la cabine arrière, les yeux noirs en grognant sourdement.
- Léo, viens ! Appelle Claudie, s’accompagnant d’un bruit de gamelle qui, normalement fait surgir comme par enchantement, une truffe humide sur le plan de travail dans la seconde.

" Seuls les paranoïaques survivent "
09-11-2015 à 18:16:59
sympa vas y, envoie le reste !!!

le présent est a eux, mais le futur sera a moi. ..............
09-11-2015 à 18:27:53
- Promis Léo, je ne parlerai plus de gros gourmand, ajoute Blaise.
- Avez-vous entendu parler de ces mouettes devenues folles après avoir mangé des anchois qui s’étaient nourris d’algues contenant des neurotoxiques ? Interroge Armel qui vient de se lever.
Il n’en dira pas plus, Gaëlle lui ayant enfoncé le coude dans les côtes.
- Si tu veux nous affoler, c’est gagné, le tance Claudie.
- Bon, c’est vous les infirmiers. Il y a des signes, Non ? Demandai je inquiet pour mon chien et pour nous.
Une mouette folle, cela fait sourire, un chien de 14 mois pas tout à fait adulte pesant déjà 70 à 75 kilos, c’est déjà moins drôle.
- Votre chien est juste nerveux, nous rassure Armel, après avoir examiné Léo.
Quelle promotion ! D’infirmier, le voilà promu vétérinaire.
Ce midi, nous fêtons les 1800 milles depuis Gran Canaria malgré les quatre heures de moteur journalières ; c’est très très tranquille.
- Ça ne va être une journée record, dit Armel.
- A cette vitesse, les poissons ne risquent pas d’être intéressés par les leurres, ajoute sa compagne.
- Rhum pour l’équipage quand même, décrète Blaise.
Piqué au vif malgré tout, je remarque :
- A chaque programme son bateau, un fifty, ça n’a jamais fait des étincelles !

Des étincelles, nous en avons fait pourtant, moins d’une heure plus tard.
Nous finissons de déjeuner, lorsque Léo, non content de grogner, se met à aboyer.
De surprise, Blaise, ô sacrilège, manque laisser échapper la bouteille de cognac. Oui ! À bord, « le rhum à l’équipage », c’est du cognac, histoire de goût. Autour de la table, personne n’y trouve à redire.
Vous me demandez : « mais qui veille ? » Personne et tout le monde. Le carré faisant suite à la timonerie, assis autour de la table, nous avons vue sur l’avant et de chaque bord jusqu’à trois quart sur l’arrière du travers.
- Bon Dieu Léo, tais toi, lance Armel.
- Qu’est ce que tu as mon pépère, demande Claudie en se levant.
Mais lorsqu’elle pivote pour descendre rejoindre Léo dans la cabine arrière, son mouvement est stoppé net et elle laisse juste échapper :
- La Vache !
Inquiet, je me lève et :
« Merde » !!!
Roulant vers nous, une barre nuageuse noirâtre masque tout l’horizon sur l’arrière. Ici, le vent est à peine plus fort qu’un pet de none et là bas, il souffle, c’est sur, à décorner les bœufs, voire les cocus. La dernière fois que nous avons subi ce genre de nuages, j’ai vu voler à l’horizontale un canot pneumatique et son moteur de 20 CV seulement retenu par son amarre.
Là, il faut se bouger les fesses.
- Armel, Gaëlle, vous roulez les voiles ; Muriel, Claudie on débarrasse et Blaise démarre les moteurs.
Tout le monde bondit et s’active, déjà une voile s’enroule. Pour ma part, je m’occupe de la grand-voile, balancine reprise laissant filer la drisse. Grâce au faible vent et surtout à ces chariots, elle accepte de descendre rapidement dans les lazy-jacks (L) où je la rabante (L) serrée serrée.
Blaise, à la barre, a pu compenser le déséquilibre de cet affalage à la hussarde. De l’arrière, je lui crie :
- Blaise, remets le pilote et viens.
Trois secondes plus tard, il me rejoint en profitant pour allumer un chicot.
- On met les éoliennes en drapeau et on les amarre.
Ces petites choses n’aiment pas passer de trois à quatre vingt nœuds, ça je le sais depuis le jour où les annexes ont volé. Mes éoliennes d’alors ont agonisé dans un dernier cri strident en crachant la graisse de leurs roulements dits « étanches » et l'isolant fondu du bobinage...
- Gaëlle, ton matériel de pêche, conseille Armel.
- Le taud de soleil ? Nous interroge Claudie de la cuisine.
Je lui réponds par une interrogation :
- Tous les capots et hublots sont souqués ?
Après un coup d’œil vers les nuées menaçantes, je décide que nous avons le temps de dégréer le taud.
- Ouf ! Juste à temps, souffle Gaëlle en rentrant sa précieuse et infructueuse panoplie de pêche.
En effet, moins d’un demi mile nous sépare de ces volutes inquiétantes qui roulent, s’affaissent puis rebondissent semblant se nourrir d’elles mêmes comme poussées en avant par quelques horribles monstres cracheurs de ténèbres.
Léo, gémissant, la queue entre les pattes, nous rejoint enfin dans la timonerie où tous les six nous regardons, vaguement inquiets, l’approche de la menace.
- Qu’est ce que l’on va prendre, remarque Muriel avec un rire nerveux.
- Imagine ce que devrait ressentir un Cro-Magnon devant un tel phénomène.
- Moi, Armel, j’imagine très bien, répliquai je, le vernis de la civilisation ne recouvre nos peurs ataviques que d’une fine couche,
Et Muriel d’ajouter :
- Tellement fine qu’elle se craquelle. J’ai les genoux qui tremblent.
Ne sachant ce qui me met le plus mal à l’aise, les nuages, les gémissements de Léo ou l’inquiétude dans les yeux de certains de mes équipiers, j’essaie de les rassurer :
- Nous sommes à sec de toile, le bateau est solide, étanche. Dans quelques minutes, nous allons avoir de fortes rafales, des éclairs, des trombes d’eau, peut-être de la grêle et dans une demi heure tout sera rentré dans l’ordre, ce n’est qu’un grain.
Comme j’avais tort. Deux minutes plus tard, nous sommes absorbés par cette obscurité malsaine, rampant au ras de l’eau, collée, soudée à la surface de la mer qu’elle écrase de toute sa noirceur ; la nuit nous engloutit mais...pas un souffle!
- Dis donc, il fait plus noir que dans le trou du cul d’un aigle, tente d’ironiser Blaise.
Mais sa tentative tombe vraiment à plat.
- Allume plutôt les feux de route au lieu de déconner, le rabroue sa femme.
Dans la lueur rouge et verte, notre horizon semble encore se rétrécir, même les feux blancs de hune et de poupe n’arrivent pas à éveiller d’échos de vie dans toute cette noirceur. Pas un bruit hormis le ronronnement rassurant des moteurs et les gémissements de Léo.
- Jamais vu ça, confessai-je en diminuant les gaz. A quoi bon naviguer dans le sens du déplacement du phénomène, autant selaisser dépasser.
Ma remarque ne soulève aucun écho auprès de mes camarades, tous cherchant à percer du regard le néant qui nous entoure. Nous sommes comme au milieu d’un gros paquet de coton noir ; même pas le clapotis de l’étrave à faible vitesse, même plus de reflets dans les vagues d’étrave, absentes, écrasées par le poids de …de ce rien.
- Manquait plus que ça, le pilote perd la boule, remarquai-je en basculant en « stand by ».
- Peut-être une perturbation due au grain, avance Gaëlle regardant les chiffres défilés d’une manière aberrante.
- Qui s’amuse avec un aimant à coté du fluxgate ? Interroge Blaise.
Comme il est la seule personne que j’aurais pu soupçonner d’une telle blague à ce moment pareil, je confirme :
- Gaëlle a sans doute raison,
et je coupe complètement le pilote.
- Lui aussi est perturbé, ajoute Blaise après avoir relevé la protection du compas de route.
Comme je ne sais pas où nous diriger, je coupe les moteurs et nous attendons l’éclaircie.
Nous sursautons tous, un bruit sec sur le roof. Dans ce silence, je suis sur que six cœurs viennent de manquer un battement. Puis deuxième, troisième, puis bientôt centaines, milliers, millions de crépitements continus que nous reconnaissons avec soulagement comme celui de la grêle, soulagement même lorsque la taille des grêlons aidant, ce bruit devient martèlement. La détente est palpable, nous retenons nos souffles, inquiets. A voir rebondir cette glace, six apnéistes ont refait surface et repris confiance. D’ailleurs, sur l’arrière, par moment des flashs arrivent à percer les ténèbres.
Devant la taille des grêlons, certains atteignent la taille d’un gros orteil  ; Armel refroidit le moral des troupes :
- J’ai lu que des grêlons avaient tué les chevaux de l’armée anglaise pendant la guerre de 100 ans.
Ça, ce n’est pas la chose à dire quand Muriel est dans les parages.
- Patrick, ça va casser les vitres ?
Je peux être enfin catégorique sur quelque chose :
- Impossible. Toutes les parties vitrées sont en verre feuilleté comme celui qui te sépare de ton très cher banquier, en moins épais.
- Pourquoi en verre ? Interroge Gaëlle
- Et les capots ?
Ne pourraient-ils pas poser leur question à un autre moment. Enfin, cela prouve que l’atmosphère se détend.
- Le verre ne se raye pas facilement, ne déforme ni les couleurs, ni les images. Les plexis des capots ont été remplacés par du bien plus solide qui résiste mieux au grand froid.
Ouf ! Tout ça en forçant la voix pour couvrir le martèlement qui redouble. Espérons qu’un grêlon gros comme ça ne va pas me donner tort. Mais non, j’ai emmené deux échantillons au club de tir où nous les avons copieusement canardés sans jamais passer au travers. D’ailleurs, la plaque en verre s’y trouve encadrée avec les différents impacts référencés :
« 9 mm blindé, 45 ACP (arme de poing), 7.64 (carabine) »
Donc, pas de crainte de ce côté-là mais plutôt du côté des lueurs de plus en plus fulgurantes qui nous rattrapent, fulgurances blanches et bleutées, muettes pour le moment.
- Pas de vent et maintenant pas de tonnerre, fait remarquer Armel.
- Sans doute encore loin et la grêle couvre le bruit, émet Claudie.
- Où les Dieux n’ont plus les moyens, blasphémai-je.
Parlons en de la grêle. Bloquée par le pavois, elle s’accumule sur le pont en un tapis glacé de plus en plus épais. Sur le roof et la timonerie où rien ne la retient, elle ricoche, rebondit…Les grêlons les plus suicidaires plongent dans l’eau tropicale à plus de 25°, les plus prudents sur le pont.
- Faudrait pas que cela dure car à hauteur du pavois ça représente au moins quatre tonnes.
En voyant le regard de Muriel, je me dis que j’ai perdu une occasion de me taire.
- T’en fais pas, la destinée de la glace c’est de fondre.
- N’empêche, on se les gèle ! Conclut Blaise.
La fin de sa phrase nous semble hurlée car brusquement la grêle a cédé devant l’assaut des éclairs qui déchirent le ciel.
Instinctivement, chaque illumination nous fait rentre la tête dans les épaules dans l’attente du tonnerre…en vain.
Léo n’est plus qu’une pauvre fourrure gémissante échouée au pied du fauteuil de barre. Si c’était un chihuahua, mais voir cette grosse bête terrassée par quelques nuages et une poignée d’éclairs, cela a quelque chose de pathétique.
- Maintenant, je t’appellerai « gros trouillard », lui assène Blaise.
- Ne critique pas mon chien, j’en connais d’autres qui serraient les fesses, lui fait remarquer Claudie.
- Et qui les serre toujours, confirment en chœur Muriel et Gaëlle.
- Le bateau est une cage de Faraday ; il n’y a aucun risque pour nous et profitons plutôt du spectacle.
En effet, les flashs redoublent d’intensité, gagnant sur nous. Leur fréquence est telle que nous pouvons à nouveau voir la mer. Le cocon noirâtre qui nous enserrait, nous étouffait jusque là semble repoussé par ces décharges lumineuses aux dimensions d’une coupole et, cette coupole s’embrase.
Imaginez  ! Vous êtes au milieu d’un planétarium, des éclairs donnent vie à des boules de feu sur la voûte.

" Seuls les paranoïaques survivent "
09-11-2015 à 18:29:13
En passant , je pense que vous avez tous vu ces jours ci le front de nuage roulant sur Sydney...et bien visualisez la même chose au ras de l'eau ....


" Seuls les paranoïaques survivent "
09-11-2015 à 20:51:02
c'est tout, ou il faut qu'on vienne aborder ton bateau avec des grappins lol.
la suiteeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeee ou je coule le bateau lol

le présent est a eux, mais le futur sera a moi. ..............
10-11-2015 à 08:58:46
" Léo n’est plus qu’une pauvre fourrure gémissante échouée au pied du fauteuil de barre " Super récit

Suis "Fan" de ton livre on fait une "précommande"




MDR !
Moi l'avantage c'est que cela fait bien longtemps qu'il est écrit ...et que c'est gratos pour vous !

" Seuls les paranoïaques survivent "
10-11-2015 à 09:01:04
perso, ca se lit super bien, c'est bien ecrit! merci du partage!
10-11-2015 à 09:03:28
L’intérieur de la coupole est maintenant éclairé mieux qu’en plein jour. Aucun de nous ne peut garder les yeux ouverts. Nous les protégeons de nos mains, voulant voir. Et pourtant, quand une douzaine de sphères se détache de la voûte pour se diriger vers nous, un peu comme des méduses se laissant dériver dans un courant, à ce moment là il n’y a pas que Léo qui gémit.
- Les lunettes, m’interpelle Claudie.
C’est vrai, nous avons toujours deux paires de lunettes dans la timonerie. Je lui envoie une paire et chausse l’autre. Malgré les verres filtrants qui, d’habitude donnent une couleur jaune, les visages des mes co-équipiers m’apparaissent blafards, lugubres miroir de mon angoisse.
Tout à coup, quatre sphères accélèrent et se précipitent vers Grotesque ; quelques secondes avant qu’elles ne nous percutent, je sens mon estomac se nouer, les crampes de la trouille ; deux secondes avant le choc, parmi le concert de cris et de gémissements, je crois que c’est le mien qui est le plus fort. On serre les dents, on serre les fesses. Ça y est c’est le choc.
Il n’y a pas eu de choc. Les sphères nous ont enveloppés un peu comme une bulle de bubble-gum qui éclate et vous moule le visage.
Grotesque est ce visage, moulé par ces quatre sphères. Grotesque est une lumière, il est Lumière.
A l’intérieur, nous irradions tous les sept, stupéfaits ! Cheveux et poils dressés par ce phénomène ou par la peur. Ça ne devrait pas avoir d’effet sur nous, putain de cage de Faraday. Tout irradie : le bateau, nos corps, les instruments. Oubliant un bref instant ma trouille, je pense (bêtement) :
« Oh merde ! L’électronique ».
Les éclairs cessent de zébrer la coupole qui semble se lézarder comme si la trame des arcs lumineux avait servi à maintenir le manteau des ténèbres. Les huit sphères s’élèvent doucement puis de plus en plus rapidement comme
ces ballons qu’une main maladroite d’enfant a laissé s’échapper.
Le bruit cesse ; paradoxe son arrêt nous fait remarquer qu’il était présent depuis le « choc », un bruit sourd, de tension, d’électricité comme, comme … les tubes néons colorés servant de sabre dans Star war. C’est idiot mais c’est exactement ce son : Woumm, woummm.
Ne subsiste plus qu’un crépitement électrique continu. Nous nous observons mutuellement. Armel, Muriel et Gaëlle, restés assis côte à côte sur la banquette de la timonerie sont comme nimbés dans la même auréole.
Gaëlle semble s’être coiffée avec un pétard. Pour Armel, coiffé en brosse, cela ne change pas grand-chose. Il se passe la main sur les cheveux et des petites gouttes de lumière en jaillissent, comme si l’on passait la main sur un gazon ras couvert de rosée.
A bâbord, la longue chevelure de Claudie déployée en éventail semble rigide. A mes pieds, Léo a doublé de volume, plus près du hérisson luisant que du gros nounours que nous connaissons. Enfin il ne gémit plus, ne bouge plus… Serait-il ? Non !
- Léo !
Mon appel a fait sursauter tout le monde, sauf Léo qui, en chien très économe des ses mouvements, se contente de hausser ses sourcils en accent circonflexe et de lever vers moi deux yeux interrogateurs.
Je passe la main sur sa fourrure hérissée et ce geste grésillant arrache des copeaux de lumière.
- Superbe, résume Muriel.
Debout, je regarde mes deux mains en les approchant l’une de l’autre, leur contour semble se fondre l’un dans l’autre. Brrr !
Je suis le plus habillé mais je frissonne. La peur, l’électricité, le froid ? Juste le froid. Cette averse de grêle a vraiment fait chuter la température. D’ailleurs, si j’en juge par la forme des trois paires de seins qui pointent sous les tee shirts ou les maillots de bain, il fait même très froid.
- Tu avais raison Blaise, on se les gèle ! Commente Armel.
Qui a suivi mon raisonnement ou plus probablement mon regard.
- Et en même temps, je n’ai plus un poil de sec ! Je sais maintenant ce que veut dire sueurs froides, dit Gaëlle en frissonnant.
Pendant que je m’intéressais aux témoins de la température ambiante, les huit sphères ont atteint le sommet de la coupole, de moins en moins opaques comme si une main, quelque part, tournait un rhéostat pour en faire varier la densité. D’ailleurs, les rayons du soleil commencent à diffuser à travers cette masse en renforçant les contours. Cela ne fait pas plus de 300 mètres de diamètre et…
- Tu as vu ? M’interroge Blaise
- Oui !
Les rais de lumière de notre bon vieil astre, éclairant la mer par transparence, nous révèlent que la coupole se prolonge sous l’eau. Nous sommes en fait dans une bulle ! Faute d’avoir quelque chose de plus à hérisser, j’ai bien cru que c’était la peau de mon crâne qui allait se décoller devant une telle révélation.
- Qui y a t-il ? S’inquiète Muriel
- Rien, juste le soleil qui se présente, répond son mari.
- Alors mes plaids ne serviront pas, constate Claudie les bras chargés
La situation pourrait être cocasse : barricadés dans la timonerie, une couverture ou un blouson sur les épaules, six gus se regardent en frissonnant par 15° Nord !
Régulièrement, inexorablement, la bulle s’estompe. Malgré cela, nous ne perdons pas de vue les huit petits diamants blancs/bleus cloués sur l’azur, là haut, très haut.
La coupole, notre horizon depuis, depuis combien au fait ? Je jette un œil à la montre d’habitacle et laisse échapper :
- 3 heures !?
Claudie et Armel, les seuls à porter une montre me confirment avec un bel ensemble :
- 3 heures dans cette purée de pois.
Qui d’ailleurs n’en n’est plus une. Il n’y a pas eu de déchirures, de volutes ; non, doucement, simplement comme une aurore par temps clair, la lumière extérieure a dissout les parois de notre cocon. Au moment où, à notre zénith, les diamants disparaissent Blaise constate avec humour :
- Ben, on nous éteint, pas dû payer la facture ; nous n’irradions plus.
- Enfin dehors, laisse échapper Muriel.
- Mais nous l’avons toujours été, remarque logiquement Claudie.
Blaise et moi échangeons un regard, pas plus.
Effectivement, Grotesque se retrouve immobile au milieu du grand cercle de l’horizon mais aussi au milieu d’un plus petit de 300 mètres, totalement lisse que le vent léger n’a pas encore fait friser.
Ça, tout le monde l’a remarqué.
Cinq minutes plus tard, le vent ayant fini de grignoter notre cercle, le malaise est oublié.
Ne reste de cet épisode que des fourmillements dans les mains et les jambes pour tout le monde et quelques centaines de kilos de grêlons agonisants sous le soleil tropical.
- Vite, une photo, crie Gaëlle, sinon personne ne nous croira.
Six sourires niais derrière un tas de grêlons font face à l’objectif ; sourire crispé, Blaise ronchonne entre ses dents :
- Bon, il se décide ton… (Flash) appareil.
C’est dans la boîte, même Léo qui revit, donnant de grands coups de gueule dans le tas de glace, s’appliquant méthodiquement, pattes arquées, queue en panache à la destruction de ce pseudo bonhomme de glace.
Maintenant, voyons s’il y a des dégâts.
Dans ce vent léger, Grotesque roule à peine travers au vent, toujours à sec de toile.
- Claudie, prends la barre, on va envoyer de la toile, demandai-je.
Après une rapide inspection, nous déroulons les génois, le pilote remis sous tension fait son auto test et finalement « stand by » s’affiche. Claudie appuie sur Auto… Bonne nouvelle, ça marche !
Parmi les moins bonnes, le feu de mouillage en tête de mât de misaine n’a pas digéré un grêlon trop gros pour lui, le petit panneau solaire 12 v 50 w, (qui sert pour la batterie et appareils de navigation) non plus.

" Seuls les paranoïaques survivent "
10-11-2015 à 18:53:06

le présent est a eux, mais le futur sera a moi. ..............
10-11-2015 à 19:05:53
Bon j'espère que vous avez été sage ...je vous en mets une "tartine":

", (qui sert pour la batterie et appareils de navigation) non plus. Il est tout étoilé, foutu. Les gros panneaux 24 volts basculés en position verticale ont juste la marque de quelques impacts sur le cadre en alu. Rien de grave, ils sont remis à l’horizontale.
- On s’en sort bien, constate Armel en poussant les grêlons à travers les dalots à l’aide d’un balai délaissé par Gaëlle, qui déjà a ressorti cannes, lignes de traîne, rapalous, pieuvres et s’active dans le cockpit.
Après notre passage dans l’obscurité, le bleu de la mer et du ciel nous semble nettement plus profond, plus vif, plus vivant.
De l’inspection dans la timonerie, il ressort que le GPS ne sait plus que nous donner …des trais, mais plus de position ; poussé dans ses retranchements, il consent à avouer : « pas de satellites ».
- Antenne ou connexion d’antenne, conclut Blaise.
- Sans doute pareil pour le récepteur BLU, plus de Voices of America, de BBC, de RFI ; dans les bandes radio amateurs, plus rien non plus, même le top horaire continu WWVH est muet.

- De toute façon, il n’y a pas urgence, concluais-je.
- Un poisson ! Un poisson, j’ai un poisson, s’étrangle Gaëlle.
Il y a de quoi, c’est le premier en 12 jours. Nous nous précipitons tous, Léo nous coiffe tous au poteau.
J’explique :
- Poisson est un mot magique pour lui comme potion pour Obélix.
- Arrête de dire que mon chien est gros. Il est …il est, hésite Claudie, il est musclé.
Blaise, qui est venu avec un décimètre pour la mise en boîte demande :
- Elle est où ta sardine ?
Mais là pas de réponse, pas de sourire, la pêche pour une bretonne pur beurre c’est sérieux ; tendue dans un seul but, ramener sa prise à bord, Gaëlle sue et Léo bave…
Ça y est presque, une daurade coryphène est là juste dans le sillage se battant pour sa survie. Je songe : « si ça casse maintenant, Gaëlle nous fait une crise, si ça ne casse pas, il faudra tuer cette splendeur et la manger… »
Je vais chercher la bouteille de cognac, pas pour noyer mon chagrin, mais une rasade versée dans les ouïes, en général tue net le plus beau des poissons.
Dans un mouvement ample, la daurade atterrit dans le cockpit de pêche (enfin bien nommé). Il va falloir que je la tue.
Pas eu le temps ! Gaëlle a bloqué le poisson d’un genou et crack, d’un seul coup de couteau l’a proprement occis.
- Alors, demande t-elle fièrement à la ronde.
Il me reste plus qu’à boire le cognac.
- Je n’aimerai pas être un poisson sous ses genoux, me glisse Blaise en repartant piteux avec son décimètre.
Claudie qui rejoint Gaëlle et Léo pour réduire en filet ce superbe carnassier, me lance :
- Tu as vu la bête ?
Je ne préfère pas approfondir, savoir si un soupçon de jalousie lui fait donner ce nom à Gaëlle ou au poisson.
Je me réfugie dans la timonerie où Blaise jure entre ses dents en testant la BLU.
- Laisse tomber, on verra bien, demandai-je.
Le dernier point resté en mémoire sur l’Ordi portable qui sert à la navigation sous place par 16° 07’N et 43°46’W. Je sors un routier de l’Atlantique et reporte cette position  ; plus trois heures immobiles dans le courant, plus la dernière heure à 4,5 nœuds dans le…
- C’était quoi ? M’interroge Blaise à mi voix.
- Un orage sec
- Arrête, tu as vu comme moi que nous étions dans une bulle !
- J’en sais rien, peut-être une illusion d’optique, une hallucination due au stress, à l’électricité ; enfin on s’en moque, plus que 1000 milles et on mouille à Fort de France, conclue-je en reposant le compas à pointe sèche.
Dans l’heure qui suit, les trois « grâces » d’après Armel, le trio infernal pour Blaise nous concocte un repas qui nous fera oublier celui écourté de midi, promettent-elles.
- Claudie, arrête de donner à manger en douce à Léo, il fait déjà presque 75 kilos à 14 mois, c’est…
- Mais il a de gros os et un Léo, cela peut faire 80 kilos ou plus, réplique ma femme.
- Adulte, adulte, tentai-je de répliquer.
- Oui, mais il aime ça, ajoute Gaëlle.
Bon, une bretonne contre moi, c’est la retraite, deux c’est la fuite, avant que la normande ne s’en mêle auquel cas c’est la rédition si l’on veut sauver sa peau.
Après avoir lancé un moteur et réglé le pilote, je rejoins Blaise qui en grille une devant la timonerie en compagnie d’Armel.
Nous restons assis, tranquilles à l’ombre du génois (au vent de Blaise et de son chicot) à regarder les cumulus bien blancs. Je vous le conseille : asseyez vous et regardez bêtement un nuage, ça calme…
- La VHF, on n’a pas essayé la VHF !
Boum ! Blaise m’a ramené sur terre, enfin sur mer.
- Blaise, on est au milieu de l’Atlantique, hors des routes de cargos, tentai-je timidement.
Mais je connais Blaise ; sans informatique ou sans électronique il est perdu.
- Mais il y a peut-être un voilier, avance Armel.
- Tu sais, la transhumance se fait plutôt en saison mais vas-y Blaise essaie, abdiquai-je.
L’antenne VHF en tête de grand mât ne semble pas avoir souffert du bombardement mais il est peu probable que quelqu’un nous réponde.
Dix minutes que Blaise essaie tous les canaux, en vain. Je l’entends grommeler à mon adresse :
- Pourtant elle marche ! Tu es sur qu’elle marche ?
Cinq minutes plus tard se joue la scène ridicule suivante :
Moi à l’arrière du bateau avec une des deux VHF portables et Blaise à l’intérieur sur la VHF en puissance réduite, et c’est parti :
Blaise : « Tu m’entends Patrick ? »
Moi : « Bien sur je t’entends ! »
Moi : « Et toi, tu m’entends ? »
Blaise : « Ben oui : »
Tout ça en stéréo, dans une oreille via la VHF, dans l’autre en prise directe. Ridicule.
Par les hublots arrière de la cuisine, j’interroge :
- Gaëlle, as-tu remonté toutes les lignes ?
- Oui chef.
Plus de respect les jeunes. A nouveau assis, je questionne Blaise :
-Alors satisfait ?
-Ben non, je ne comprends pas et…
-Regardez les gars ! L’interrompt Armel en désignant la mer à tribord.
Un énorme banc (ou vol) de poissons volants jaillit, ricoche, plonge ; ils sont des centaines à fuir quelques prédateurs invisibles ; peut-être les sœurs de celle qui est en train de cuire dans la cuisine en dégageant un fumet appétissant ?
- A table ! Appelle Muriel.
Nous dînons toujours tôt afin que le quart « minuit/4 heure » puisse faire un somme avant.
Je coupe le moteur. Exceptionnellement, ce soir nous dînons un peu serrés à la table de la timonerie. Cela nous permet de jouir du spectacle du soleil couchant et de nous sentir plus proches les uns des autres face au crépuscule qui s’annonce dans l’Est.
Personne n’a parlé des événements de l’après midi mais face à la nuit qui s’avance tout le monde y songe.
- Le poisson, réclame Blaise.
Devant la tête poilue qui vient de se poser sur la table, je conseille :
- Change de mot Blaise, sinon tu n’en verras pas la couleur ; allez Léo couche-toi.
Léo obtempère, mais le soupir qu’il laisse échapper vaut tous les commentaires.
- Jamais rassasié ton chien, enchaîne Armel.
- Occupe toi de ton assiette, lui conseille Gaëlle qui connaît les réactions de Claudie quand il s’agit de son cher toutou.
- Voilà la pèche de Gaëlle, annonce pompeusement Muriel.
Ça a été vite expédié. Vingt minutes plus tard, de ce chasseur encore redouté des poissons volants ce matin, il ne reste …que des bruits d’estomacs repus.
Et Blaise d’attaquer :
- Pas mal Gaëlle mais il en faudrait deux et un peu plus petits.
Il s’en suit un échange amical mais musclé entre les duettistes, chacun essayant de trouver le nom d’oiseau le plus imagé possible.
Devant l’approche de la nuit, il faut choisir : voir ce qui peut arriver dehors ou ce qui se passe dans nos assiettes.
Ce soir, l’arrivée de la nuit nous oppressant, j’allume le radar, définis une zone de garde et « plein feu » dans la timonerie. Tout le monde semble soulagé de ce choix.
- Il fait plus frais ce soir ? Questionne Muriel.
Je confirme : l’eau de mer fait 2° de moins qu’hier (l’écran radar par l’intermédiaire d’un bus affiche les données des sondes dont la température).
- Curieux, laisse échapper Blaise.
Repas sympa qui se prolonge, même les jeunes, d’habitude pressés d’aller se 'reposer’ (« ils appellent ça comme ça ?», avait demandé Muriel,, faussement, ingénue dès le deuxième soir)




-----------------------------




.

Chapitre 03
-----------------
« Le jour d’après »

4 Mars 2003.

Je suis prisonnier d’une bulle qui rétrécit, la paroi humide s’appuyant sur ma bouche m’étouffe. Une odeur de poisson envahit mes narines…De poisson ? Je m’éveille d’un bond, Léo pèse sur moi et entreprend de me débarbouiller.
- Léo, tu pues !
- Ça tu peux le dire, confirme Muriel de la cuisine, ce matin il y avait des dizaines de poissons sur le pont, tu t’imagines l’état de Léo.
- Aujourd’hui, pas besoin d’une bête, commente Claudie.
Je rejoins Blaise à la timonerie et m’informe en raison de sa nuit écourtée.
- Pas trop dur ?
- Tu parles, à deux, chacun fait un somme.
- Le vent a molli. On pourrait envoyer l’asymétrique et la grande misaine.
Pas de réponse, je continue donc :
- Ou mettre les moteurs.
- Épargne ton gazole, me répond énigmatique Blaise, en continuant de s’activer sur le clavier du portable.
- Que fais-tu ?
- Oh rien, une idée, une extension pour ton programme de navigation, élude t-il.
Devant notre faible vitesse et le beau temps, je vais peut-être prendre des photos de Grotesque de l’extérieur.
Je me penche pour donner le classique petit tapotement sur la boîte du barographe. Depuis 20 ans qu’il nous suit, il doit en avoir sa claque des tapes : stationnaire, plat 1035 m/b. Des yeux je suis la courbe, je reste coi ; hier vers13 heure, le stylet a marqué un aller retour de dix millibars en une heure sans un souffle d’air ! Sous un grain, un orage, une variation, c’est normale mais pas d’une telle amplitude.
Blaise, par-dessus son clavier et ses lunettes commente :
- Bizarre Non !
Je confirme d’un hochement de tête, il replonge derrière son écran et s’active de plus belle avec son clavier.
Le loch indique 3,5 nœuds ...en pointe.
Je persiste dans l’idée de faire des photos, le soleil n’écrasant pas les volumes. Je remercie Léo de m’avoir fait tomber du lit.
- Claudie, ça te dit un tour en annexe ?
- D’accord, répond elle à travers un capot de notre cabine.
A part ça, je me dis que le plus dur ça va être de lui faire enfiler sa brassière. Après 25 ans passés sur des bateaux, Claudie n’a toujours pas appris à nager, pour être précis elle nage quand elle a pied…
Nous avons deux annexes à bord : une rigide de 4,80 mètres qui fait voile et aviron mais elle est saisie sur le roof et on ne la met pas à l’eau pour une heure ; le petit pneumatique de 3,30 mètres (zozo pour les intimes) est donc sorti du coqueron (L), assemblé et gonflé.
- A toi, me souffle Claudie.
A mon tour de me dandiner bêtement sur une jambe.
- Je me demande comment une aussi petite chose demande autant de coups de pompe, fait remarquer Claudie.
Le petit hors bord de 4 cv est fixé.
On roule un génois ; du pont, Grotesque semble presque arrêté, d’en bas, c’est un peu différent. Allez, vogue la galère !
- Blaise, déroule le génois.
Trois cercles autour de Grotesque, photos et retour, loin de notre coquille, l’océan semble vraiment très grand, on ne s’éternise pas (pensée émue à Rémi Bricka qui pour moi a fait la traversée la plus extrême).
- On remonte Zozo ? Me demande Claudie, pressée de mettre hors de portée de Blaise la tentation de faire un tour.
- On y va, dit Blaise.
Tour de bateau, photos du bateau à partir de Zozo et de Zozo depuis le bateau.
Puis, Zozo n’est qu’en partie remonté si les jeunes veulent faire un tour, il sera vite à l’eau.
Le cliquetis du clavier reprend, je reporte l’estime : en 20 heures environ 70 milles, des rameurs ont du aller plus vite ; je me console en songeant à un collègue qui a mis six jours pour les 200 derniers milles. Et je ressorts la boîte de mon sextant (L) qui n’a pas du servir depuis douze ans.
- Tu sais encore t’en servir, interroge Blaise moqueur ?
- Je crois que le morceau de bois doit être dans la main droite et la bonnette contre l’œil.
Pauvre humour ce matin, songeai-je.
Quelques vérifications d’usage, deux ou trois hauteurs pour voir.
J’ai bien des tables et des éphémérides (L) quelque part mais entre quelques opérations et un clic, je choisis le clic. J’attendrai que Blaise ait fini avec l’Ordi. Je pourrai faire une latitude à midi pour recommencer doucement.
Sextant rangé, devant le mutisme de Blaise, je me retourne vers un interlocuteur au moins aussi loquace : l’écran du radar et je joue avec les échelles 2, 4, 8, 16, désœuvré. Soudain, sur l’échelle 16 milles, un écho semble apparaître faiblement vers les 11 milles.
- Quelque chose ? Questionne Claudie,
sa question ayant pour effet de faire apparaître une paire de lunettes au ras de l’Ordi,
- Peut-être, mais ce n’est pas gros ou pas haut.
- Pas possible, pas possible, marmonne Blaise.
- Tu as raison, quelque chose de plus lent que nous, ça n’existe pas, dis-je en éteignant le radar.

Et bien Si ! Ça existe ; vers 11 heure, soit à peine deux heures plus tard, nous avons un écho qui se trouve pile poil sur notre route à 9 milles.
- Appelle le, demandai-je à Claudie.
Après cinq minutes d’appels infructueux, elle renonce.
- Ils sont devant un jeu vidéo ou un film porno, tous les mêmes ces marins.
Blaise me sourit goguenard, je lui réponds en langage des signes : international et explicite…
- Tu es sure que ce n’est pas un grain, s’inquiète Muriel.
En me penchant vers l’écran, je lui montre l’écho :
- Ça non ! Celui là plus large, plus diffus peut-être ?
En effet, une demi heure plus tard, à sec de toile, le shampooing à la main, nous attendons que la pluie nous rejoigne. La bonne grosse averse tropicale est là, sans vent, juste ce don du ciel pour rincer Grotesque et son équipage sans restriction ; tous sauf Léo qui, allant se réfugier dans la timonerie, croise Armel et Gaëlle qui nous rejoignent. En quelques secondes, nous sommes trempés, le déluge est si fort qu’il nous rince à peine savonnés.
- Pourvu que ça dure, implore Claudie en train de laver son opulente chevelure.
- C’est sur, rien de plus couillon qu’une coupure d’eau sous la douche, enchaîne Blaise.
- Où est le robinet d’eau chaude ? Frissonne Muriel.
C’est frais et comme par définition on ne va pas sous la douche en doudoune, les plus habillés d’entre nous n’ont qu’un maillot de bain. Armel, que je soupçonne de vouloir nous montrer combien Dame Nature a été généreuse avec lui est bien sur en tenue d’Adam, alors que Blaise et moi même, après les plaisanteries d’hier concernant le froid, la taille des grêlons …, plus modestes ou moins gâtés, avons nos maillots de bain, des vrais pas des trucs anémiés comme le monokini de Gaëlle fait de trois ficelles et de deux timbres poste.
- Il tombe des hallebardes, glisse Blaise.
- Ça 20°, ca raffermit les chairs, lance Muriel.
- Parle pour toi, réplique Gaëlle.
C’est vrai, après deux grossesses, la poitrine de Muriel est la moins orgueilleuse mais c’est aussi la plus volumineuse et de loin…les pamplemousses plus que les pommes semblent subir la dure loi de la gravité.

A chaque averse, nous récupérons de l’eau que nous réservons à des taches ménagères, n’ayant jamais osé la boire devant les traces grasses et noirâtres qu’elle laisse sur la blancheur du roof. Des seaux sont fixés aux endroits stratégiques : axes du taud, angles du roof puis transvasés dans des jerricans. C’est symbolique, 40 à 60 litres, symbolique et gratifiant 40 litres sauvés, 40 litres économisés sur le gâchis.
- Dommage qu’elle soit sale, remarque Claudie.
- Pas aujourd’hui, pas aujourd’hui, répète Blaise en regardant le roof resté éclatant.
- Oui, j’avais remarqué, mais il est trop tard pour en sauver plus, concluai-je en évitant son regard.
Dommage, car une fois le pont rincé, il suffit d’obstruer les dalots, avec une telle averse nos réservoirs auraient été vite complétés. Le nuage nous dépasse, déjà les rayons du soleil tropical vaporisent l’eau restée sur le pont. Les voiles sont renvoyées dans un vent plus soutenu après le passage de l’averse.
Léo réapparaît dès les premiers rayons, se couche à l’ombre contrairement à Gaëlle qui, après s’être copieusement enduite d’huile solaire, se crucifie sur la plage avant. Heureusement que Grotesque n’a pas de pont en teck. Je ne peux m’empêcher de lancer :
- Gaëlle, tu vas brûler !
- Mais non, c’est une très bonne huile.
Et Blaise de conclure :
- Huile de friture alors, en rentrant dans la timonerie avec moi.
Le radar nous montre la fuite de l’averse au devant de nous ; à travers l’écho diffus du nuage, l’écho que nous rattrapons semble à 9 milles.
- En montant dans le mât avant l’averse, on aurait peut être pu l’apercevoir.
Observant l’écran par dessus mon épaule, Blaise marmonne :
- Sera toujours temps après.
- A table ! Appelle Claudie.
- Pas faim, répond Gaëlle en pleine cuisson.
- Filet de poisson volant, renchérit Muriel
Ce qui soulève un écho favorable d’Armel et un sursaut suivi d’une galopade en provenance du passavant à l’ombre.
- Le mot tabou, souffle Blaise.
- Gaëlle, c’est toi qui veilles, nous rattrapons quelque chose droit devant.
Repas tranquille dans le carré, Muriel et Claudie, craignant sans doute que de la timonerie, nous nous intéressions à d’autre cuisson qu’à celle des filets ; suivi du classique :
- Qui veut un pisse mémé ?
Alors interrompu par un :
- Ca y est, ça y est, je le vois !
Comme lors de toute rencontre en mer, tout le monde veut voir.
- C’est un voilier, assure Claudie qui a pris les jumelles.
- Fais voir, fais voir, trépigne Muriel.
Pour ma part, après avoir vérifié la distance au radar, 7 milles toujours droit devant, je sors la longue vue dehors. Blaise m’accueille par un :
- Tu te la joues Captain Haddock ?
- Faisant la sourde oreille, j’observe et sans un mot lui tend la longue vue ; alors qu’il cesse son observation, je commente :
- Sacré vieux gréement !
Mais Blaise, un peu blême lâche :
- Ca se confirme,
et disparaît à l’intérieur avec la longue vue.
Alors que je le rattrape pour récupérer l’objet, il me demande :
- Je peux me servir du PC ?
Dans notre cabine arrière, nous avons un PC qui sert à tout ce qui n’est pas navigation.
- Bien sur, si tu ne pirates pas mes fichiers dénudés, tentai-je de plaisanter lorsqu’il lâche :
- Prends une droite de hauteur.
Je comprends que ce qui me taraude depuis hier soir jusque dans mon soleil et que je m’efforce de contenir de refouler (cartésien), lui il l’a laissé remonter, l’a analysé, pesé, disséqué et a sans doute envisagé l’impossible, alors que pour ma part, l’Impossible est impossible même si je suis français.
Je regagne la timonerie, me penche sur le radar, ajuste le VRM (L) : 6,4 milles.
Armel et Gaëlle, excités comme des poux, questionnent  :
- Combien de temps pour le rattraper ?
- A ce rythme, 2 heures et demi.
- Patrick, fais partir les moteurs, tente Muriel.
- Non, nous avons le temps.
(Aurai-je du ? cette question me taraude encore aujourd’hui).
- T’as raison, y a pas le feu, me soutient Blaise de la cabine.
Claudie, devant mon manque d’entrain, m’interroge du regard, question muette à laquelle je réponds d’un :
- Rien, en lui tendant la longue vue.
Puis, j’extrais le sextant de sa boîte, prends le chronomètre et sors. Je descends quatre fois le soleil, note les hauteurs et les heures.
Assis devant le portable, pendant son lancement, je songe au côté ridicule de la situation : belle journée lumineuse, le ciel et la mer comme lavés par l’averse, vent juste ce qu’il faut, quatre enthousiastes qui regardent s’approcher un vieux gréement et deux inquiets scrutant chacun un écran à l’intérieur alors que le spectacle est superbe à l’extérieur.
Bip ! L’Ordi réclame du travail, quatre fois je lui rentre les infos demandées : points estimés et les relevés.
Quatre fois, il me donne une réponse à peu près similaire par rapport à mon point estimé. Mais l’intercepte est en dehors du probable : hauteur calculée 71°03’59’’, observée 70°47’37’’, 17’ d’écart !
Je ne peux faire une telle erreur d’estime sur 24 heures, au portant dans une zone où tout porte dans la même direction, vents et courants… Peut-être un courant imprévu, inconnu, une déviation due au réchauffement ?
Un choc sur le sextant ?
Me sentant observé, je me retourne. De l’entrée de la cabine, Blaise me scrute :
- Pas terrible, annonce t-il.
Je ne sais s’il s’agit d’une question ou d’une affirmation.
Claudie, par un des panneaux ouvrants en façade de la timonerie, m’annonce :
- Superbe construction, avec un pavillon immense, un étendrat comme dirait mon petit neveu.
- Comme ça ? Lui demande Blaise en lui tendant une feuille fraîchement sortie de l’imprimante.
- Comment as-tu fait, lorsque tu es monté, on le voyait à peine ? Demande Claudie stupéfaite.
Je jette un coup d’œil à l’extérieur puis au radar ; l’écho est à moins de cinq milles.
- Patrick, Blaise venez voir ! Hèle Muriel.
M’appuyant sur le tube de l’enrouleur, je scrute longuement le navire ; alors que Blaise l’observe à son tour, je détaille avec application la représentation que le vent fait s’agiter entre mes mains : il n’y a pas de doute , c’est bien ça.
Lorsque Blaise se retourne, je tente :
- Il y a eu en 1990 une reproduction de la Santa Maria qui a été jusqu’en Colombie et d’autres qui ont traversé vers les Antilles…
- Oui, je m’en souviens ! Confirme Muriel.
- Sans doute une autre commémoration, un film, une pub, ajoute Claudie.
- Qu’est ce qui t’inquiète, lui demande Armel.
Gaëlle porte l’estocade en se moquant d’un :
- Tu crois quand même pas aux vaisseaux fantômes…
- Alors tu crois qu’il navigue depuis combien de temps ? Questionne Armel, ironique.
Je lui tends le feuillet ; sous la représentation, on peut lire : « Galion espagnol XVI siècle ».
- Mais regarde le, il est comme neuf, insiste Armel en remettant la longue vue dans les mains de Blaise.
- Justement, justement, marmonne Blaise en tentant d’allumer un chicot, l’instrument coincé sous le bras droit.
Il bat en retraite et me fait signe de le suivre ; s’apprêtant à rentrer dans la timonerie, il se rappelle la règle et continue vers la plage arrière pour y finir son chicot.
Adossé au zozo qui forme un pont entre la plage arrière et l’arrière du cockpit de pêche, le moteur et la fin des boudins au dessus du vide, il me regarde approcher, pensif.
Puis soudain, semblant avoir pris une décision, il se redresse d’un bond et jette son chicot.
Je reste éberlué, non parce qu’il se relève si aisément alors qu’il a un an de plus que moi, puisqu’il pèse 15 kilos de moins, ça s’explique. Non, ce n’est pas cela mais il a jeté un chicot qui n’était pas fini.
- Suis moi !
De retour dans la timonerie, nouveau coup d’œil au radar, un peu plus de quatre milles.
- Assieds toi, m’intime t-il tout en martyrisant le clavier du portable. Donne moi tes relevés. Depuis hier, j’ai un peu transformé ton programme de navigation …
- C’est ça l’erreur ! L’interrompais-je.
- Mais non, rien à voir, s’emporte Blaise.
Pour quelqu’un qui parle peu, je le trouve très bavard depuis peu.
- Bon explique, concédai-je,
et au fur et à mesure de ses questions, je lui communique les infos demandées.
- Donne moi ton point estimé, tes relevés, les heures, la marge d’erreur la plus optimiste.
- Bon ! Tu t’expliques, insistai-je.
- J’ai demandé à ton programme transformé : si à l’heure H, le soleil est à la hauteur observée h à la position estimée P…
- Oui ? L’encourageai-je.
- Eh bien … à quelle date sommes nous ?
- Blaise, arrête de fumer tes chicots, ne doit pas y avoir que du tabac là dedans ; nous sommes aujourd’hui et aujourd’hui c’est le 14 mars 2003, Point barre, concluais-je en me levant.
- En es tu sûr, me lance Blaise.
- Comment veux tu qu’il en soit autrement et ton programme, ça ne peut pas marcher… avec le soleil.
- Ah oui, et pourquoi ?
- Dans combien de temps, te réponds l’Ordi ?
- J’en sais rein, avoue t-il
- Et bien, tu verras, pronostiquai-je en sortant.
Les autres, un peu surpris par cet échange à voix forte, m’interroge de regard.
- Rien, un délire de Blaise, les rassurai-je.
Une heure plus tard, toujours derrière son clavier, Blaise me fait signe :
- J’ai restreint les recherches.
- A mars 2003, tu as raison, coupai-je.
- Non, je considère : la hauteur, l’heure, la position, le jour et le mois comme juste…
- C’est parfait, l’interrompais-je à nouveau.
- Je ne cherche plus que l’année.
- Blaise, tu es décourageant, lâchai-je en me tournant vers le radar : 2,5 milles.
- Il me semble voir des silhouettes, annonce Claudie.
- Au moins, ce n’est pas un vaisseau fantôme… persifle Gaëlle, interrompue par un grognement de Léo.
- Des dauphins, hurle Muriel.
Comme toujours, c’est la ruée à l’étrave, la bousculade ; regarder des dauphins, c’est l’enchantement devant leurs mimiques et leurs cabotinages, on les trouve tellement humains.
Mais aujourd’hui, malgré nos cris, nos sifflements, ils passent aussi nombreux qu’indifférents.
- Peut-être chassent ils ? Emet Armel.
Seul, Léo continue à donner de la voix. Il faut dire que le croisement dont il est issu a donné deux chiens différents : le gros nounours toujours à la recherche d’un câlin, pas avare de lichettes, toujours prêt à jouer avec ceux qu’il connaît, ça c’est son côté Léonberg. L’autre côté, c’est le chien qui depuis des millénaires est fait pour protéger son troupeau, sa meute, ses maîtres et pour qui tout étranger est une menace, qui ne laisse aucun autre chien monter à bord, s’il ne l’a pas connu tout jeune. Le bateau est son territoire, Point. Ca, c’est le côté berger du Caucase.
Quelquefois, je me demande si ce côté sombre de mon chien nous considère comme ses maîtres, sa meute ou… son troupeau. Vaut peut-être mieux pas savoir.
Léo, enfin calmé, fier d’avoir fait fuir les intrus, (je suis certain qu’il le croit), vient nous rejoindre à l’arrière tribord ou je suis assis avec Claudie.
Nous aimons bien regarder notre bateau ainsi quand tout est calme. Bien appuyé par ses voiles, nous filons à cinq nœuds ce qui est très … très lent pour un bateau de cette taille. La silhouette est curieuse mais fonctionnelle et puis comme nous l’avons conçu, c’est forcément le plus beau et je hurle plus que je ne chante :
- Ohhh mon bateau oh oh oh, c’est le plus beau des bateaux….
- Tu ne crois pas qu’il a assez plu, s’enquit Muriel en nous rejoignant.
Vexé, je retourne à la timonerie. Les détails du vieux gréement se font plus précis. Lorsqu’il est sorti de l’horizon, tout le monde voulait le voir et maintenant seuls Armel depuis le balcon et Gaëlle, a nouveau huilée et allongée continuent à l’observer avidement. Peut-être étant plus jeunes, ont-ils besoin de plus de compagnie ?
- Alors, lançai-je en direction de Blaise.
- Je cherche, tu aurais pu acheter un modèle plus récent
- Tu sais, pour ce que j’en fais.
Gaëlle, nous ayant entendu parlés a tourné la tête et sourit à Blaise comme pour s’excuser des persiflages passés, à moins qu’elle ne soit simplement heureuse, heureuse de sa jeunesse, de sa beauté dorée presque nue.
Je laisse échapper : - Mon amie La Rose…
Et Blaise de continuer : - m’a dit ce matin…
L’alarme du radar calée sur 1 mille retentit.
Le dernier mille est passé si vite ; toujours pareil, on se rapproche de quelque chose, bateau ou côte, c’est très long, ça traîne ; et puis on distingue les bosquets, les maisons, les voitures, les gens, les vissages , les yeux, tout dans une espèce d’accélération continue.
La réplique est là à cinq cents mètres, toujours droit devant ? Armel, en figure de proue humaine fait des grands signes du bras sans obtenir de réponse. Gaëlle, assise quatre mètres derrière lance :
- Claudie avait raison, ils regardent un porno. Tous des obsédés ces marins, avec un regard amusé vers la timonerie ;
- Peut-être nous ont-ils pas vus, émet Muriel.
- De toute façon, on va lofer un peu pour passer sur sa hanche tribord, dis-je en rajoutant 5° à notre cap.
- Muriel, tu mettras 10 ° de plus,
et je la laisse en compagnie de Blaise. A le voir s’acharner sur le portable, je crois qu’il essaie de l’achever avant d’arriver en Martinique.
Avec Claudie, je borde un peu la grand voile ; cela amplifie les 10° que vient de rajouter Muriel. Le pilote cherche son équilibre, nous bordons le génois et doucement le pilote retrouve ses marques.
Je me penche pour voir sous la voile d’avant. Nous sommes à trois cents mètres ; ça va passer largement à ? mètres.
Muriel, assise à la porte de la timonerie, commence à prendre des photos  ; Claudie, au pied du grand mât, love l’écoute de grand voile en compagnie de Léo.
- 100 mètres
Je me penche pour régler le chariot d’écoute.
Boum !!!! Tout le monde sursaute.
- Ahhh ! Cris de surprise de Muriel et de Gaëlle.
Je n’ai pas le temps de penser : « ah la bonne blague ! », qu’un bruit de souffle précède de peu la totale destruction de l’éolienne bâbord.
Puis c’est le hurlement de terreur de Gaëlle. Mon cerveau refuse de comprendre : toujours assis au balcon, main gauche tenant encore l’enrouleur, la bouche ouverte sur un cri qui ne viendra plus, Armel nous regarde de ses yeux morts ; son sang a giclé sur le génois, sur le pont, sur Gaëlle qui hurle d’un long cri de bête du plus profond des ses entrailles et de la nuit des temps.
Agenouillée sur ce pont ensanglanté, les bras pendants le long du corps, elle n’est plus qu’une plainte. Armel est mort, ne peut pas vivre avec un tel trou Il lui manque tout le côté gauche entre la hanche et les côtes. Comment n’a-t-il pas été emporté par le choc ? Doucement, d’un bloc, comme si une conscience animait encore ce corps mutilé, Armel bascule à l’extérieur du balcon.
Ce genre de scène dure une poignée de secondes, secondes qui marquent une vie.
Léo, pas embarrassé par un cerveau qui cherche à comprendre, à expliquer réagit le premier. Il court le long du bord en aboyant, n’aimant pas voir quelqu’un nager sans lui.
Puis tout s’accélère, Gaëlle se relève vivement et se précipite dans l’espoir de rattraper son Armel. Craignant qu’il ne se jette à l’eau, Claudie bloque Léo dans le passavant. Je hurle :
- Gaëlle, Non !
Muriel la ceinture au passage de la timonerie. Je me rue dans la timonerie ; vite, agir vite !
Débrayer le pilote, mettre la barre toute tribord avec le joystick, le bateau part dans une aulofée, coup de gîte.
Boum ! Nouvelle canonnade ; gerbe à bâbord.
Lancer un moteur, embrayer à fond, lancer le deuxième, embrayer à fond ; tant pis pour la mécanique, remettre la barre au centre.
- Gaëlle, crie Muriel.
Pousser, pousser ces putains de manettes, 2500 T/mn maximum
Le bateau semble stopper, l’aulofée a cassé notre erre, les voiles, plus assez bordées faseyent. Je gueule :
- Rentrez tous.
L’accélération se précise 4, 5, 6, 7 nœuds …
- Gaëlle a sauté, crie Muriel affolée. Je lui ai jeté la bouée…
Boum ! Boum !
La panique, le bruit des voiles, des moteurs, ces cons qui nous prennent pour cible, réfléchir vite. Demi tour et risquer le bateau, Non ! Abandonner Gaëlle, Non ! Tout est de ma faute, c’est moi le responsable. Je pousse Claudie à la barre en lui disant :
- A fond tout droit.
Nos regards se croisent, amour. Huit nœuds. Le couteau de pêche à la main je traverse le carré en deux enjambées, sors à l’arrière. Blaise m’a suivi ; à nouveau, un regard dans le sien. Je lis :
- « Quoiqu’il t’arrive, j’assure.
Couper l’amarre de Zozo, le pousser dans le vide et sauter avec lui. Lorsqu’il bascule, le choc ! A moitié éjecté, le souffle coupé, avec toujours dans ma tête, ces mots : « vite, fais vite ».
L’essence, prise d’air, lanceur. Ah, je l’embrasserai, il part au quart de tour ; poignée dans le coin, Zozo déjauge vers la tâche brune et orange là bas, pas si loin. Une idée égoïste me traverse : « Pourvu qu’ils continuent à viser Grotesque ».
J’arrive, je coupe les gaz, la tache brune se retourne et je vois deux grands yeux affolés dans un visage terreux qui tremble.
- Bouge ton cul, Gaëlle.
Au passage, alors que Zozo continue sur son erre, je me plie en avant et saisis un bras crispé autour de la bouée.
Je l’a tiens.
- Allez, aides toi, merde !
Mais Gaëlle n’est plus que deux yeux, terrassée par la panique. Je tire de toutes mes forces sur ce bras mais elle glisse. Soudain, je comprends la peur panique de Gaëlle. Parmi la tâche sanglante que fut Armel, des ailerons se battent pour finir le festin. Putain de bestioles !
La mer est vide, du sang et ils sont là à se battre.
J’arrive à saisir le deuxième bras, je tire de toutes mes forces ; j’en pleure de rage et d’impuissance. Je hisse le torse sur le boudin droit de Zozo, je me penche pour saisir mais quoi ? Sa peau huilée m’échappe, ses épaules, sa taille, tout glisse .Saloperies !
Un aileron, là bas se détache du lot, je hurle :
- Vite !
Enfin, elle s’aide mollement. Je peux la lâcher sans qu’elle ne réglisse aussitôt. Je croche dans son maillot, les cordelettes se tendent, marquent les chairs, craquent.
Merde ! Si seulement elle avait les cheveux longs ou les fesses molles et tombantes, mais tout est ferme et huilé. Des larmes de rage coulent dans ma barbe. Je ne vais quand même pas en voir la moitié se faire dévorer sous mes yeux.
Dernière extrémité, je me penche par-dessus son corps, passe ma main droite entre ses cuisses, remonte vers le nombril à la rencontre de mon bras gauche qui, en serrant son dos revient sur la hanche droite. Serrant mes mains jointes sur son ventre, je me jette en arrière souhaitant désespérément que mon poids puisse faire mieux que mes muscles.
Ca y est ! Telle un poulpe, Gaëlle a glissé au fond de Zozo, inerte.
Poignée des gaz à fond, Zozo s’élance. Grotesque est loin, stoppé à quatre ou cinq cents mètres hors de portée de ces malades. Regard circulaire et c’est le choc. La réplique lofe elle aussi, sa manœuvre démasquant deux autres navires similaires ! Incompréhension, puis cette pensée fulgurante, aussitôt refoulée : « Et si Blaise avait raison ».
Le galion continue de lofer, cherchant à se mettre entre nous et Grotesque. C’est Zozo la proie maintenant. Je me penche en avant au dessus de Gaëlle pour aider Zozo à déjauger.
Boum, Boum Boum ! Canonnade.
Trois impacts derrière nous, ils savent tirer les cons !
Je pense : « 15 secondes, juste 15 secondes et nous sommes hors de portée, je regrette presque d’être athé.14 secondes je n’ai personne à qui adresser des prières, 13 secondes juste 13…Une détonation sèche, puis une autre ; Claudie a ouvert l’armoire, son tir ne peut être efficace, elle est à trois cents mètres du galion qui s’intercale entre nous …
Dix secondes, nous fonçons toujours face au vent, seule direction qu’il ne pourra jamais prendre.
Encore une poignée, une toute petite poignée de secondes ; Boum, boum, boum, j’entends la chute des projectiles. De peur ou de rage, je me redresse malgré les crampes de la trouille qui nouent mon ventre et je hurle pour leur cracher à la gueule toute ma haine. Soulagé !? Je reprends confiance, le galion le plus proche est maintenant assez loin. Nous avons obtenu, de qui ? nos quinze secondes.
J’amorce une courbe pour rejoindre Grotesque.
Toujours le claquement sec, j’imagine Claudie couchée sur le pont comme au stand ; inspiration, visée, phalange sur la queue de détente, bossette, tir. Méthodiquement, sachant certainement l’inutilité de son geste, tous les 10 secondes, cette détonation accompagne notre retour.

" Seuls les paranoïaques survivent "
10-11-2015 à 20:11:29
ROAaaah le Délire Ca me fait penser au film "Nimitz retour ver l'enfer " Génial

maintenant , t'est bon pour la suite , falait pas Commencer Hi

10-11-2015 à 20:28:28
ROAaaah le Délire Ca me fait penser au film "Nimitz retour ver l'enfer " Génial

maintenant , t'est bon pour la suite , falait pas Commencer Hi



Et comme nous avions poussé le "détail " loin nous avons fait des essais de "remontés" à bord du zozo , je te dis pas les franches rigolades !

" Seuls les paranoïaques survivent "
12-11-2015 à 08:31:44
Plus serein, je regarde Gaëlle. Malgré sa nudité, son corps n’est plus ce beau fruit tentateur, même ses seins qui accompagnent les rebonds de Zozo me laissent de marbre. Elle n’est plus qu’un petit animal que la terreur enlaidit. J’approche une main de la sienne, elle s’y accroche avec l’énergie du désespoir et éclate en sanglot.
Cynique ou réaliste, je pense : « au moins elle réagit ».
Enfin l’arrière de Grotesque est là ; Blaise me lance un bout puis aidée de Muriel, il traîne Gaëlle à l’intérieur.
A Claudie qui continue de tirer, je dis :
- Doucement, ça va ça va…
Elle tourne la tête, les yeux embués, lèvres et mains tremblantes :
- J’ai eu si peur…
- Je sais, mais c’est fini, répondis-je en pensant, Dieu seul sait où sont parties les balles, avec Grotesque qui se dandine. J’espère qu’elles ne sont pas perdues pour tout le monde. Alors que nous remontons le brave Zozo à bord, je glisse à Claudie :
- Après ce qu’elle nous a fait, on ne la laisse plus toute seule.
- On va la coucher dans le carré, tout le monde pourra la surveiller.
- Blaise, tu peux venir ? Demandai-je
Léo, enfin autorisé à sortir,vient me montrer à sa manière de chien fou qu’il est heureux de notre retour.
Lorsque Blaise arrive, il a la correction de ne pas aggraver ma culpabilité d’un :
« Je te l’avais dit ». Certes, son :
- Tu avais une veuve à consoler ?
N’est pas fait pour alléger ma conscience mais là, je retrouve mon Blaise, humour (fut-il noir) et compagnie.
C’est sa manière à lui de me dire qu’il est heureux de nous revoir.
Tout en grattouillant le crâne de Léo, nous observons les trois galions qui maintenant naviguent de conserve en suivant le même cap que nous. J’interroge :
- Qu’en penses tu ?
- D’époque, 100% d’époque ; pour eux, imagines, nous sommes des extra terrestres.
- C’est vrai, avec notre coque peinte en jaune fluo pour les glaces et Zozo, qu’ont-ils pensé de ce canot qui rebondissait face au vent sans mât, sans avirons.
- Des extra terrestres, pour eux nous sommes des extra terrestres, m’interrompt-il.
- Non Blaise, si ces, ces…
- Tu peux dire Galions, tu as vu la représentation ?
- Bon, si ce sont des galions du 16e siècle, pour eux nous sommes diaboliques ! Tu vois ce que ça veut dire ?
Dans la lumière de ce funeste après midi, je vois qu’il comprend.
- Sorciers, bûchers, inquisition…
- Bon ! Viens on va abattre un peu et on verra ce qu’ils font.
On a vu. Notre changement de route est fidèlement suivi par les trois galions.
- Comme si nous étions leur poisson pilote, remarque Blaise.
- Plutôt comme un poisson volant poursuivi par trois daurades coryphènes… rectifie Claudie qui vient nous rejoindre.
- Comment va Gaëlle ? S’inquiète Blaise.
- Muriel a eu la main un peu lourde avec le somnifère… Elle nous laissera tranquille ce soir.
- Bon ! Maintenant le sale boulot, annoncai-je.
Et c’est vraiment un sale boulot que de nettoyer ce qu’il reste d’Armel. A grand coup de seaux d’eau de mer, essayer de chasser par les dalots ce qui consent à se décoller du pont, sans vouloir reconnaître quoique ce soit parmi l’écoulement rosi de l’eau de mer.
Devant un débris de chair que notre regard n’a pu éviter, Blaise et moi nous nous retrouvons pliés sur les batayoles vidant notre estomac.
- Claudie, rentre ton chien, conseille Blaise prudent.
Comme autant de centimètres que de kilos me séparent de Blaise, c’est à moi qu'incombe la tâche de frotter le génois le plus haut possible…
L’eau récoltée dans la joie il y a moins de six heures sert à effacer les dernières traces d’Armel.
- Pour le génois, tu ne feras pas mieux affirme Blaise ;
- J’aurais voulu effacer …
- Je comprends, m’assure t-il.
Mais comprend-il que j’arracherais ces tâches de tissu si je le pouvais, ces taches qui tous les jours, de la timonerie, droit devant moi me crieront ma coupable imprudence.
- Tu ne pouvais pas savoir, reprend Blaise, prouvant par là qu’il avait parfaitement compris.
Maintenant, l’heure est au bilan…

18 heures.
Tous les trois assis dans la timonerie, nous regardons s’éloigner les trois petits échos qui, depuis deux heures et demi nous suivent, trois milles nous séparent.
- J’en lance un, annonçai-je (moteur).
M’attrapant la main, Blaise stoppe mon geste :
- Réfléchis.
- J’essaie, mais depuis hier midi je surchauffe, tu vois mes limites sont atteintes. Un galion nous bombarde, le ciel qui n’est pas…
- Quoi le ciel ? S’inquiète Claudie.
- J’écoute, ajoute Blaise.
- Et bien, hier la lune aurait du être croissante pour être pleine dans quatre jours.
- La lune a disparu ! S’alarme Muriel.
- Mais non elle n’était pas comme elle aurait du être, lui précisai-je ; elle est déjà sur le découd d’au moins deux jours.
- Que donne ton programme de navigation, questionne Claudie.
- Rien, enfin tout. Tous les ans sont bons dans la marge d’erreur.
Silence !
Je poursuis :
- Toutes les étoiles sont là pas exactement où elles devraient être, mais aucune planète ne se trouve où là où elle doit être au 14 mars 2003 et la lune a quasiment une semaine d’écart en avance. Blaise enchaîne :
- J’ai vérifié sur 75 ans les positions des étoiles, s’il y avait eu une variation linéaire continue, on aurait pu faire quelque chose, mais ce n’est pas le cas. Je ne dispose que de 75 ans.
- La date semble bonne, le soleil se couche là où il devrait à l’heure prévue. La date est bonne mais pas l’année.
- Mais c’est impossible, s’insurge Muriel.
J’acquiesce.
- Bon, ça ne sert à rien de disserter des heures là-dessus. Peu importe quelle année nous sommes ce qu’il faut savoir, c’est ce que l’on fait, assène Claudie.
- Peu importe !? Mais, mes enfants, mes amis, ma maison, mon… se lamente Muriel.
- Fais une croix dessus chérie, fais une croix dessus, lui conseille son mari.
Nous ne sommes plus que trois dans la timonerie. La nuit est tombée. Muriel, en larme est partie se réfugier dans sa cabine.
Léo, d’habitude sensible aux sanglots, n’a pas bougé, sa tête posée sur l’épaule de Gaëlle qu’il semble veiller.
Vu ce qu’il a mangé ce matin, Gaëlle doit dormir dans une odeur de marée.
- Tu comprends, tant que nous n’avons pas établi quand nous sommes, il faut économiser, poursuit Blaise.
- Bien sur, mais comment connaître l’année ?
Je tente d’ironiser :
- C’est simple Claudie, on fait demi tour et on leur demande.
- Bien, en espagnol, lance Claudie.
- Du 16e siècle, poursuit interrogatif Blaise.
Il n’y eut pas de repas ce soir, chacun plongé dans ses pensées, les miennes sont terribles faites de si, si j’avais viré plutôt, si…
Blaise doit songer comment, grâce à l’informatique, résoudre son problème.
- Pourquoi as-tu une arme ? Questionne Blaise prouvant qu’il peut penser à autre chose qu’à l’informatique.
- Nous avons deux carabines identiques ; pour aller au Spitzberg, les autorités norvégiennes t’obligent à être armé pour descendre à terre. Si tu n’as pas d’armes, pas d’autorisation, ils ont peur qu’un ours ne te serre de trop près… Et comme nous étions deux groupes, deux carabines. Curieux d’ailleurs car pour la Norvège, si tu es armé tu es un adulte responsable alors que dans d’autres pays d’Europe, tes armes sont saisies et toi poursuivi… Curieux Non ?
- Tu as des munitions ?
- Tu me connais, j’ai toujours peur de manquer ; puis pour le passage du Nord ouest, nous devons …nous devions...

" Seuls les paranoïaques survivent "
  • Liens sponsorisés